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Accusé d'être l'un des principaux artisans de la répression de la minorité ouïghoure en Chine et sous le coup de sanctions américaines, le gouverneur régional du Xinjiang, Erkin Tuniyaz, a débuté, lundi, une tournée européenne controversée.

La démarche passe mal en Europe. Une délégation diplomatique emmenée par Erkin Tuniyaz, le nouveau gouverneur régional du Xinjiang, province chinoise où Pékin mène une politique de répression et d'internements massifs de membres de la minorité ouïghoure, a entamé, lundi 13 février, une tournée européenne.

À Londres, il pourrait dialoguer cette semaine avec des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères britannique. Il devrait ensuite se rendre à Paris puis à Bruxelles pour rencontrer des fonctionnaires de l'Union européenne, mais face à la polémique, ces deux dernières étapes de son voyage seraient incertaines, rapporte le journal Le Monde.

Selon nos informations, Erkin Tuniyaz est également susceptible de participer au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU à Genève, six mois après la publication d'un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme sur le Xinjiang qui avait jugé crédibles les allégations de "pratiques de torture ou de mauvais traitements, de mauvaises conditions de détention [...] tout comme les allégations d’incidents individuels de violences sexuelles et sexistes".

"L'Europe a été plus faible"

"La vérité c'est que ce sera de la propagande", dénonce, auprès de la BBC, I'ancien chef du parti conservateur Iain Duncan Smith, qui appelle le ministère des Affaires étrangères britannique à annuler les rencontres prévues avec le numéro 2 du Parti communiste chinois (PCC) au Xinjiang.

De son côté, le gouvernement de Rishi Sunak s'est empressé de rappeler qu'il ne s'agissait pas d'une invitation officielle de la part de Londres. "Il ne sera en aucune circonstance accueilli avec une rencontre ministérielle", a précisé le sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Leo Docherty. "Un dialogue robuste pour dénoncer les violations des droits de l’Homme et défendre les opprimés est au centre de l'approche diplomatique du Royaume-Uni", a-t-il justifié.

Sanctionné par les États-Unis en décembre 2021, Erkin Tuniyaz, d'origine ouïghoure, a échappé jusqu'ici à des sanctions au niveau européen, ce qui lui permet, muni d'un passeport diplomatique, de voyager sans encombre sur le continent .

"L'Europe a été plus faible dans sa condamnation par rapport à d'autres pays comme les États-Unis ou le Canada. C'est la raison pour laquelle la Chine a choisi de commencer à approcher les gouvernements européens", estime Zumretay Arkin, porte-parole du Congrès mondial ouïgour, une association basée à Munich, en Allemagne.

"C'est une façon pour la Chine de reprendre contact avec l'Europe à travers une personne qui est elle-même ouïghoure. Cela fait partie d'une stratégie de communication", analyse Vanessa Frangville, professeure d'études chinoises à l'Université libre de Belgique (ULB). Les régions autonomes chinoises sont dirigées à la fois par un gouverneur de Pékin et un élu local.

Un personnage clé du dispositif chinois

Mathématicien de formation, Erkin Tuniyaz est décrit comme un haut fonctionnaire zélé ayant gravi un à un les échelons du pouvoir. Élu en janvier gouverneur régional du Xinjiang, il est considéré comme un personnage clé de la politique de contrôle et d'internement des populations ouïghoures mise en place par Pékin.

"Il a été l'un des principaux dirigeants du comité du PCC au Xinjiang, celui qui a mis en place la législation sur les camps et les détentions massives. Par ailleurs, il a aussi supervisé les travaux d'une commission qui contrôle tous les organes de sécurité de la région", détaille Vanessa Frangville.

Les "Xinjiang police files" ont également permis d'exhumer des discours dans lesquels Erkin Tuniyaz appelle à renforcer les mesures de sécurité des camps pour éviter les évasions. "Nous considérons que c'est un criminel et que sa place est dans un tribunal. Ce n'est pas le moment d'avoir un dialogue avec lui", affirme Zumretay Arkin.

Un avis partagé par le député belge Samuel Cogolati, vent debout contre la possible venue d'Erkin Tuniyaz à Bruxelles. Lors de cette visite, le gouverneur régional du Xinjiang ne rencontrerait toutefois aucun dirigeant européen, mais pourrait s'entretenir avec des diplomates du Service d'action extérieure de l'UE.

"Incohérence scandaleuse"

"Je soutiens le fait qu'il y ait encore un canal de dialogue ouvert avec la Chine sur les questions internationales. Mais je refuse qu'on laisse passer cette visite comme une lettre à la poste", explique l'élu écologiste, lui-même visé par des contre-sanctions de Pékin pour son rôle actif dans la dénonciation des crimes commis par la Chine contre la minorité ouïghoure.

En 2021, l'UE avait imposé des sanctions à quatre responsables chinois en raison du traitement infligé aux Ouïghours. Cette décision avait entraîné des mesures de représailles de la part de Pékin et un gel de la ratification d'un accord économique entre l'UE et la Chine.

Samuel Cogolati estime que cette visite représente une "incohérence scandaleuse" alors que le Parlement belge a reconnu, en 2021, "un risque sérieux de génocide" contre les Ouïghours. Plusieurs pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et les Pays-Bas, ont accusé la Chine de commettre un génocide au Xinjiang.

"Il y a une obligation juridique pour la Belgique", assure le député belge. "Si Erkin Tuniyaz devait poser le pied sur le sol belge, je demande à la ministre des Affaires étrangères d'engager des poursuites judiciaires pour son implication personnelle et directe dans des crimes contre l'Humanité".

Malgré l'accumulation des témoignages et des rapports ces dernières années, Pékin continue de nier toutes les allégations de violations des droits de l'Homme au Xinjiang. Selon le discours officiel chinois, les camps d'internement au Xinjiang seraient des "camps de rééducation" destinés à lutter contre "le terrorisme".