
Depuis près d'un mois et l'abandon de la stratégie "zéro Covid" début décembre, la Chine ne vit plus au rythme des mesures draconiennes qui régissaient le pays depuis trois ans. Un soulagement pour plusieurs Français expatriés qui, malgré la flambée actuelle des contaminations, espèrent entrevoir – pour de bon la sortie du tunnel.
Finis les tests PCR tous les deux jours, les confinements brutaux, les centres de quarantaine… Depuis un mois, et trois ans après l'apparition des tout premiers cas de Covid-19, la Chine a mis fin à sa draconienne stratégie "zéro Covid". Mais à l'euphorie suscitée par la nouvelle a succédé une flambée inédite de l'épidémie partout dans le pays. En quelques jours, les hôpitaux se sont ainsi retrouvés saturés – avec, en majorité, des patients âgés, peu vaccinés, submergeant les services d'urgence –, les pharmacies ont été prises d'assaut pour les médicaments antifièvre, tandis que les crématoriums ont été rapidement dépassés par l'afflux de corps.
À Shanghai, capitale économique de la Chine, par exemple, environ 70 % des habitants, soit quelque 18 millions de personnes, auraient ainsi contracté le coronavirus depuis début décembre.
Si à l'étranger cette situation provoque l'inquiétude – des spécialistes redoutant l'apparition de nouveaux variants –, plusieurs Français expatriés en Chine font part, quant à eux, de leur soulagement devant la levée des restrictions sanitaires. Avec le même espoir qu'à l'issue de cette vague de contaminations, la vie revienne enfin à la normale.
Des dernières semaines sous le couperet des restrictions sanitaires aux manifestations contre la stratégie "zéro Covid" et à son abandon soudain, trois d'entre eux, dont un contacté pour la première fois par France 24 en avril, ont accepté de partager leur témoignage.
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Johanne, 40 ans, responsable financière d'une entreprise française
"Je ne pensais pas un jour être témoin, dans un pays autoritaire comme la Chine, de manifestations comme celles qu'il y a eu contre la stratégie 'zéro Covid' en novembre. Jamais, depuis 12 ans que je vis à Shanghai, je n'ai entendu autant de paroles mettant directement en cause Xi Jinping et sa politique. La population en avait vraiment ras-le-bol. Ce qui est tout à fait compréhensible… J'en connais beaucoup qui ont perdu leur travail depuis 2019 et ne sont plus en mesure de mettre un centime de côté. La population aimait Xi Jinping parce qu'il représentait le 'rêve chinois', mais la stratégie 'zéro Covid' a fait s'effondrer tous leurs espoirs.
De mon côté – je l'admets –, je pensais que ces manifestations n'aboutiraient à rien. Quand le gouvernement a annoncé la levée des restrictions, je n'y croyais même pas. Entre collègues, nous nous disions qu'il y avait un piège et que les autorités allaient rétropédaler. Finalement, en les voyant maintenir leur cap malgré la flambée de l'épidémie, j'ai maintenant l'impression qu'ils ont plutôt eu une réaction puérile face aux manifestations : comme s'ils s'étaient dit 'Vous remettez en cause notre politique ? Eh bien maintenant, débrouillez vous.' Car c'est exactement ce qu'il s'est passé. Du jour au lendemain, il n'y a plus eu aucun contrôle, plus d'obligation de porter le masque, plus rien. La seule consigne que l'on nous a donnée était : 'Si vous êtes malades, débrouillez-vous. Gérez comme vous le pouvez mais n'allez pas engorger les hôpitaux !"
La vague de contaminations ne m'a pas surprise. Dès que les mesures sanitaires ont été levées, je savais que sortir, c'était prendre le risque d'attraper le Covid. Et comme je m'y attendais, je l'ai attrapé mi-décembre, comme tout le monde autour de moi. Parmi mes amis expatriés, nous étions tellement sûrs qu'on n'y échapperait pas que nous étions presque soulagés de l'avoir. Avec les fêtes de fin d'année qui approchaient, cela nous a permis de sacrifier Noël mais pas le Nouvel An, ni le Nouvel An chinois.
J'ai tout de même été bien malade, avec beaucoup de fatigue, une grosse toux et de la fièvre. D'ailleurs, j'ai eu beaucoup plus de symptômes que mon compagnon qui, contrairement à moi qui suis vaccinée avec des vaccins chinois, est vacciné avec Pfizer. Heureusement, nous n'avons pas subi les pénuries dans les pharmacies car nous avions rapporté un stock de médicaments de nos vacances d'été en France. Une vraie chance par rapport à de nombreux locaux.
Maintenant, le gros de la vague de contaminations semble être passé à Shanghai. Et si la population pourrait toujours ressentir de la frustration à avoir subi des mois de restrictions pour finir avec les hôpitaux submergés, j'ai surtout l'impression que tout le monde veut passer à autre chose. Après des mois à vivre dans une forme de terreur, j'ai la sensation que l'atmosphère redevient enfin plus sereine. Par exemple, il y a quelques jours, j'ai toussé dans la rue. Et pour la première fois depuis longtemps, je ne me suis pas inquiétée des conséquences. C'est si libérateur ! On a enfin le droit d'être malade après trois années où on avait l'impression qu'attraper le Covid-19 était le pire crime possible.
Car pendant tout ce temps, ce n'était pas d'être malade qui me faisait peur, mais toutes les conséquences que cela impliquait. Par exemple, j'avais entendu plein d'histoires sordides où les animaux de compagnie de personnes testées positives étaient abattues par crainte qu'ils soient porteurs du coronavirus. J'ai deux chiens, et cela m'inquiétait beaucoup.
Avec un peu de recul, je pense que l'année 2022 aura vraiment été charnière pour les Chinois. La population s'est rendu compte du décalage entre ce que nous vivions et ce que vivait le reste du monde. Nous avions tous la même question : pourquoi continue-t- on à nous infliger cette draconienne stratégie 'zéro Covid' ? Et cette interrogation rendait les restrictions beaucoup plus pesantes. En cela, le confinement d'avril dernier aura été le moment le plus difficile à vivre pour moi, même si j'étais loin d'être la plus malheureuse dans mon grand appartement, avec mon salaire d'expatriée. Il ne faut pas oublier que certains locaux l'ont vécu dans de petits appartements avec souvent plusieurs générations sous le même toit.
Mais il y a aussi du positif à retirer de cette période. Dans ce pays où les gens échangent très peu dans la rue, où on connaît rarement ses voisins, j'ai vu naître une entraide incroyable et plein de barrières sociales se sont levées.
Dans quelques semaines, fin février, mon compagnon et moi nous envolerons vers la Finlande pour y emménager. Je suis d'origine chinoise. Je sais qu'à un moment, je reviendrai ici. Mais ces derniers mois nous ont donné envie d'un nouveau départ et de nous reconnecter à la nature. Et clairement, ces trois dernières années n'y sont pas étrangères. Mais au moins, avant notre départ, on va pouvoir profiter de quelques jours de vacances et voir une Chine qui revit. C'est la fin de sacrées montagnes russes !"
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Jeanne, 39 ans, professeure de français
"J'ai l'impression d'avoir vécu dans un futur dystopique un peu bizarre pendant trois ans, et qu'enfin, l'avenir s'éclaire. Je vis à Zhuhai, un peu l'équivalent de Nice en France – une ville côtière, assez riche et plutôt calme. Contrairement aux grandes métropoles, comme Shanghai ou Pékin, j'ai été épargnée par les confinements généraux et très stricts. Malgré tout, j'ai passé trois ans avec la menace d'être soudainement confinée dans mon immeuble ou envoyée en quarantaine. À l'université où je travaille, on m'avait même demandé de préparer un sac avec un pyjama, une tenue de rechange et un nécessaire de toilette au cas où je ne pourrais plus quitter l'établissement après la détection de cas positifs au Covid. Et comme partout en Chine, il a fallu vivre avec les tests toutes les 24 ou 48 heures, le QR code pour entrer dans les lieux publics.
Mon copain, qui est originaire de Hong Kong, et moi avons sincèrement envisagé de quitter la Chine alors que j'adore vivre ici. J'ai été jusqu'à postuler dans plusieurs universités, à Londres ou en Australie. Rien n'a abouti donc nous sommes restés, mais si nous en avions eu la possibilité, nous serions partis.
Finalement, j'ai attrapé le Covid-19 deux jours après l'annonce de la levée des restrictions sanitaires. C'est d'ailleurs étonnant comme cela a été rapide, au point que je soupçonne que le virus circulait déjà bien plus que ce que nous pensions. Le gouvernement a abandonné la stratégie 'zéro Covid' le 7 décembre. Le lendemain, toutes les tentes pour les tests de dépistage avaient disparu des rues et le QR code dont on ne pouvait pas se passer pour se déplacer était hors service. Deux jours après, tout le monde autour de moi était malade. L'université a même décidé de laisser les élèves rentrer chez eux avant la fin du semestre et de décaler les examens.
Toute la famille de mon copain, qui vit à Zhuhai lui aussi, a été contaminée, y compris ses grands-parents et ses tantes, très âgés. Cela nous a beaucoup inquiété mais heureusement, tout le monde s'en est sorti. Le problème, c'est qu'en Chine, la médecine de ville n'existe quasiment pas. Quand on est malade, il n'y a pas d'autre choix que de se rendre à l'hôpital. Ce n'est donc pas étonnant que les hôpitaux soient très vites submergés quand il y a une épidémie.
J'avais de toute façon prévu de rentrer en France pour les fêtes de fin d'année, prête à subir la quarantaine à mon retour. Ma famille me manquait, je n'avais pas vu mes proches depuis 2019. Ironie du sort, c'est finalement la levée des restrictions qui aura failli m'empêcher de voyager puisque j'étais positive au Covid-19 juste avant. Heureusement, j'ai été rétablie pile à temps pour prendre l'avion.
Maintenant, ma plus grosse inquiétude, c'est que certains pays aillent plus loin que d'imposer des tests négatifs et interdisent totalement aux voyageurs venant de Chine d'entrer sur leur territoire, refermant de facto les frontières. Je trouve totalement normal qu'on nous demande de nous tester, mais je vivrais mal que le pays se retrouve de nouveau complètement isolé."
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Thibault, 29 ans, informaticien
"Lorsque je suis rentré en Europe cet été, je n'étais pas sûr de vouloir revenir en Chine. Après quatre mois à voyager et à y réfléchir, j'ai décidé de prendre mon billet retour. À quoi ça servait d'avoir enduré des mois de restrictions et d'avoir fait le plus dur pour abandonner maintenant ?
Quand le gouvernement a finalement annoncé la levée des restrictions, j'étais si soulagé. Nous avons fait la fête toute la nuit avec mes amis. Mais nous n'avons pas échappé au pic de contaminations. Dans les jours qui ont suivi, tous mes collègues – qui étaient tous vaccinés avec des vaccins chinois – ont attrapé le Covid-19. Dans mon entreprise, cela n'a pas vraiment posé de souci. Étant donné qu'ils étaient tous malades en même temps, nous avons simplement décidé de décaler tous les projets de dix jours. De mon côté, je suis vacciné avec Pfizer et j'ai déjà eu le Covid-19. Je suis passé entre les mailles du filet.
Et puis, il y a eu les manifestations. J'ai assisté à celle qui a eu lieu à Shanghai. Je n'avais jamais vu ça en Chine : les manifestants étaient clairement prêts à en découdre avec les forces de l'ordre. Leur colère était palpable. Je pense que ça a été vraiment un déclic pour les autorités.

Quand le gouvernement a finalement annoncé la levée des restrictions, j'étais si soulagé. Nous avons fait la fête toute la nuit avec mes amis. Mais nous n'avons pas échappé au pic de contaminations. Dans les jours qui ont suivi, tous mes collègues - qui étaient tous vaccinés avec des vaccins chinois - ont attrapé le Covid-19. Dans mon entreprise, cela n'a pas vraiment posé de souci. Étant donné qu'ils étaient tous été malades en même temps, nous avons simplement décidé de décaler tous les projets de dix jours. De mon côté, je suis vacciné avec Pfizer et j'ai déjà eu le Covid-19. Je suis passé dans les mailles du filet.
Pendant plusieurs jours, je me suis baladé dans les rues de Shanghai qui étaient complètement vides, comme pendant les confinements. Les gens restaient chez eux, soit parce qu'ils étaient déjà malades, soit parce qu'ils avaient peur de le devenir. C'était incroyable. Maintenant, la flambée des contaminations semble commencer à se calmer et les choses reviennent doucement à la normale.
Enfin, nous allons retrouver tout ce pour quoi nous aimons vivre en Chine. Surtout, la croissance va pouvoir reprendre et, avec elle, des opportunités professionnelles vont certainement émerger. Beaucoup d'expatriés sont partis cet été : à nous qui sommes restés d'aider l'économie.
Et nous allons enfin pouvoir recommencer à voyager. Même si certains pays ont remis en place des tests au départ ou à l'arrivée – ce qui est tout à fait compréhensible –, les frontières sont enfin ouvertes. La première chose que j'ai faite en apprenant la levée des restrictions, c'est de réserver un billet d'avion pour aller skier pour le Nouvel An chinois. Et autour de moi, c'est la même libération pour tout le monde. Après en avoir été privés pendant trois ans, la plupart de mes amis chinois vont pouvoir aller passer cette période en famille."