
Les ballons et autres objets volants que l’armée américaine a reconnu avoir abattus ces derniers jours au-dessus des États-Unis peuvent donner l’impression que l’espace aérien nord-américain est mal protégé. Cependant nul besoin d'exagérer le risque que ces engins posent pour la sécurité des airs, soulignent plusieurs experts. Du moins pas encore.
Ils voient des objets volants partout. Les États-Unis et le Canada en ont abattu trois durant le week-end, ont annoncé les autorités nord-américaines lundi 13 février.
Les autorités américaines n’ont pas précisé la nature de ces nouveaux engins volants, mais ont affirmé qu’ils “ne ressemblaient pas parfaitement” au premier ballon chinois, qui avait été abattu par les États-Unis le 4 février. Washington n'a même pas établi qu'il s'agissait de nouveaux engins espions.
Un angle mort dans la défense de l'espace aérien
Cette succession d’incursions dans l’espace aérien nord-américain en une dizaine de jours a pu “donner l’impression d’une invasion du ciel par des ovnis”, souligne très sérieusement le New York Times.
De quoi laisser penser à une faille sérieuse dans la sécurité du ciel aérien nord-américain. “Le Congrès devrait organiser des auditions pour faire toute la lumière sur cette affaire. Le public a le droit de savoir pourquoi des objets que le Pentagone et les services américains de renseignement disent ne pas pouvoir identifier volent dans notre ciel”, assure Peter Bergen, spécialiste des questions de sécurité nationale pour la chaîne CNN.
“Il est vrai que ces ballons révèlent un angle mort de la défense nord-américaine”, reconnaît Dominika Kunertova, spécialiste des relations transatlantiques et de l’utilisation militaire des technologies de rupture du Center for Security Studies de l’École polytechnique fédérale de Zurich.
Le dispositif de radars et capteurs censé prévenir toute attaque venu du ciel - baptisé Norad (North American Aerospace Defense Command - Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord) - a été pensé pour détecter “essentiellement des objets volants métalliques et bourrés d’électroniques”, rappelle James Pritchett, directeur adjoint du War Studies research center de l’université de Hull. Autrement dit, la signature radio d’un ballon n’est pas reconnue par ces radars à la recherche de la petite bête high-tech dans l’espace aérien américain.
Mais la question n'est pas seulement d'être capable de repérer ces ovnis grâce aux radars : "Le Pentagone peut très bien avoir été au courant de la présence de ballons dans l’espace aérien américain, mais le véritable défi est ensuite de définir d’où ils viennent et s’il s’agit de ballons civils ou militaires”, souligne Kenton White, spécialiste des questions de défense et des relations internationales à l’université de Reading.
Là encore, Norad n’a pas été calibré pour déterminer la nature d’un objet volant qui semble sorti d’un autre siècle. Et l’armée n’a pas de raison d’abattre un engin qui pourrait très bien être un simple ballon météorologique.
Hystérie ?
Cette incertitude sur la raison d’être des objets volants dans le ciel américain constitue le principal problème pour la défense anti-aérienne américaine, selon une partie des commentateurs. “Le rapport officiel du Pentagone sur les ovnis pour le mois de janvier 2022 dévoile une réalité inquiétante : il y a eu près de deux fois plus d’objets non-identifiés aperçus dans le ciel entre mars 2021 et août 2022 que sur la période entre 2004 et 2021”, note Peter Bergen sur CNN.
Tant que la principale question était de savoir s’il s’agissait de petits hommes verts, ces chiffres pouvaient encore prêter à sourire. Mais s’il s’agit d’une multiplication de ballons espions chinois, les choses se corsent.
“Toute cette histoire frôle tout de même un peu l’hystérie collective aux États-Unis”, suggère Danilo delle Fave, spécialiste des questions de sécurité à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona, qui a travaillé sur la compétition militaire dans l’espace aérien.
Pour lui, la balade des ballons chinois révèle peut-être une lacune des systèmes de détection par radar, mais qui ne rend pas l’espace aérien beaucoup moins sûr. Ce sont de bons espions, mais "les informations fournies par les satellites suffisent aux besoins de Pékin", assure Danilo delle Fave. Mais “pour évaluer la menace que ces engins volants représente pour la sécurité nationale, il faut comprendre les dommages qu’ils peuvent causer”, assure Dominika Kunertova.
Ils ne semblent pas capables de semer la destruction sur leur passage. Les débris du ballon abattu début février et récupérés par l’armée américaine contiennent des capteurs qui suggèrent que cet engin servait à de la surveillance et de la reconnaissance.
Ce n’est pas le type d’appareil à même de remettre en cause la raison d’être de Norad “qui doit protéger l’Amérique du Nord contre des tirs de missiles balistiques, voire hypersoniques, des satellites ou encore d’avions de chasse”, énumère Danilo delle Fave.
Mieux vaut prévenir que guérir
Il n’y aurait ainsi pas de raison militaire pour revoir le système de défense de l’espace aérien nord-américain de fond en comble parce que quelques ballons et autres ovnis potentiellement espions sont apparus dans le ciel. Mais “il y aura probablement un effort supplémentaire fourni pour développer des nouvelles méthodes pour détecter rapidement ces engins volants afin de calmer l’opinion publique”, estime James Pritchett de l’université de Hull.
Pour les experts interrogés par France 24, le plus surprenant dans cette affaire est que les militaires américains l’ont rendue publique. Le risque pour la sécurité nationale étant faible, “il n’y avait pas de raison particulière” de tirer aussi fort la sonnette d’alarme, juge Kenton White, de l’université de Reading.
“La publicité autour de ces ovnis et de leur destruction par l’armée de l’air relève davantage de la politique que du militaire”, veut croire ce spécialiste. “Les États-Unis ont voulu envoyer très publiquement un message à la Chine pour signifier qu’ils étaient dorénavant prêts à utiliser la force pour empêcher toute intrusion dans l’espace aérien”, poursuit Kenton White.
C’est aussi une manière pour Washington de décourager les États qui “comme la Corée du Nord ou l’Iran pourraient vouloir copier l’exemple chinois et investir dans une technologie - les ballons - peu chère”, affirme James Pritchett.
Et peut-être ainsi empêcher une course à l’armement des ballons. Car “le risque serait qu’ils soient équipés d’armes électroniques capables de perturber les communications au sol ou de créer des court-circuits”, souligne Danilo delle Fave. Mieux vaudrait chercher à prévenir plutôt que guérir.