Selon la Cimade, une dizaine d'Afghans se sont vus notifiés leur retour vers Kaboul, le 15 décembre. Une annonce qui relance le débat sur la politique migratoire du gouvernement français. Jusque dans les rangs de la majorité.
Moins d’un mois après la polémique suscitée par le premier charter franco-britannique reconduisant 27 Afghans à Kaboul, une dizaine d’immigrés illégaux ont reçu une lettre leur notifiant un vol de retour en Afghanistan, le mardi 15 décembre, selon la Cimade, une association d’aide aux sans-papiers.
La seule organisation habilitée à soutenir juridiquement les personnes en centre de rétention tient l’information des Afghans eux-mêmes : neuf d’entre eux se trouvent au centre de rétention de Calais-Coquelles, un au centre de Lille. Plusieurs autres Afghans, qui se trouvent actuellement dans un centre de rétention francilien, seraient également en voie d’expulsion, toujours selon la Cimade.
Le cabinet du ministre de l'Immigration, Eric Besson, refuse de confirmer ou d'infirmer tout projet de reconduction vers l’Afghanistan. En marge d'un séminaire ministériel sur les migrations en Méditerranée, le ministre a toutefois déclaré, lundi, à l’AFP : "Le cadre a été fixé par le président de la République. Les déboutés du droit d'asile doivent être reconduits [...] même en Afghanistan […] Je ne crains rien à partir du moment où j'applique une politique de fermeté et d'humanité. Lorsqu'il y aura un vol avéré, je m'en expliquerai."
Critique d’une députée UMP
Comme lors du vol charter organisé le 21 octobre, à bord duquel trois Afghans étaient montés à Paris et 24 autres à Londres, les critiques pleuvent. La première secrétaire du Parti socialiste (PS), Martine Aubry, "condamne vigoureusement toute nouvelle expulsion". Selon elle, "les règles élémentaires du droit d'asile interdisent de renvoyer des réfugiés dont la sécurité n'est pas garantie. Qui peut aujourd'hui prétendre qu'elle l'est en Afghanistan ?"
Demandent également l’arrêt des reconductions, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap) et le Parti communiste (PC). Plus étonnante, la lettre ouverte envoyée par Françoise Hostalier, députée UMP du Nord, qui réclame un "moratoire sur le renvoi des Afghans tant que la sécurité dans ce pays ne sera pas assurée".
Au mois d’octobre, à l’arrivée du charter franco-britannique, un responsable du gouvernement afghan s’était ému : "Je peux vous affirmer que les conditions de sécurité pour ces trois hommes sont lamentables. Ils viennent de régions en guerre, où sévissent Al-Qaïda et les Taliban. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux et la France n’aurait pas dû les expulser."
Le charter du 21 octobre avait donné lieu à une dissension au sein du gouvernement. Le 10 novembre, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait pris ses distances avec la politique migratoire d’Eric Besson, en déclarant sur les ondes de France Inter : "Je pense que ce ne n'est pas comme cela qu'il faut faire. Surtout quand on se bat là-bas. Je pense que ce n'est pas utile, je l'ai dit à Eric Besson [...], au président."
Eric Besson avait lui-même déclaré le 25 octobre qu'il n'y aurait pas de nouveaux retours d'Afghans dans leur pays "si la situation continue à se dégrader en Afghanistan".
Problème de laissez-passer
"Sur la base des promesses d’Eric Besson, le juge des libertés a certifié à plusieurs de ces Afghans en voie d’expulsion qu’ils ne seraient pas reconduits à Kaboul, s’insurge Caroline Larpin, l’une des responsables de la Cimade. Le juge l’a affirmé à l’oral, pas à l’écrit. Ces paroles ont incité ces Afghans à ne pas entamer de recours juridiques, devant la Cour européenne des droits de l’Homme par exemple". Contacté par france24.com, le ministère a refusé tout commentaire.
Un grain de sable pourrait cependant enrayer le processus de reconduction à la frontière de ces Afghans. Le consulat d’Afghanistan ne souhaite pas délivrer de laissez-passer à ces dix hommes, selon les informations de la Cimade. Ce qui empêcherait tout retour à Kaboul. "Ça arrive régulièrement que le pays d’accueil ne délivre pas de laissez-passer. C’est même le cas le plus fréquent de libération d’un centre de rétention", précise Caroline Larpin. Pour pallier à ce vide administratif, "les autorités françaises envisagent de délivrer des laissez-passer européens".
Un laissez-passer européen serait contraire au droit international, estime Jean-Pierre Alaux, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), cité par lemonde.fr : "Un Etat cherchant à expulser une personne ne peut établir lui-même un laissez-passer. Le droit international exige que soit établi un laissez-passer consulaire par le pays vers lequel est renvoyée la personne."