
Après avoir décidé d'exercer son "droit au silence" au début de l'audience, Salah Abdeslam, principal accusé au procès des attentats du 13-Novembre, est finalement sorti de son mutisme pour livrer à la cour quelques bribes de réponses sur son parcours lors de la soirée du 13 novembre 2015.
"Monsieur Abdeslam, levez-vous s'il vous plaît", ordonne le président de la cour spéciale, Jean-Louis Périès, devant une salle comble. Les plaignants et la presse sont en effet venus en nombre, mercredi 30 mars, pour assister à ce que certains décrivent comme l'audience la plus attendue du procès.
Derrière la vitre de son box, l'unique survivant du commando des attentats du 13-Novembre, cheveux courts, polo et pantalon noirs, s'exécute pour répondre aux nombreuses questions qui taraude la cour depuis le début du procès. Mais à la surprise générame, Salah Abdeslam déclare dans un premier temps vouloir "faire usage de mon droit au silence". Brouhaha de déception dans l'assistance.
Avec ses faux silences, Salah Abdeslam fait du teasing et "ne dit finalement rien d'autre que l'EI a raison", assure Me Chemla, avocat de la partie civile. #proces13novembre pic.twitter.com/ey0CPiadrv
— Aude Abback-Mazoué (@audemazoue) March 30, 2022De nombreuses zones d'ombre subsistent concernant le parcours de Salah Abdeslam le soir du 13 novembre 2015. Pourquoi a-t-il abandonné son gilet explosif ? Pourquoi a-t-il abandonné sa voiture dans le 18e arrondissement de Paris avant de se rendre à Montrouge, en banlieue sud, après avoir déposé le commando du Stade de France ? Quel projet meurtrier avait-il au départ ?
"J'insiste", reprend Jean-Louis Périès. "Moi aussi, monsieur le président, j'insiste aussi : je ne souhaite pas m'exprimer aujourd'hui", rétorque Salah Abdeslam, debout, les mains croisées devant lui. "C'est un droit que j'ai, je n'ai pas à me justifier sur ça", répond-il calmement. "J'ai déjà fait des efforts, j'ai gardé le silence pendant six ans, c'était la position que je voulais adopter pour ce procès, mais j'ai changé d'avis, j'ai dit des choses, je me suis exprimé à l'égard des victimes, mais là je peux plus m'exprimer, j'y arrive plus. J'ai pas à me justifier. C'est pour qu'on ne me qualifie pas à nouveau de provocateur que je ne veux pas donner mes raisons."
C'est "une position dangereuse", a souligné le président. "Face à des non-réponses, on risque de vous en attribuer qui ne vous seront pas favorables", a-t-il prévenu. Les questions du président se heurtent une à une au mutisme de l'accusé, assis sur son banc, masque noir au visage, le regard fixé droit devant lui.
Effectivement, Salah Abdeslam "ne s'est pas fait sauter parce qu'il manque de courage", estime Bruno Poncet, victime de l'attentat du Bataclan. #proces13novembre pic.twitter.com/crcStAytxk
— Aude Abback-Mazoué (@audemazoue) March 30, 2022"Une pensée pour les victimes, car c'est une journée importante pour elles", poursuit Nicolas Le Bris, avocat général, qui rappelle que les plaignants attendaient aujourd'hui tout particulièrement les réponses que Salah Abdeslam avait promises. Puis le ministère public assène que l'accusé prend "plaisir" à garder le silence. Et de conclure : "Ce silence qui apporte malgré tout à l'audience qu'on a bien la confirmation que la lâcheté est la marque de fabrique des terroristes. Vous auriez pu apporter vos réponses après votre pseudo-buzz. Pas une once de courage chez vous, c'est vraiment de la lâcheté à l'état brut."
Devant l'insistance de Me Josserand-Schmidt, avocate de la partie civile, qui lui pose calmement plusieurs séries de questions, Salah Abdeslam finit par prendre son micro pour justifier son silence. "M'exprimer ou garder le silence, ça ne sert de rien du tout. J'aurais aussi voulu entendre cette mère de six enfants qui sont morts parce qu'ils ont perdu la vie sous les bombardements français", avance l'accusé, qui souligne l'inéquité de son procès car, selon lui, l'État français, qui a largué des bombes en Syrie, n'est pas sur le banc des accusés.
"Ce procès est une tribune pour Salah Abdeslam, il parlera de ce qu'il ce qu'il voudra", estime Me Samia Mkatouf à qq minutes de l'audience. #proces13novembre pic.twitter.com/KmXb3hgbst
— Aude Abback-Mazoué (@audemazoue) March 30, 2022Répondant à Me Josserand-Schmidt, l'accusé explique ensuite pourquoi il a pleuré en voyant la dernière fois sa compagne. "Ma fiancée, je l'aimais sincèrement et je voulais me marier avec elle. Si j'ai pleuré, c'est parce qu'à ce moment là, elle avait parlé de projets d'avenir, d'enfants, d'appartement, et à ce moment-là je savais que j'allais partir en Syrie. C'était ça qu'on m'avait proposé. Parce que j'avais soutenu l'État islamique et que je pourrais avoir de graves problèmes et qu'on m'avait dit que le mieux pour moi, c'était d'aller là-bas. Voilà, c'est ce que je voulais dire."
Persévérante, l'avocate évoque alors la question de la ceinture explosive qu'il n'a jamais déclenchée. Salah Abdeslam a raconté à ses complices en Belgique qu'elle était défectueuse. "Était-ce un mensonge ?", l'interroge l'avocate. Haussant les épaules, il finit par répondre d'une petite voix : "C'est ça. [...] J'avais honte, peut-être... Non pas peut-être, balbutie Salah Abdeslam. J'avais honte de ne pas aller jusqu’au bout, j’avais peur du regard des autres, j’avais 25 ans".
Pour Me Gérard Chemla, avocat de la partie civile, Salah Abdeslam fait du "teasing" avec ses prises de parole en annonçant qu'il va parler suscitant l'intérêt de la presse et des victimes "pour ne finalement dire ou pas pas grand chose d'autre que l'État islamique a raison". Il ajoute : "Salah Abdeslam a mis l'assistance dans une situation de preneur d'otage : il y a déjà eu beaucoup de victimes à cause de l'EI au moment des attentats, de grâce, au moment du jugement, ne soyons plus ses victimes".
