La justice grecque a annulé vendredi la procédure pour "espionnage" à l'encontre de plus de vingt travailleurs humanitaires sur l'île de Lesbos, dans le nord-est de la mer gée. Une décision prise par le tribunal de Mytilène en raison de vices de procédure.
La justice grecque a annulé, vendredi 13 janvier, la procédure pour "espionnage" à l'encontre de 24 travailleurs humanitaires sur l'île de Lesbos, mettant un terme à un procès controversé, critiqué par l'ONU et des ONG dénonçant la criminalisation des bénévoles portant secours aux migrants.
Le tribunal de Mytilène, le chef-lieu de cette île grecque de la mer Égée, a dit avoir pris cette décision en raison de vices de procédure, notamment l'absence de traduction de l'acte d'accusation à destination des étrangers mis en cause dans cette affaire.
Tous sont d'anciens bénévoles ayant aidé les migrants à Lesbos, l'une des principales portes d'entrée en Europe des réfugiés, qui a vu affluer sur ses côtes depuis 2015 des centaines de milliers d'entre eux fuyant en particulier les conflits au Moyen-Orient.
"Ceci n'est pas la justice !"
Une procédure distincte visant ces travailleurs humanitaires pour trafic de migrants, blanchiment d'argent et fraude est toutefois toujours en cours d'instruction en Grèce.
"Ceci n'est pas la justice ! La justice, cela aurait été un procès il y a quatre ans dans lequel nous aurions été innocentés (...). C'est seulement une erreur de procédure" qui nous permet d'échapper à la justice dans ce volet de l'affaire, a réagi Sean Binder, l'un des principaux accusés, sur les marches du palais de justice.
Parmi les autres accusés figure la jeune Syrienne Sarah Mardini, qui a inspiré avec sa sœur nageuse olympique Yusra une fiction diffusée sur Netflix. Réfugiée à Berlin après une odyssée de Damas jusqu'à l'Allemagne en 2015 en compagnie de sa sœur, elle était retournée en Grèce en tant que bénévole pour l'ONG Erci.
Arrêtée en 2018, elle avait passé trois mois en prison avant d'être libérée sous caution. Elle n'était pas à l'audience vendredi et n'avait pas pu assister à l'ouverture du procès en novembre 2021 en raison d'une interdiction d'entrer en Grèce.
"La plus grande affaire de criminalisation de la solidarité en Europe"
Le Haut-commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies avait auparavant demandé à la justice grecque d'abandonner toutes les accusations retenues contre les humanitaires.
"Ce genre de procès est vraiment inquiétant, parce qu'il criminalise les actions qui sauvent la vie des gens et crée un dangereux précédent", a dénoncé vendredi Elizabeth Throssell, une porte-parole du Haut-commissariat. Ce procès a été présenté par le Parlement européen comme "la plus grande affaire de criminalisation de la solidarité en Europe". Amnesty International l'a qualifié de "farce".
Après le verdict, l'ONG a réclamé l'arrêt de toute les poursuites pénales encore en cours et pour lesquelles ces humanitaires encourent, selon elle, 25 ans de prison. Le tribunal "a reconnu des erreurs dans une procédure qui n'aurait jamais dû avoir lieu", a assuré à l'AFP Glykeria Arapi, la directrice de la section grecque d'Amnesty, présente sur place.
Les accusés avaient reçu le soutien de nombreuses organisations de défense des droits humains mais aussi de députés européens ayant assisté à des audiences ou ayant déployé des pancartes de soutien devant le tribunal. "Nous avons eu tellement de chance d'avoir un soutien international", a d'ailleurs souligné Sean Binder. "Cela a contraint le procureur à reconnaître au moins les erreurs commises" dans la procédure.
L'ONG Human Rights Watch (HWR) a en outre critiqué le fait que les poursuites aient été engagées sur la base de rapports de police contenant des erreurs factuelles, "notamment des affirmations selon lesquelles certains des accusés ont participé à des opérations de sauvetage à des dates auxquelles ils ne se trouvaient même pas en Grèce".
"Environnement hostile"
À Strasbourg, le Conseil de l'Europe a fustigé "l'environnement hostile" dans lequel travaillent en particulier les défenseurs des droits humains en Grèce, "un sujet de préoccupation depuis plusieurs années".
"J'exhorte les autorités grecques à faire en sorte que les défenseurs des droits humains puissent travailler en toute sécurité et en toute liberté", a lancé la commissaire aux Droits de l'Homme de cette organisation, Dunja Mijatovic.
Cette procédure déclenchée en 2018 avait conduit à ce que la plupart des ONG de secours aux migrants cessent leurs activités en mer en Grèce, un pays par ailleurs accusé de pratiquer des refoulements illégaux à ses frontières vers la Turquie voisine.
Avec AFP