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Pour Jacques Rupnik, Orban est un "équilibriste" : pro-sanctions mais en bons termes avec Poutine

Les 27 ont résolument le regard tourné vers l’Est. La guerre en Ukraine met en lumière l’importance des pays voisins et le poids de l’Histoire dans l’ancien bloc soviétique. Cette guerre menée par la Russie aux portes de l’Europe est-elle en train de la changer ? Les rapports de force sont-ils modifiés au sein de l’Union ? Son implication dans l’Otan va-t-elle s’en trouver renforcée ou affaiblie ? Jacques Rupnik, ancien conseiller du président tchèque Vaclav Havel et professeur à Sciences Po spécialiste des pays d’Europe centrale et orientale, analyse la situation.

"Avant 1989, il y avait l’Europe divisée", nous rappelle Jacques Rupnik. Puis l’élargissement de l’UE à l’est a modifié les rapports avec les pays de l’ex-URSS, devenus "plus familiers". "Avec l’Ukraine, on voit que cet intérêt, cet engagement du regard européen vers l’est s’étend plus encore." Pour preuve, la réponse unanime de l’UE à l’agression de la Russie dans une "unité retrouvée". Car l’UE "a souvent été divisée sur de multiples questions : l’euro, la crise migratoire… et là, il y a l’unité retrouvée face à la guerre. Pas seulement pour la dénoncer mais pour prendre des sanctions d’une ampleur sans précédent. Ce moment unitaire est très fort."

Depuis le début du conflit, les dirigeants européens défilent à Kiev, ceux des pays de l'Est plus encore que les autres. À la mi-mars, les Premiers ministres polonais, tchèque et slovène se sont rendus dans la capitale ukrainienne ; cette semaine, c'était au tour du président polonais, Andrzej Duda, accompagné de ses homologues baltes. Pour Jacques Rupnik, ces visites sont importantes car "c’est une chose de dire au téléphone ou d'envoyer des messages de soutien, c’est autre chose de se rendre sur place et de dire concrètement au président Zelensky qu’on est à ses côtés. (...) C’est une façon de montrer que les pays d’Europe centrale peuvent peser dans la politique européenne au sens plus large, vis-à-vis du conflit en Ukraine."

  •  Embargo

La Pologne, encore, est en pointe sur l’embargo contre la Russie et annonce arrêter l’importation de charbon, de gaz et de pétrole russes d’ici la fin de l’année. Un moyen pour elle de se positionner en leader sur la question et de "montrer que la volonté politique doit primer sur la dépendance économique. Elle veut donner l’exemple et mettre la pression sur l‘UE et sur l'Allemagne en particulier."

En effet, le président allemand voulait également être présent lors de la visite du président Duda, mais il n’était pas le bienvenu à Kiev, en raison du blocage de son pays sur l’embargo contre le gaz russe, dont il est très dépendant. L’Allemagne serait-elle en train de perdre son statut historique de pont entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest, acquis dans les années 1990 ? Selon Jacques Rupnik, elle "se trouve en porte-à-faux vis-à-vis de la Russie par rapport aux pays d’Europe centrale, essentiellement à cause de sa dépendance énergétique", mais elle n'en perdra pas pour autant son rôle "car l’Allemagne est le partenaire économique numéro un des pays d’Europe centrale".

De son côté, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui n’a pas mis son veto aux sanctions – "ce qui est le plus important", souligne Jacques Rupnik –, n’est pas prêt pour autant à signer l’embargo sur le gaz, non seulement parce que son pays en a besoin, mais aussi parce que Viktor Orban reste l’ami de Vladimir Poutine. Il a une "position d’équilibriste", analyse Jacques Rupnik, qui rappelle que dans le modèle hongrois, "on peut être en bons termes avec Vladimir Poutine et en même temps être membre de l’Union européenne".

  •  Otan

La question de l'appartenance à l’Otan a suscité de nombreux débats et demeure ultrasensible dans l'opinion des pays de l'Est, mais on voit aussi que ce parapluie de l'Alliance est à nouveau ouvert. Pour Jacques Rupnik, l’Otan a retrouvé tout son sens avec cette guerre : "Tous les doutes, tous les débats sur 'À quoi peut servir l’Otan ?' ont maintenant été dépassés parce que l’Otan a été, je ne dirais pas 'ressuscité', mais simplement sa pertinence comme seule organisation de défense en Europe capable de dissuader une agression de la part de la Russie a été rétablie." Et même peut-être élargie, car alors que "Vladimir Poutine s’est lancé dans cette guerre en Ukraine en utilisant entre autres le prétexte de la question de l’élargissement de l’Otan à ses frontières, eh bien, avec cette guerre, il a fait évoluer les opinions publiques et les élites politiques en Finlande, en Suède, qui se disent que finalement, la seule façon d’être vraiment protégés contre un voisin aussi agressif et avec des visées imprévisibles, c’est d’adhérer à l’Otan".

Mais cela n’efface pour autant pas le "débat sur le rôle des Européens au sein de cette alliance : quelle est leur place ? Quel est le degré d’autonomie stratégique ?", conclut Jacques Rupnik.

Émission préparée par Perrine Desplats, Isabelle Romero, Sophie Samaille et Georgina Robertson.