logo

Après une canicule marine, la Méditerranée face à une mortalité de masse
Audio 12:11

Cet été, une canicule marine hors normes a touché la mer Méditerranée provoquant une destruction massive de la vie sous-marine. Elle est pourtant passée presque inaperçue. Les écosystèmes sont-ils désormais durablement affectés, peuvent-ils se rétablir ou s’adapter ? 

L’été 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe. Ces températures exceptionnelles ont aussi conduit à l'apparition de canicules marines, des excès de chaleur dans l’eau. À Marseille, par exemple, la mer était jusqu’à 6 °C plus chaude que les normales de saison, le tout sur une durée jamais vue - localement, 150 jours cumulés entre avril et octobre. Pour la vie sous-marine, les conséquences sont dramatiques.

"C’est un génocide"

Nicolas est moniteur de plongée à Marseille, principalement spécialisé en plongée profonde. Cette année, il a assisté à des épisodes de chaleur de l’eau absolument inédit, avec des pic à 28 °C jusqu’à 28 m de profondeur. "Une augmentation de la température de cet ordre là, ce n’est plus de l’eau, c’est une coulée de lave", s’inquiète-t-il. Jean-Christophe, plongeur amateur, confirme. Sur les quinze ou vingt premiers mètres, la totalité des gorgones est maintenant complètement brûlée. "C’est de la destruction de la vie : ça m’a fait penser aux images qu’on a vu des incendies de Gironde", dépore-t-il. 

Qu'est-ce qu'une canicule marine ?

"Pour la Méditerranée on n’avait, de mémoire, jamais vu de périodes aussi longues avec des conditions aussi élevées", affirme l’océanologue Nathaniel Bensoussan. Les canicules marines sont des épisodes de réchauffement de l’eau discrets et prolongés - minimum cinq jours au-dessus du seuil de température défini à partir des normales de saisons établies sur trente ans. Plusieurs facteurs les provoquent :  la conjonction d’un fort ensoleillement, de conditions de vent faible et, dans le cas de la Méditerranée, l’absence de marées.

Un dérèglement tel que la partie occidentale de cette mer semi-fermée était plus chaude à certains moments de l’été, que la partie orientale. 

L'impact des canicules marines sur la biodiversité méditerranéenne

Jean-Pierre Gattuso est directeur de recherche au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) de Villefranche-sur-mer. Il a participé à une vaste étude européenne, publiée en juillet dernier, sur les canicules marines entre 2015 et 2019. Sa conclusion : chaque zone de la Méditerranée a été touchée, chaque année, par au moins une vague de chaleur marine. À chacune de ces vagues de chaleur marine a été associée des épisodes de mortalité massive de plantes et d’animaux. Parmi les espèces les plus affectées : les gorgones et les coraux. Les poissons eux, ont la possibilité de s’échapper vers des profondeurs où ils trouvent un peu de fraîcheur. 

"La Mer Méditerranée ne sera pas une mer morte à l’avenir, mais elle sera très différente de celle qu’on a connu", conclut Jean-Pierre Gattuso. 

L’apparition d'espèces introduites

Mais certains chercheurs voient la canicules marines, aussi impressionnantes soient elles, comme un épiphénomène. C’est le cas de Thierry Thibaud, professeur d’écologie marine à l'université Aix-Marseille. Pour lui, il y a bien plus inquiétant. Depuis la calanque de Cannelongue, où il plonge régulièrement, il nous montre l’ennemi : une algue brune, qui en théorie n’a rien à faire ici, mais qui pullule.

Le réchauffement de la Méditerranée favorise en effet l'apparition de nouvelles espèces dans des zones plus au nord, ce qui met en péril les écosystèmes de façon durable et peut-être irrémédiable. Thierry Thibaud traque notamment les espèces d’algues "transformers", qui vont complètement changer leur nouvel habitat. "On sait très bien les impacts qu’il y a eu en Méditerranée orientale il y a quelques années et que nous aurons ici bientôt", déplore le chercheur. Et le chercheur plongeur de conclure : "c’est le problème mondial du réchauffement de la planète. La seule chose qu’on peut faire c’est préserver encore des habitats qui ne sont pas impactés. Mais c’est un effort planétaire qui doit être entrepris, sinon on ne pourra rien faire".