Alors que la guerre fait rage ailleurs en Ukraine, Irpin et Boutcha, villes de la banlieue de Kiev qui ont vécu l’enfer de l’occupation russe et des combats intenses menés par les Ukrainiens, retrouvent une relative tranquillité. Certains habitants y retournent, ne serait-ce pour constater les dégâts. Notre correspondant, Gulliver Cragg, a accompagné l’un d’eux.
"Visuellement, ça a l’air intact. Après, on verra bien", confie Danylo Andreyko, de retour à Irpin. Ce boulanger formé en France prévoyait d'ouvrir un café-boulangerie dans cette ville de la banlieue de Kiev. "Lavabo, ici les pétrins, des tables... C'est ce qu'on a prévu de faire. Mais on va le faire un peu plus tard", poursuit-il, en parcourant les lieux. Il est soulagé que le bâtiment soit encore debout. Ce n'est pas le cas des maisons voisines.
Danylo est parti au cinquième jour de l'offensive de l'armée russe en Ukraine. Son ami Iouri, lui, est resté combattre. Ce militaire ukrainien est un ancien négociant en peinture. Il confie : "Là où se trouvaient nos positions, il n'y a plus aucune maison. Elles ont été détruites à 99 %. Là où se trouvaient les Russes, ce n'est pas le cas, parce que notre artillerie ne voulait pas risquer de blesser des civils. Près d'une église, il y avait des véhicules russes, et nous étions sûrs qu'il n'y avait pas de civils. Mais même là, notre artillerie a dit non, nous ne tirons pas sur l'église."
Cette église est aussi le site de l'une des fosses communes découvertes à Boutcha. Les corps exhumés n'ont pas encore été tous identifiés. "Je n'ai pas de mots", lâche Danylo. Selon les soldats, les forces russes ont délibérément visé le pont emprunté par les civils en fuite. "Leur artillerie n'a pas arrêté de pilonner ce pont", martèle Iouri. "Et ils ne tiraient pas directement sur le pont, mais de manière à ce que les éclats d'obus atteignent les gens sous le pont", ajoute Sacha, un autre militaire. "C'est hallucinant !", s'écrie Danylo.
Ces soldats pensent que les Russes voulaient décourager les civils de partir afin de les utiliser comme boucliers humains. L'artillerie ukrainienne a tout de même parfois visé des zones résidentielles, mais en prenant soin d’affiner ses tirs. Iouri raconte : "Une colonne entière de véhicules blindés russes a explosé ici. Notre artillerie a tiré sur eux, et regardez : ils ont si bien visé que la plupart des maisons de cette rue sont intactes." La plupart, mais pas toutes. Les soldats affirment qu’ici, les Russes étaient entrés dans la cour.
Danylo, Iouri et Sacha étaient tous des civils. Ils ont rejoint l’armée au début de l’invasion. "Je suis fier pour le courage que mon ami Iouri a eu. Il est resté ici pour combattre. Mais d'un autre côté je suis vraiment… Ce n'est pas ma maison, mais j’imagine que pour les personnes qui ont vécu ici, c’est fou quoi… Je n'ai jamais vu ça", reprend Danylo.
La reconstruction prendra des années. Mais avant cela, toute la zone devra être déminée.