Quatre militantes féministes afghanes portées disparues après avoir participé à un rassemblement anti-Taliban en janvier ont été libérées, a annoncé l'ONU dimanche. Mais derrière cette apparente bonne nouvelle, la situation des femmes ne cesse de se détériorer en Afghanistan.
Arrêtées en janvier, Tamana Zaryabi Paryani, Parwana Ibrahimkhel, Zahra Mohammadi et Mursal Ayar ont été relâchées par les Taliban, a annoncé ce dimanche l'UNAMA, la mission de l'ONU en Afghanistan. Ces quatre militantes avaient "disparu" après avoir participé à un rassemblement à Kaboul pour défendre l’accès des femmes à l’éducation et leur droit à travailler. Les Taliban niaient toute responsabilité dans leur disparition.
After a long period of uncertainty about their whereabouts and safety, the four ‘disappeared’ Afghan women activists, as well as their relatives who also went missing, have all been released by the de facto authorities.
UNAMA calls for the rights of every Afghan to be respected.
Pour Victoria Fontan, vice-présidente aux affaires académiques de l’Université américaine d’Afghanistan, contactée par France 24, cette annonce montre que "rien n’a changé" pour les femmes afghanes entre le régime des Taliban de 1996 à 2001 et celui d'aujourd'hui. "Les mesures d’ouverture promues par les Taliban depuis leur retour au pouvoir sont cosmétiques, affirme-t-elle. Ils tentent de se montrer plus modernes, plus progressistes, mais il ne s’agit que de communication à l’égard des Occidentaux pour obtenir la reconnaissance du régime".
Pris à la gorge par la suspension des aides humanitaires qui représentaient 80 % du budget du pays, les Taliban tentent depuis leur retour au pouvoir en août de faire bonne figure à l’international. Ils se sont ainsi engagés jeudi auprès de l’ONU à assurer la protection des travailleurs humanitaires dans le pays et à y favoriser l’éducation.
Des mesures "hypocrites"
Deux journalistes missionnés par l'ONU et leurs collègues Afghans ont également été libérés vendredi selon le HCR. Mais derrière ce vernis de bonne volonté, "la réalité reste sombre", affirme à ActuElles Shaharzad Akbar, l’ancienne présidente de la commission des droits des femmes en Afghanistan, aujourd’hui en exil en Turquie.
Six mois après la chute de Kaboul, la situation des femmes continue en effet de se détériorer en Afghanistan, en parallèle de la grave crise économique qui touche le pays. Les femmes ont ainsi été écartées de la vie publique et leurs déplacements limités. À Kaboul, par exemple, les chauffeurs de taxi ont reçu l’interdiction de prendre une femme non accompagnée.
De la même façon, si les Taliban ont annoncé qu’ils autorisaient les femmes à étudier, leur accès réel à l’université reste réduit, rappelle Victoria Fontan, dont l'université accueillait des étudiantes à Kaboul et développe maintenant des cours en ligne. "Les femmes ont l’interdiction d’occuper un emploi public, souligne la chercheuse. Privées de perspective d’emploi, pourquoi iraient-elles à l’université ?". De nombreuses enseignantes ont par ailleurs été licenciées, ce qui complique encore l’accès des Afghanes aux études supérieures, puisqu’elles n’ont pas le droit de suivre un cours dispensé par un homme.
Ces mesures apparemment progressistes sont donc "hypocrites" selon Victoria Fontan, qui critique également l’allègement de l’obligation du port du voile mise en avant par les Taliban. "Les Afghans imposent eux-mêmes la burqa aux rares femmes qui osent s’aventurer dans la rue, décrit-elle. Les Taliban n’ont même plus besoin d’imposer des règles, la population les anticipe. La population s’autocensure collectivement par peur du régime".
Poches de résistance
Dans les rues de Kaboul comme dans les campagnes, les vingt ans de présence américaine semblent ainsi avoir été balayés d’un tour de bras. Mais des poches de résistance se développent. Des groupes de femmes se structurent sur les réseaux sociaux.
Un réseau d’écoles clandestines, créé à l’origine sous le régime de l’ancien président Ghani pour pallier l’absence d’écoles en état de marche, a repris du service : des classes sont dispensées aux petites filles dans des habitations privées. Des rassemblements sont également organisés sporadiquement pour défendre les droits des femmes, comme celui auquel Ibrahimkel et Paryani avaient participé avant d’être arrêtées.
La résistance civile est ainsi "très active" malgré une "répression sans précédent", affirme Shaharzad Akbar. "Les enlèvements de militantes créent une atmosphère de terreur et d’intimidation qui décourage les femmes de s’organiser et de manifester, rapporte-t-elle. Les assassinats ciblés augmentent. La dissidence est réprimée sur les réseaux sociaux, où les Taliban traquent les gens. D’une certaine manière, ils sont plus brutaux encore et utilisent un panel plus large de techniques de répression."
Bien loin de l’image d’ouverture qu’ils essaient de véhiculer à l’international pour obtenir le versement des aides humanitaires, la violence des Taliban reste donc bien "la même" qu’auparavant, selon les deux femmes. Depuis les dernières arrestations, de nombreuses activistes ont dû se résoudre à se cacher. Une poétesse et militante afghane souhaitant rester anonyme confiait ainsi à France 24 redouter d’être "tuée" et de voir sa famille ou ses enfants "blessés" par les Taliban du fait de son activité.
Violences domestiques
Ce climat d’interdiction pesant sur les femmes se traduit également à l’intérieur des foyers. Exclues de toute vie publique, interdites de se déplacer, les Afghanes sont encore plus démunies qu’auparavant en cas de violences domestiques. Elles "savent qu’à la seconde où elles quittent leur domicile, elles seront arrêtées et envoyées en prison", résume à France 24 Mahbouba Serah, militante afghane pour les droits des femmes. 87 % d’entre elles auraient déjà subi des violences sexuelles, physiques ou psychologiques, selon l’ONU.
Leur situation précaire est accentuée par la grave crise humanitaire que traverse l'Afghanistan. Alors que le pays est confronté depuis des années à une insécurité alimentaire chronique accentuée par le réchauffement climatique, la suspension des aides place vingt millions d’Afghans sous la menace de la famine. Les familles sont contraintes de vendre leurs filles mineures pour pouvoir se nourrir.
"La stratégie des Taliban a toujours été de prendre la population en otage, dénonce Victoria Fontan. C’est typique des régimes totalitaires. La menace de la famine permet au régime de faire pression sur la communauté internationale pour dégeler ses avoirs. La suspension des aides permet en retour à la communauté internationale de faire pression sur les Taliban pour qu’ils respectent les droits humains. Prise entre les deux, la population afghane est objectifiée".