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Les bonnes affaires du docteur Zahi Hawass à Paris

À l'occasion de la visite en France du président égyptien Hosni Moubarak, Paris a restitué au Caire cinq fragments de fresques de la XVIIIe dynastie. Mais l'homme à l'origine de cette remise l'affirme : il ne compte pas en rester là...

Il est bien loin le temps où un futur ministre français de la Culture, un certain André Malraux, découpait illégalement quatre sculptures dans un temple cambodgien pour les ramener à Paris. Lundi 14 décembre, la France a officiellement rendu à l’Égypte cinq fragments de peintures murales qui étaient conservés au Louvre... une première.

Le Caire les réclamait avec insistance, et pour cause : issus du tombeau d’un prince de la XVIIIe dynastie (1550-1290 av. J.C.), ces fragments avaient été illégalement sortis d'Égypte avant que le Louvre ne les achète, en 2000 et 2003.

L’homme aux 5 000 antiquités

Leur retour au pays, officialisé le 14 décembre à l'occasion d’une rencontre entre le président égyptien Hosni Moubarak et son homologue français Nicolas Sarkozy, est l’œuvre d’un homme, en particulier : Zahi Hawass, un Égyptien de 62 ans qui s'est donné pour mission de traquer, partout dans le monde, les antiquités datant de l'époque des pharaons. "Cet événement me rend heureux. J’ai envoyé une mission du musée du Caire pour aller les récupérer à Paris !", déclare à France24.com cet homme haut en couleurs, spécialiste controversé de l’art égyptien et responsable du Conseil suprême des antiquités égyptiennes depuis 2002.

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À ce titre, celui qui octroie toutes les autorisations aux archéologues souhaitant fouiller les sables de son pays s’est lancé dans une croisade, il y a quelques années : rapatrier un certain nombre d’œuvres antiques conservées dans de grands musées occidentaux. Sur son site Internet, Zahi Hawass se targue ainsi d'avoir déjà rapatrié en Égypte quelque 5 000 œuvres jusqu'alors dispersées aux quatre coins du globe. Pour mettre la main sur les fragments du Louvre, il est allé jusqu'à suspendre toute coopération avec le célèbre musée parisien.

"Il s'est livré à un véritable chantage !", réagit-on du côté du ministère français de la Culture - où l'on s'est pourtant rapidement plié aux desideratas égyptiens -, avant  de préciser qu’il s’agit non pas d’une restitution, mais d’une remise. "Une restitution, cela aurait signifié qu’on avait volé quelque chose ! Or, ces fragments ont été acquis en toute bonne foi par le Louvre, même s'ils ont quitté l'Égypte de façon illicite", poursuit la même source. Bref, Zahi Hawass irrite… Et pas seulement le musée du Louvre. 

"Il s'agit d'une affaire plus politique que juridique"

Jean-Jacques Neuer est avocat, spécialiste des contentieux liés aux œuvres d’art.

De quels instruments juridiques disposait l’Égypte pour récupérer les cinq fragments de fresque conservés au Louvre ?
Le corpus de textes internationaux comprend la convention de La Haye (1907), qui interdit le pillage culturel en temps de guerre, et surtout une convention de l’Unesco (1970), qui interdit l’importation et l’exportation d’œuvres acquises de manière illicite. Mais si ces instruments juridiques existent, il est très difficile d’en faire quelque chose de systématique...

Est-ce à ce stade que la politique prend le relais ?
Les cinq fragments ayant été sortis d'Égypte avant 1970, la convention de l’Unesco ne s’appliquait pas. En décidant de suspendre sa collaboration avec le Louvre, Le Caire a usé d'une pression politique. La dimension politique de cette affaire est, d'ailleurs, beaucoup plus forte que sa dimension juridique. Il y a actuellement un mouvement de fond au sein des pays émergents pour se réapproprier un patrimoine culturel qui a souvent été pillé.

Cette affaire, ainsi que la conférence sur la restitution des œuvres d'art que veut organiser le docteur Zahi Hawass en 2010, risquent-elles de créer un appel d’air en la matière ?
Si on l'encourage, cette démarche peut conduire à un raisonnement dangereux : si tout ce qui a été mal acquis doit être restitué, le Louvre, le British Museum et le Metropolitan Museum seront vidés demain ! L'Égypte a évidemment une légitimité à réclamer ces œuvres, mais dire qu’un patrimoine, parce qu’il émane d’un pays, doit y rester, est une question complexe au regard de l’histoire. Les œuvres d’art ont toujours été des messagères, elles ont toujours voyagé…

Opération restitution

  Ces derniers jours, celui-ci a de nouveau exprimé le souhait de voir revenir au Caire la célèbre pierre de Rosette, qui permit à Jean-François Champollion de percer le mystère des hiéroglyphes, exposée au British Museum de Londres depuis plus de 200 ans. Le sulfureux archéologue a également dans sa ligne de mire le buste de Nefertiti, une œuvre majeure de l’art pharaonique détenue par le Neues Museum de Berlin. Zahi Hawass doit d’ailleurs rencontrer le 20 décembre au Caire le directeur des collections égyptiennes du musée berlinois pour discuter de ce dossier épineux. "Les négociations avec l’Allemagne ne font que commencer", précise à ce propos M. Hawass.

Quant au Louvre, sa récente bonne volonté ne lui donne aucun passe-droit, loin s'en faut. Pour Zahi Hawass, la récupération des fragments que possédait le musée n'est qu'un début : "Nous allons officiellement réclamer six autres œuvres importantes à la France, dont le fameux zodiaque de Dendéra [une œuvre transportée à Paris en 1821, considérée comme l’un des plus célèbres monuments égyptiens conservés en France] !", déclare-t-il à France24.com.

À Paris, les initiatives de M. Hawass finissent par agacer. "Il fut un temps, il voulait même récupérer l’obélisque de la place de la Concorde ! On ne peut tout de même pas vider les musées français pour lui faire plaisir. Concernant le zodiaque de Dendéra, on s’abrite derrière la convention de l’Unesco [le seul texte international régissant le retour des œuvres acquises dans des conditions frauduleuses - hors temps de guerre - dans leur pays d’origine, voir l'interview ci-contre], un point c’est tout !", réagit encore le ministère français de la Culture.

Une énergie non dénuée d'arrière-pensées

Reste que Zahi Hawass a plus d’un tour dans son sac. Pour accentuer la pression sur Paris, Londres et Berlin, celui-ci a récemment annoncé l'organisation d’une conférence internationale sur la restitution des œuvres d’art au Caire, l'année prochaine. "L’idée, c’est de faire du bruit autour de ce problème et d’établir une liste dans laquelle chaque pays précisera les antiquités qu’il souhaite récupérer", explique-t-il. La date du sommet n’est pas encore fixée, mais des invitations seront lancées à l’Italie et à la Grèce, précise d'ores et déjà l'archéologue.

Pour ses détracteurs, toute cette énergie déployée par le vibrionnant docteur Hawass n'est pas sans arrière-pensées. "Hawass pense ainsi décrocher le poste de ministre de la Culture", croit savoir l'un. Une chose est sûre, quoi qu'il en soit  : celui-ci aimerait que le futur Grand Musée égyptien, qui devrait être inauguré sur le plateau de Gizeh en 2011 ou 2012, expose les plus belles pièces de l’Égypte ancienne. Y compris celles qui se trouvent à l’étranger.