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Wang Yi en Russie, l'atout diplomatique de Xi Jinping

Le chef de la diplomatie de Pékin, Wang Yi, est arrivé, lundi, en Russie, pour le premier voyage d’un haut responsable chinois à Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine. Un déplacement qui souligne aussi l’importance de ce diplomate dans la poursuite des buts géopolitiques du président Xi Jinping.

Et pour finir : la Russie. Après une tournée de plusieurs capitales européennes dont Paris, un week-end chargé à la Conférence de Munich sur la sécurité, Wang Yi, le Monsieur diplomatie de la Chine, est arrivé à Moscou, lundi 20 février.

C’est la première visite d’un haut responsable chinois en Russie depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Un déplacement symboliquement important pour le président Vladimir Poutine qui peut, ainsi, démontrer qu’il n’est pas isolé sur la scène internationale un an après le déclenchement de son “opération militaire spéciale” qui lui a valu la condamnation de la quasi-totalité des pays occidentaux.

Un loyaliste de Xi Jinping

Wang Yi présente son voyage en Russie comme le point d’orgue de son marathon diplomatique. “C’est de là qu’il devrait dévoiler les détails du plan de paix dont il a parlé à Munich. Autrement dit, c’est depuis Moscou qu’il fait les annonces les plus importantes, indiquant par là qu’aux yeux de Pékin, la Russie est le partenaire de cette initiative censée montrer une voie pour sortir du conflit”, analyse Laurent Malvezin, spécialiste de la politique chinoise et cofondateur de Sinopole, un centre de ressources sur la Chine.

Mais cette séquence n’aura pas seulement servi à rappeler la force des liens qui unissent Pékin et Moscou, malgré la guerre. Elle entérine aussi l’influence de Wang Yi. Depuis une semaine en effet, Pékin ne parle que par le biais de son tout nouveau directeur du Bureau central des affaires étrangères, le poste le plus prestigieux de la diplomatie chinoise, auquel Wang Yi a été nommé le 1er janvier 2023.

Pour un régime qui concentre autant de pouvoirs entre les mains de son omni-président, Xi Jinping, ce monopole de la prise de parole est rare. Surtout qu’il ne s’agit pas de sujets de second plan. Wang Yi était chargé d’améliorer les relations chinoises avec l’Europe, tenir tête au secrétaire d’État américain, Antony Blinken, en pleine tempête diplomatique due à l’affaire des "ballons espions”, et “continuer à se présenter comme le principal artisan d’une paix négociée entre l’Ukraine et la Russie”, explique Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège.

Cette confiance placée par Xi Jinping ne surprend cependant guère les sinologues avertis. “Wang Yi est un loyaliste de longue date du président chinois et il a réussi à rester aussi indépendant que possible des autres clans qui s’affrontent pour gagner en influence à Pékin”, souligne Marc Lanteigne.

Ce diplomate de carrière de 69 ans “n’est pas non plus un fils de…, comme d’autres responsables politiques, et passe pour un travailleur acharné”, précise Laurent Malvezin. Wang Yi ne doit, ainsi, sa carrière qu’à ses propres efforts, ses propres réseaux…et à Xi Jinping.

Il a aussi déjà fait ses preuves. Avant d’accéder au plus haut poste de la diplomatie, Wang Yi était ministre chinois des Affaires étrangères depuis 2013. Et entre 2008 et 2013, il était en charge du bureau des Affaires taïwanaises, c’est-à-dire que le régime avait déjà suffisamment confiance en lui “pour gérer l’un des dossiers les plus sensibles et importants de la politique chinoise”, souligne Laurent Malvezin.

Son arrivée tout en haut de la hiérarchie diplomatique illustre aussi l’évolution des priorités géostratégiques de Xi Jinping. “Wang Yi parle parfaitement le japonais, a été ambassadeur de Chine au Japon et il est un spécialiste de la région Asie, tandis que son prédécesseur - Yang Jiechi - était un grand connaisseur des États-Unis”, note Marc Lanteigne.

Un vieux "loup soldat" ?

“Yang Jiechi était le diplomate en chef des temps plus apaisés où Pékin cherchait surtout à soigner ses relations avec les États-Unis. Wang Yi incarne une Chine plus entreprenante qui veut imposer son influence en Asie, mais pas seulement”, poursuit le sinologue de l'université arctique de Norvège.

Wang Yi a prôné une diplomatie plus active envers les pays du Moyen-Orient, il s’est rendu plusieurs fois en Afrique et estime que Pékin devrait jouer un rôle plus important en Asie centrale.

Il est aussi devenu un fin connaisseur de la Russie au fil des ans. “Il a tissé des liens avec plusieurs responsables russes en tant que représentant de Pékin à l’Organisation de coopération de Shanghaï, une organisation rassemblant plusieurs pays d’Asie centrale et dominée par la Chine et la Russie”, souligne Marc Lanteigne.

Wang Yi incarne aussi le changement de ton de la diplomatie chinoise. Il est trop vieux pour appartenir au groupe des “loups soldats”, ces quadras de la diplomatie chinoise qui peuvent se montrer très véhéments sur les réseaux sociaux, mais “il est tout aussi prompt à prendre agressivement la défense de la Chine”, assure Marc Lanteigne.

Ainsi en 2016, il s’était emporté contre une journaliste canadienne qui avait soulevé la question de la défense des droits de l’Homme en Chine. Cette sortie avait entraîné une mini-crise diplomatique avec le Canada, qui s’était plaint officiellement à Pékin des manières peu cavalières de leur ministre des Affaires étrangères.

“Wang Yi veut être traité d’égal à égal partout y compris aux États-Unis”, note Marc Lanteigne. Il a ainsi exigé que Washington arrête sa “sinophobie” lors d’une entrevue en juillet 2022 avec Antony Blinken. “Les relations avec la Chine resteront au point mort tant que cela ne changera pas”, avait ensuite assuré le Global Times, un journal chinois pro-régime anglophone.  

Influence en Europe via la Russie

Des tensions qui ont aussi dominé la Conférence de Munich sur la sécurité : Wang Yi a fortement condamné les propos d’Antony Blinken, qui a suggéré, dimanche, que la Chine était susceptible de fournir “des armes létales” à la Russie pour l’aider dans sa guerre contre l’Ukraine.

“La déclaration américaine a été surprenante car la Chine n’a pas d’intérêt à fournir des armes à la Russie alors qu’elle cherche à se promouvoir comme un intermédiaire pour la paix en Ukraine et veut améliorer ses relations avec des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni. Si la Chine aidait militairement la Russie, elle prendrait le risque de réduire à néant ses efforts”, analyse Marc Lanteigne.

Pour Laurent Malvezin, la sortie américaine représente surtout une manière d’essayer de contrer le narratif chinois de “faiseur de paix”. “L’Europe peut vouloir tendre la main à Pékin pour faire pression sur Moscou et trouver une sortie de crise en Ukraine, mais ce faisant, elle laisse à la Chine sa stratégie d’influence sur le continent”, affirme cet expert. De quoi donner des sueurs froides à Washington. Surtout, d’après les experts interrogés par France 24, que le voyage de Wang Yi à Moscou peut aussi être une manière de préparer le terrain à une prochaine visite de Xi Jinping en Russie.