Face au constat préoccupant d’une société encore marquée par l’inégalité entre les femmes et les hommes, le Haut conseil à l'égalité propose un plan d’urgence massif, notamment la garantie des séances d’éducation à la sexualité. Face à l'influence de la pornographie chez les jeunes, les professionnels s'inquiètent que ces séances, pourtant prévues par la loi, soient trop peu souvent mises en place dans les établissements scolaires.
Le sexisme perdure en France, y compris chez les jeunes. C’est le constat dévoilé par le Haut conseil à l'égalité (HCE), à l’occasion de la journée de lutte contre le sexisme, mercredi 25 janvier. "Les jeunes générations sont les plus touchées", écrit le HCE, qui recommande notamment l’instauration d’une obligation pour la tenue des enseignements à la sexualité et à la vie affective, prévus par la loi.
Celle-ci, datant de 2001, impose trois cours par année scolaire de la maternelle au lycée. Dans les faits, la directive est peu appliquée dans les établissements scolaires.
Seuls 15 % des lycéens et 20 % des collégiens bénéficient de ces séances, selon le rapport de l’Inspection générale de l’Éducation remis en juillet 2021, rendu public un an plus tard. De même, une enquête du collectif féministe #NousToutes, réalisée entre 2021 et 2022 montrait que les élèves n’avaient bénéficié en moyenne que de 13 % du nombre de séances prévues, soit 2,7 au lieu des 21 séances qu’ils auraient dû avoir sur l'ensemble de leur scolarité.
Le porno, souvent seule référence des ados
Margot Fried-Filliozat est sexothérapeute et intervenante en éducation sexuelle en région parisienne. Deux semaines avant chacune de ses interventions, une boîte à questions anonymes est mise à disposition des élèves de quatrième et de troisième. "À cet âge, leurs interrogations tournent beaucoup autour des normes et des obligations pour être accepté par le groupe", relate Margot Fried-Filliozat, qui donne un exemple qui l’a marquée : "Suis-je obligée de tout faire (vagin et anus) lors de ma première fois ?", avait questionné une adolescente.
Mais d’autres questions vont beaucoup plus loin raconte l’intervenante. "C’est quoi le bukkake ? Est-ce que la zoophilie c’est bien ?" En cause : la pornographie, souvent seule référence des adolescents, qui influence leur perception de la sexualité. Chez les 18-24 ans, un jeune sur trois estime que la pornographie est un moyen comme un autre de faire son éducation sexuelle, selon la dernière enquête de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, conduite par Ipsos.
En septembre dernier, un rapport parlementaire appelait le gouvernement à lutter contre les dérives de l’industrie pornographique, contenant par ailleurs plusieurs propositions pour empêcher les mineurs d'accéder au contenu pornographique sur Internet. Une précaution qui s'impose en théorie aux diffuseurs mais qui, dans les faits, n'est pas appliquée.
Ainsi, les séances d’éducation à la sexualité s’imposent comme un levier de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, permettant d’enseigner la notion du consentement. "Quand ils voient que j’emploie les vrais mots et que je n’hésite pas, il y a une prise de parole beaucoup plus libre", raconte Margot Fried-Filliozat qui relate des échanges "authentiques et sans tabou" avec les jeunes.
En grande majorité, ces séances ne sont pas dispensées par des professionnels mais par les professeurs de SVT (Sciences de la vie et de la terre), précise l’enquête de #NousToutes. Et les thèmes abordés font en réalité déjà partie du programme scolaire. "Savoir où se situent les trompes de Fallope, c’est insuffisant ! La reproduction, ce n’est pas la sexualité", martèle Margot Fried-Filliozat.
Une société patriarcale "aux rôles bien genrés"
Pour de nombreux mouvements féministes, l’école a un rôle déterminant dans la prévention contre les violences sexistes et sexuelles. Chaque année, le Planning familial intervient auprès de 150 000 jeunes dans 3 500 établissements scolaires, de la primaire à la terminale. "L’éducation à la sexualité, c’est un outil d’émancipation individuel et collectif", affirme Sarah Durocher, co-présidente nationale du Planning familial. "C’est développer son esprit critique et faire ses propres choix."
Car les violences sexistes et sexuelles découlent "de la société patriarcale où les rôles sont bien genrés", poursuit-elle. "On se rend compte que dans les livres, les dessins animés et les films, on est sur des relations très hétérocentrés. Questionner le rôle de la femme dans un conte, dès le plus jeune âge en primaire, et donc de questionner ce qu’il se passe à la maison, cela permet de mettre une petite graine dans la tête sur des choses qui ont toujours été affirmées."
Dans l’article du Code de l'éducation, les thèmes à aborder lors de ces séances sont la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, la puberté ou encore les préjugés sexistes et homophobes. "La loi est très bien faite, on ne veut pas la changer", précise Sarah Durocher. "Malheureusement, elle n’est pas effective", explique-t-elle, dénonçant le manque de volonté politique affirmée et de moyens financiers.
En revanche, pour Ginevra Bersani, économiste et co-autrice de "Le coût de la virilité" (éd. Anne Carrière) , "il n’y a pas une réponse universelle qui peut être apportée par l’école à elle seule. Il faut faire attention quand on parle d’échec des politiques publiques parce que l’éducation se fait à tous les niveaux, en famille, dans le cadre religieux, à la télévision, etc."
L’économiste rappelle qu’il n’y a pas que les femmes qui sont victimes du patriarcat. "Les garçons sont aussi victimes d’un système qui les empêche de parler, de ressentir des sentiments et d’en parler", explique-t-elle. "Il y a un tabou sur le fait de faire sortir les émotions et les sentiments, parce que ça sort du cadre de l’homme fort, courageux, qui n’a peur de rien."
Les jeunes sont conscientisés sur la question des violences depuis le mouvement #MeToo et la libération de la parole. Margot Fried-Filliozat observe, en classe, que de plus en plus de jeunes filles militent pour les droits des femmes. "Certaines n’hésitent pas à intervenir. Je me souviens de l’une d’elle lancer en classe : ‘Bien sûr que les filles se masturbent, c’est important !’", raconte l’intervenante, qui salue les nombreux comptes dédiés à l'éducation à la sexualité qui se multiplient sur les réseaux sociaux ces dernières années. Snapchat, YouTube, et TikTok permettent aussi aux jeunes de poser des questions qu'ils n'osent poser à personne.