Le Kohelet Policy Forum se retrouve au cœur du débat public israélien depuis des révélations sur le rôle actif joué par ce cercle de réflexion ultraconservateur dans la rédaction du projet de réforme de la Cour suprême. Décryptage.
Inconnu du grand public il y a encore quelques semaines, le Kohelet Policy Forum est sous le feu des critiques de la gauche israélienne. En cause, l'influence colossale de ce cercle de réflexion ultralibéral et ultraconservateur sur le projet de réforme judiciaire du gouvernement Netanyahu, accusé par ses détracteurs de miner la démocratie israélienne.
Selon le quotidien Haaretz, le think tank basé à Jérusalem aurait tout simplement fourni clé en main la réforme au ministre de la Justice, Yariv Levin. Celle-ci prévoit notamment d'introduire une clause "dérogatoire" permettant au Parlement d'annuler certaines décisions de la Cour suprême.
"La Cour suprême a écrit ses propres règles et s'est emparée de pouvoirs sans autorisation et sans aucune légitimité démocratique", écrivent deux experts juridiques défendant le projet de loi dans un article publié sur le site du Kohelet Policy Forum et intitulé "Pourquoi la réforme judiciaire est essentielle".
Pour assurer du caractère disproportionné des prérogatives du pouvoir judiciaire en Israël, le texte affirme que la possibilité d'un veto des juges sur certaines décisions politiques est "unique au monde". Mais cet argumentaire omet un détail essentiel : Israël n'a pas de Constitution. La Cour suprême y joue donc le rôle d'une Cour constitutionnelle, rendant difficile la comparaison avec les juridictions suprêmes dans d'autres pays.
Pour ses détracteurs, cette réforme vantée par la coalition d'extrême droite emmenée par Benjamin Netanyahu comme un simple rééquilibrage des pouvoirs est en réalité une menace pour les fondements de la démocratie israélienne ainsi que pour les libertés publiques.
"Éminences grises"
Créé il y a dix ans par Moshe Koppel, un chercheur en sciences de l’informatique né aux États-Unis, le Kohelet Policy Forum est venu combler un vide en Israël en devenant le premier cercle de réflexion conservateur dédié à la politique intérieure du pays.
"C'est un cercle de réflexion favorable au maintien de la présence israélienne en Cisjordanie qui allie une idéologie très conservatrice et nationaliste avec un néolibéralisme total", détaille le politologue Denis Charbit, professeur à l’Université ouverte d’Israël.
Ce cercle de réflexion aurait déjà fortement inspiré plusieurs législations controversées, en particulier une loi fondamentale de 2018 proclamant Israël en tant que "foyer national du peuple juif". Un texte d'une valeur quasi constitutionnelle qui, selon ses opposants, stigmatise la minorité arabe qui représente 20 % de la la population.
Parmi les faits d'armes du Kohelet Policy Forum évoqués par la presse israélienne figure également la rédaction en 2019 d'un argumentaire juridique destiné à Mike Pompeo, ancien secrétaire d'État de Donald Trump, pour justifier l'implantation des colonies israéliennes en Cisjordanie.
Constitué d'une centaine de chercheurs, le cercle de réflexion serait parvenu à tisser un vaste réseau d'influence au plus haut niveau. "Cela fait environ cinq ou six ans qu'il a noué des relations privilégiées avec des responsables politiques. Il a toutefois toujours entretenu une certaine discrétion, préférant travailler dans l'ombre avec les députés, ses membres agissant comme des éminences grises", explique Denis Charbit.
Nébuleuse conservatrice
Ce réseau d'influence a été bâti notamment grâce aux dizaines de millions de dollars versés par deux généreux donateurs dont les noms ont été révélés en 2021 par Haaretz : Arthur Dantchik et Jeffrey Yass, des multimilliardaires juifs américains possédant Susquehanna International Group, l'une des entreprises de trading les plus en vue des États-Unis.
En 2022, Jeffrey Yass figurait à la 37e place du classement Bloomberg des personnes les plus riches au monde, avec un patrimoine évalué à 34 milliards de dollars, contre 7,5 milliards pour Arthur Dantchik.
Ces anciens proches de Donald Trump sont considérés comme des figures du mouvement libertarien qui s'oppose à l'impôt et revendique une intervention minimale de l'État pour favoriser la liberté individuelle et la liberté d'entreprendre.
Le Kohelt Policy Forum entretient également des liens étroits avec le Tikvah Fund, une association néoconservatrice juive américaine dont le président, Amiad Cohen, a rencontré fin janvier le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. "Bâtir une communauté conservatrice est un travail difficile", avait déclaré à cette occasion le dirigeant populiste. "Mais la Hongrie et Israël ont d’ores et déjà obtenu d’excellents résultats."
Malgré la vive opposition de la gauche et d'une grande partie de l'opinion publique, la réforme judiciaire est sur les rails en Israël. Deux projets de loi réduisant les prérogatives de la Cour suprême ont été adoptés mardi en première lecture par le Parlement, dont l'introduction de la "clause dérogatoire" ainsi que la modification du processus de nomination des juges.