Discriminations à l'encontre de la communauté LGBT+, peine de mort pour les terroristes, contrôle du système judiciaire... Le nouveau gouvernement israélien qui doit être présenté au Parlement, jeudi, prévoit une série de projets de loi portant le sceau des alliés d’extrême droite et ultra-orthodoxes du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Ce sera le gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël. Benjamin Netanyahu, détenteur du record de longévité à la tête du pays, doit présenter, jeudi 29 décembre, son cabinet, lors d'une session extraordinaire de la Knesset, le Parlement israélien.
Cependant, d'ultimes tractations devraient encore avoir lieu entre le Likoud, ses alliés ultra-orthodoxes et les partis d'extrême droite de la coalition : le Premier ministre a en effet jusqu'au 2 janvier pour conclure des accords avec ses nouveaux partenaires.
Si rien n'est encore officiel, certains détails et points d'accord ont toutefois filtré ces derniers jours confirmant l'influence colossale que s'apprêtent à jouer des formations longtemps considérées comme des parias de la politique israélienne.
Non contents d'hériter de postes clés, à l'image d'Itamar Ben-Gvir, chef du parti ultranationaliste Otzma Yehudit, qui prendra la tête d'un "superministère" de la sécurité nationale, ces petites formations politiques devraient également imposer au Likoud de larges pans de leurs programmes.
"Netanyahu est aux abois avec un procès où il risque d'être condamné. Il est prêt à payer tous les prix et ces partis l'ont très bien compris. C'est donc la première fois que des partis composés de sept ou huit députés sur une majorité qui en compte 64 obtiennent autant de choses", analyse l'historien franco-israélien Simon Epstein.
Incitation à la haine et discriminations anti-LGBT+
Parmi les projets de loi les plus controversés figure la fin de l'interdiction de siéger pour les députés coupables d'incitation à la haine raciale. Une disposition largement perçue comme une loi sur mesure pour le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, condamné à de nombreuses reprises pour ses provocations et ses discours de haine.
Cette clause avait été introduite par la Knesset en 1985 pour empêcher les partisans du mouvement kahaniste, dirigé par le rabbin extrémiste Meir Kahane, dont Ben Gvir est un disciple, d'entrer au Parlement.
"Cette loi a fonctionné pendant des années mais Ben Gvir a forcé le barrage avec l'aide de Netanyahu en se présentant comme non raciste [Itamar Ben Gvir a été élu député en mars 2021, NDLR] . Désormais, il veut élargir la brèche", explique le spécialiste de l'antisémitisme et du racisme, Simon Epstein.
Les projets de la nouvelle coalition font également craindre des discriminations à l'encontre des personnes LBGT+. En témoigne, l'accord conclu entre le Likoud et Yahadout HaTorah, l'un des principaux partis religieux ultra-orthodoxes du pays. Il prévoit notamment de modifier la législation actuelle pour permettre à des fournisseurs de services de refuser des clients "en raison de croyances religieuses".
Gages aux ultra-orthodoxes
Plusieurs partis de la coalition se présentent comme des formations ouvertement homophobes dont le parti Noam dirigé par Avi Maoz. Faisant figure de bons élèves au Moyen-Orient, beaucoup d'Israéliens craignent désormais un retour en arrière des droits des personnes homosexuelles dans leur pays.
"Il va également y avoir l'aspect des valeurs qui vont être diffusées dans le système éducatif, la justice... D'une manière générale, les valeurs de base de la société vont être chamboulées", déplore Simon Espstein.
Benjamin Netanyahu semble avoir cédé sur de nombreux points aux ultra-orthodoxes, qui pourraient obtenir des exemptions de l’obligation du service militaire pour les étudiants en religion ou encore l'autorisation du financement public d’événements non mixtes.
Enfin, le Likoud aurait également consenti à une augmentation significative des subventions accordées aux établissements dispensant une éducation religieuse. "Les ultra-orthodoxes veulent tirer un maximum d'argent de l'État pour nourrir leur population car les hommes ne travaillent pas. Par ailleurs, ils veulent imposer leur conception primitive du judaïsme à l'ensemble de la société, comme le respect absolu du shabbat", estime Simon Epstein.
Peine de mort pour les terroristes
Partisan de l'extension des colonies juives en Territoires occupés, le nouveau gouvernement pourrait présenter un projet d'annexion pure et simple de la Cisjordanie, selon la presse israélienne. Cette éventualité avait déjà été défendue par Donald Trump en 2020 lors de la présentation d'un "plan de paix" très favorable à Israël.
Cependant, "cet engagement est formulé en des termes vagues, ce qui pourrait permettre à Netanyahu de ne rien en faire en pratique", note le Times of Israël. Par ailleurs, l'administration Biden n'approuvera jamais une telle annexion, totalement contraire au droit international.
Avec l'arrivée de figures de l'extrême droite israélienne au pouvoir, beaucoup s'attendent également à un tour de vis sécuritaire. En témoigne, la volonté d'Otzma Yehudit d'imposer la peine de mort pour les terroristes. En Israël, la peine de mort est légale mais elle n'est jamais appliquée dans les faits. Elle n’a été utilisée qu’une seule fois, en 1962, contre le criminel de guerre nazi et responsable de la logistique de la "Solution finale", Adolf Eichmann.
Là encore, il est peu probable que le Likoud mette en pratique une telle disposition à la fois en raison des pressions internationales mais aussi des conséquences sécuritaires, selon Simon Epstein. "Il y a un risque de mesures de représailles, par exemple des enlèvements qui précéderaient une exécution. C'est un risque qu'aucune société qui se trouve dans cette confrontation permanente avec le terrorisme ne peut prendre."
Le contre-poids judiciaire en sursis
Pierre angulaire de la politique du nouveau gouvernement, la réforme du système judiciaire doit permettre de contourner les décisions de la Cour suprême défavorables aux projets de loi gouvernementaux. Elle est considérée comme une priorité pour les partis au pouvoir.
Pour les critiques de la coalition, cette réforme bouleverserait totalement les équilibres de la démocratie israélienne car le pays n'a pas de constitution à proprement parler mais des Lois fondamentales, dont le pouvoir judiciaire est le garant.
"La coalition cherche à détruire ce contre-poids judiciaire qui assurait la prééminence d'un certain nombre de valeurs dont l'égalité entre les personnes sans distinction de la religion ou du sexe", explique Simon Epstein qui voit ici une convergence d'intérêts au sein de la coalition. "Les religieux veulent y mettre fin pour assurer la suprématie de la religion juive, les partisans de Netanyahu pour le libérer de son procès, les défenseurs de l'annexion pour libérer leurs partisans des limites à la violence exercée à l'égard des Palestiniens."
Ce coup de force conservateur qui ouvrirait la porte à toute une série d'atteintes aux droits fondamentaux fait l'objet de nombreuses inquiétudes en Israël au sein de la classe politique et de la société civile. La procureure générale, Gali Baharav-Miara, s'en est émue fin décembre dénonçant "une démocratie sur le papier, mais pas en substance". Quant à Ron Huldai, le maire de Tel-Aviv, ville réputée pour être un bastion laïc et progressiste, il a récemment estimé qu'Israël était en train de passer "d’une démocratie à une théocratie".
"C'est une révolution", s'alarme Simon Epstein. "Ces partis ont finalement obtenu la transformation d'une démocratie libérale qui fonctionnait plus ou moins bien en un régime autoritaire, théocratique sur beaucoup d'aspects, raciste sur d'autres".