Les députés espagnols ont adopté, jeudi en première lecture, un projet de loi permettant le changement de genre dès l'âge de 16 ans. Un texte qui, s’il est définitivement adopté, fera de l'Espagne l’un des rares pays autorisant l'autodétermination du genre par une simple déclaration administrative.
Le changement de genre sur les papiers d'identité pourrait bientôt devenir une simple formalité administrative en Espagne. Un projet de loi controversé a été adopté en première lecture, jeudi 22 décembre, par les députés espagnols, afin de faciliter les démarches des personnes transgenres.
Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sanchez, ce texte a été soutenu par 188 députés tandis que 150 ont voté contre et 7 se sont abstenus.
S'il est, comme prévu, adopté définitivement par le Sénat dans les semaines à venir, il permettra à l'Espagne de rejoindre les quelques pays dans le monde autorisant l'autodétermination du genre par une simple déclaration administrative. En Europe, le Danemark a été le premier pays à accorder ce droit aux personnes transgenres en 2014.
Un simple rendez-vous
Concrètement, ce texte doit permettre aux personnes transgenres de faire changer leur nom et leur genre sur leurs papiers d'identité lors d'un simple rendez-vous auprès de l'administration. Et ce, sans fournir de rapports médicaux ou de preuve d'un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c'est le cas aujourd'hui pour les personnes majeures dans le pays.
"Cette loi répare une dette historique de l'État à l'égard des personnes transgenres" et les "dépathologise", a déclaré mercredi, devant les députés, la ministre de l'Égalité, Irene Montero, porte-étendard de cette loi.
"Les femmes trans sont des femmes", a insisté cette responsable de Podemos, en dénonçant la "transphobie".
Baptisé "loi trans", ce texte permettra aussi aux 14-16 ans de changer librement de genre à l'état civil, à condition qu'ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux. Les 12-14 ans devront eux obtenir le feu vert de la justice. Actuellement, tous les mineurs doivent obtenir cette autorisation judiciaire.
Dans tous les cas, un délai de trois mois est prévu entre le dépôt de la demande et sa validation par le requérant afin qu'il puisse confirmer sa décision de changer de genre.
Les féministes divisées
Adopté en Conseil des ministres il y a plus d'un an, ce projet de loi a provoqué une fracture entre Podemos, qui en a fait un pilier de son action gouvernementale et réclamait une adoption express, et les socialistes, qui ont tenté de modifier le texte, en vain.
Il a aussi profondément divisé le mouvement féministe, entre les partisans d'Irene Montero et des militantes historiques, en guerre ouverte contre ce texte.
"Revendiquer le genre comme étant au-dessus du sexe biologique (...) me semble être un recul" pour les femmes, a ainsi dénoncé l'ancienne numéro deux du gouvernement Sanchez, Carmen Calvo, dans un entretien publié par le quotidien El Mundo en septembre.
"L'État doit donner une réponse aux personnes transgenres mais le sexe (biologique) n'est ni volontaire, ni optionnel", a-t-elle ajouté, mettant en avant les risques juridiques induits par cette loi.
Ces féministes historiques craignent notamment que des personnes de sexe masculin s'auto-identifiant comme femmes puissent participer à des compétitions sportives féminines ou se faire incarcérer dans des prisons pour femmes par exemple.
Se faisant l'écho de ces craintes, les socialistes ont déposé un amendement afin d'étendre l'obligation d'un feu vert de la justice aux 14-16 ans. Mais celui-ci a finalement été rejeté.
"La plus grande défaite du Parti socialiste"
Cette loi "symbolise la plus grande défaite législative du Parti socialiste face à Podemos" depuis la formation de l'exécutif début 2020, a écrit le quotidien conservateur El Mundo, tandis qu'El Pais (centre-gauche) évoque pour sa part "un des textes qui a créé le plus de tensions au sein du gouvernement de coalition".
Militante LGBT+ et première femme transgenre à être élue dans un parlement régional en Espagne, Carla Antonelli a claqué en octobre avec fracas la porte du Parti socialiste pour protester contre la volonté de sa formation de modifier le projet de loi.
"Nous avons vu une partie du Parti socialiste et du mouvement féministe passer de la défense des droits de la minorité trans au boycott acharné de notre existence", a-t-elle accusé jeudi dans une tribune publiée par El Pais.
Entre autres dispositions, le projet de loi adopté jeudi interdit par ailleurs les thérapies de conversion visant à changer l'orientation sexuelle des personnes LGBT+, avec des amendes pouvant aller jusqu'à 150 000 euros.
Avec AFP