Le secteur du bâtiment est au cœur des critiques après les séismes en Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a notamment promis de faire payer les responsables. Pas sûr que cela apaise pour autant la colère d’une population qui constate qu’en dépit des réglementations anti-sismiques, de nombreuses constructions n'étaient pas et ne sont toujours pas aux normes. Nos correspondants se sont rendus à Osmaniye pour comprendre ce phénomène.
À Osmaniye, dans le sud de la Turquie, de longues fissures lézardent dangereusement la façade d'un ensemble résidentiel. Sorti de terre il y a à peine deux ans, ce rutilant complexe – comme tant d’autres à travers le pays – est le symbole d'un pays moderne dont la croissance économique est portée par le secteur du bâtiment.
"L’immeuble a fait ce pourquoi il a été construit, il a résisté et, Dieu merci, nous n’avons aucune victime", explique Cevdet Tasdemir, des Constructions Fidas. Tout va bien donc, mais les premiers inspecteurs semblent plus circonspects. "Ils ont insisté pour que personne n’y retourne et [...] ils ont dit qu’un rien pourrait provoquer un effondrement."
Pourquoi une telle fragilité ? Pourquoi autant de bâtiments se sont écroulés ? Pourquoi autant d’immeubles sont actuellement inhabitables ? Un couple d’architectes alerte sur la situation depuis des années, en dénonçant une collusion d’intérêts entre politiques et promoteurs qui veulent construire toujours plus vite, toujours moins cher.
"Des permis de construire sont accordés dans des champs ou sur des terrains placés sur des failles", affirme Mustafa Sen. Et sa femme d'ajouter : "Des étages sont ajoutés sans contrôle, il n’y a pas suffisamment d’inspections… Tout cela est la cause des effondrements des immeubles et de tant de morts."
Pour mettre à bas ce système, la justice doit intervenir. Mais en Turquie – un pays régulièrement rappelé à l’ordre par la Cour européenne des droits de l’Homme – beaucoup doutent qu’elle puisse travailler librement.
"Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas de manquements en Turquie : il y a beaucoup de violations des droits de l’Homme et de l’État de droit, mais cette situation dépasse tout", explique Mehmet Karakoç président du barreau d’Osmaniye. "Beaucoup de gens sont morts, de nombreuses villes sont sinistrées. Personne ne peut plus prendre de risques, personne ne peut plus accepter des pots de vin ou céder aux pressions."
Depuis le 6 février, plusieurs promoteurs immobiliers ont été arrêtés, mais aucun responsable politique ayant délivré les permis de construire.