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La Russie relance un projet de base navale au Soudan

Isolée sur la scène internationale depuis l’invasion de l’Ukraine, Moscou cherche à renforcer ses liens avec des pays africains. Le Soudan pourrait ainsi valider un projet de base militaire russe lui donnant accès à la mer Rouge, au grand dam des États-Unis.

L’un est devenu "un paria" de la scène internationale depuis son invasion de l’Ukraine, l’autre subi les foudres de l’Occident depuis un coup d’État militaire, le 25 octobre : la Russie et le Soudan semblent en bonne voie pour ressusciter un projet de base militaire offrant aux Russes un accès stratégique à la mer Rouge.

Le 23 février, à la veille du déclenchement par Vladimir Poutine de "l’opération spéciale" en Ukraine, une délégation soudanaise, emmenée par le numéro 2 du régime, le général Mohammed Hamdane Daglo, dit Hemedti, a été reçue à Moscou.

Pendant huit jours, le général Daglo, chef des redoutables paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) a rencontré de nombreux officiels russes dont le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

"Si un pays veut une base sur nos côtes, que cette base satisfait nos intérêts et ne menace pas notre sécurité, qu'elle soit russe ou autre, nous coopérerons", a-t-il lancé à la presse à son retour de Russie.

L’agence de presse d’État soudanaise, Suna, a également expliqué que les deux pays avaient convenu de relancer tous les précédents accords économiques, diplomatiques, politiques et de sécurité.

Le coup d’État rebat les cartes

Ce projet de base navale russe au Soudan remonte en réalité à 2017. Vladimir Poutine et l’autocrate Omar El-Béchir avait signé un accord stipulant que Moscou obtiendrait un bail de vingt-cinq ans pour construire une base à Port-Soudan, le principal port du pays. Elle devait permettre d’accueillir 300 hommes et jusqu’à quatre navires de guerre.

Mais avec la chute d’Omar El-Béchir en 2019 et son remplacement par un pouvoir partagé entre civils et militaires, le projet avait été mis entre parenthèse. D’autant que Khartoum s’est rapproché pendant cette période de transition démocratique des chancelleries occidentales. Le pays a été retiré de la liste des États soutenant le terrorisme, a bénéficié d’un rééchelonnement de sa dette et d’un soutien économique massif de la part des États-Unis.

Cependant, le coup d’État du général Al-Burhane en octobre 2021 et le retour d’un pouvoir militaro-islamiste a rebattu les cartes, recréant des conditions favorables à une coopération renforcée avec la Russie.

Si ce projet est mené à son terme, il s’agirait de la première base militaire russe en Afrique depuis l’effondrement de l’URSS. "Mais pour le moment, il n’y a que des paroles et aucuns travaux du port n’ont été lancé", tempère l’historien Gérard Prunier, spécialiste de l'Afrique de l’Est, joint par France 24, qui prédit toutefois un rapprochement accéléré entre les deux pays.

Wagner, des hommes de main pour Hemedti

Pour les Russes, l’intérêt d’une base navale au Soudan est hautement stratégique. Une base sur la mer Rouge donne un accès direct aux mers chaudes "qui sera ainsi potentiellement un point d’appui de choix des forces navales russes pour le Moyen-Orient et la côte est-africaine", note Arnaud Peyronnet de l’Observatoire stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient.

L’objectif serait également de faciliter l’extraction d’or, de terres rares et d’autres ressources contrôlées par les FSR de Hemedti et l’armée soudanaise, dont la mainmise est quasi-totale sur tous les secteurs de l’économie.

Ces derniers entretiennent depuis plusieurs années des liens avec le Kremlin et son bras armé sur le continent : la milice privée Wagner. "Au Soudan, les hommes de Wagner sont étroitement contrôlés par Hemedti qui les utilise comme gardes de sécurité sur ses mines d’or illégales", assure Gérard Prunier.

Déjà sous Omar el-Béchir, des accords avaient été signés entre des compagnies liées à Evgeny Prigozhin, l’homme de main du Kremlin en Afrique de par ses liens avec Wagner, dont M Invest et sa filiale soudanaise meroe Gold. Prigozhin avait fait l’objet de sanctions en juillet 2020 de la part des États-Unis qui l’accusaient "d'exploiter les ressources naturelles du Soudan pour son enrichissement personnel".

Cette présence du groupe Wagner au Soudan s’inscrit plus globalement dans la stratégie de Vladimir Poutine en Afrique. Stratégie qui consiste à s’arrimer à des pays en phase de transition politique comme en Centrafrique, en Libye ou encore au Mali.

L’inquiétude des États-Unis  

Selon le Wall Street Journal, la perspective de voir une base navale russe au Soudan suscite une inquiétude grandissante parmi les responsables militaires américains.

L’année dernière, le général Stephen Townsend, chef du commandement militaire en Afrique, avait déjà assuré lors d’une audition devant les sénateurs que ce projet était une préoccupation majeure pour les États-Unis.

Face à ce rapprochement, les Occidentaux se trouvent confrontés à un dilemme. "Avec nos sanctions, nous sommes tout simplement en train d'offrir le Soudan sur un plateau aux Russes", explique un diplomate cité par l’AFP. "Les généraux ont survécu en autarcie sous l'embargo contre Béchir, donc nos menaces pèsent peu".

Depuis le coup d’État, la junte au pouvoir mène une répression brutale contre les manifestants qui continuent à descendre dans la rue pour réclamer le retour d’un pouvoir civil. Selon l’ONU, au moins 85 manifestants anti-putsch ont été tués au Soudan depuis le 25 octobre, sans compter des centaines de violations des droits humains perpétrés "dans un contexte d’impunité totale".