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Amnesty : "Certains pays ont profité du Covid-19 pour restreindre les libertés"

Le dernier rapport annuel d'Amnesty International, rendu public mardi 29 mars, révèle que la poursuite de la pandémie et l'aggravation des conflits dans le monde ont amplifié les atteintes aux droits de l'Homme et les inégalités. Notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. 

Amnesty International a publié, mardi 29 mars, son rapport annuel portant sur la situation des droits humains dans le monde en 2021. Et sans surprise, son bilan est sombre. Selon l'ONG, les réponses des États et des multinationales au défi de la lutte contre la pandémie et l'aggravation des conflits dans le monde ont provoqué l'amplification des inégalités et une violation accrue des droits fondamentaux.

Selon le rapport, "la pauvreté croissante, l'insécurité alimentaire et l'instrumentalisation de la pandémie par des gouvernements pour mieux réprimer la dissidence et la contestation ont été largement cultivées en 2021", tandis que la menace de nouveaux conflits "est allée grandissante, alors que d'autres, plus anciens, s'aggravaient".

Notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui marquaient, cette année-là, le 10e anniversaire des soulèvements de grande ampleur de 2011, dits du "Printemps arabe". Dans ces régions, précisément en Libye, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, ou encore au Yémen, "les affrontements se sont traduits par des atteintes massives au droit international humanitaire et relatif aux droits humains", indique l'ONG.

Certains gouvernements sont accusés dans le rapport "de ne pas faire une priorité de l'accès satisfaisant de la population à la santé, y compris aux vaccins anti-Covid-19".

Interrogée par France 24, Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International, explique que la pandémie en tant que telle a joué un rôle dans la détérioration des droits humains.

"Ces deux dernières années, la pandémie a détourné un peu plus l'attention internationale des conflits de ces régions, comme les guerres oubliées de Syrie et du Yémen, indique-t-elle. Certains gouvernements, notamment en Afrique du Nord, ont profité du Covid-19 pour agir ou légiférer pour porter atteinte à la liberté d'expression, le tout au nom de l'urgence sanitaire".

Ce type de mesures a notamment permis de limiter la liberté d'association et le droit de manifester, par exemple au Liban, en Irak et en Algérie, où des mouvements continus de protestations ont été brisés dans leur élan, souligne Heba Morayef.

Une liberté d'expression "fortement restreinte"

Pandémie ou pas, le rapport d'Amnesty International dénombre de nombreuses atteintes à la liberté d'expression au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où elle est toujours "fortement restreinte alors que des gouvernements ont adopté de nouvelles lois draconiennes érigeant en infraction le simple exercice de ce droit".

Et ce dans l'espace public comme en ligne, puisque "les États ont continué de censurer Internet et d'investir dans des dispositifs de surveillance numérique", insiste l'ONG.

"Dans toute la région, les autorités ont cette année encore arrêté, placé en détention et poursuivi devant la justice des personnes qui n'avaient fait qu'exercer pacifiquement leur droit à la liberté d'expression, poursuit le rapport. Elles utilisaient bien souvent des dispositions subjectives de la législation pénale sanctionnant l''outrage' pour engager des poursuites contre celles et ceux qui critiquaient les pouvoirs publics, notamment les mesures prises dans le cadre de la pandémie, et les emprisonner".

Amnesty International cite le cas "emblématique" du Saoudien Abdulrahman al-Sadhan, qui a été condamné à 20 ans d'emprisonnement, suivis d'une interdiction de quitter le pays de la même durée, "pour avoir publié des tweets dans lesquels il critiquait la politique économique du gouvernement".

After secret hearings & “confessions” extracted under torture, #Saudi Specialized Criminal Court sentenced Abdulrahman al-Sadhan to TWENTY yrs in prison & 20 yrs travel ban. For running a twitter account.
Tell @KingSalman to release him now! https://t.co/TPhAxbCjMb #FreeSadhan pic.twitter.com/eRjgXWdbsU

— Amnesty Gulf (@amnestygulf) June 26, 2021

En Libye, rappelle le rapport, le Parlement a adopté une loi sur la cybercriminalité limitant "fortement la liberté d'expression en ligne", en permettant au gouvernement de mener des activités de surveillance et d'exercer la censure.

Du côté de l'Égypte voisine, le président Abdel Fattah al-Sissi "a promulgué une loi rendant passible de poursuites, pour des motifs formulés en termes peu précis, la publication d'informations sur les pandémies", dénonce le rapport.

"La liberté d'expression couvre tous les aspects de la vie quotidienne des citoyens et leur permet de vivre leur vie comme ils l'entendent, or nous sommes dans un moment où dans la plupart des pays de ces régions il y a très peu d'espace d'expression, que ce soit pour la dissidence politique ou pour la mobilisation", souligne Heba Morayef.

Une longue liste de griefs

Outre ce durcissement visant la liberté d'expression et la liberté d'opinion, ce sont l'ensemble des droits humains qui sont malmenés au Moyen-Orient en Afrique du Nord, poursuit le rapport.

Surpopulation carcérale, insalubrité des prisons, crimes de guerre, violations graves du droit international humanitaire, ingérences militaires étrangères, transferts d'armes illégaux, atteinte aux droits de réfugiés ou migrants, situation précaire des travailleurs étrangers, dépossession de terres, violences à l'égard des femmes, discrimination contre les personnes LGBTI et membres des minorités religieuses et ethniques... la liste des griefs répertoriés par Amnesty International est très très longue.

Dans au moins 18 pays de ces régions, "des actes de torture et d'autres mauvais traitements ont cette année encore été commis dans des lieux de détention officiels et non officiels, notamment lors d'interrogatoires (pour arracher des 'aveux') et dans le cadre d'un maintien à l'isolement dans des conditions très dures”, dénonce encore l'ONG.

"Depuis 2011, il y a eu beaucoup de changements, mais la plupart du temps c'était pour le pire, comme le montre le bilan des différents pays de ces régions, et la proportion de la population souffrant des violations des droits humains, explique Heba Morayef. Et notamment dans les pays qui ont été concernés par le printemps arabe, et dont les régimes, secoués par ces mouvements sans précédent par leur ampleur, ont ensuite cherché par tous moyens à empêcher la réémergence de tels soulèvements, comme au Bahreïn et en Égypte".

En ce qui concerne les Palestiniens, la Libye, la Syrie et le Yémen, "la réalité de ces conflits, au sens des violations du droit international humanitaire et la généralisation et l'impunité des crimes de guerre, la population vit clairement, en termes de droits humains, dans des conditions encore plus dégradées", ajoute-t-elle.

Malgré ce contexte difficile, les droits humains restent un sujet majeur aux yeux de la population de ces régions. Selon Amnesty International, plus de 630 000 d'entre personnes se sont inscrits, au cours des trois dernières années, pour devenir membres internationaux ou sympathisants de l'ONG.