logo

Le "Convoi de la liberté" canadien, un mouvement plus proche de QAnon que des Gilets jaunes

Le "Convoi de la liberté", ce mouvement de camionneurs canadiens qui bloque Ottawa depuis onze jours pour protester contre la politique sanitaire, semble donner des idées dans d'autres pays. S'il est parfois dépeint en France comme un mouvement apparenté aux Gilets jaunes, le parallèle est trompeur.

Ils paralysent Ottawa depuis onze jours et comptent y rester. Les quelques centaines de camions du "Freedom Convoy" ("convoi de la liberté") qui bloquent l'accès aux principaux axes routiers de la capitale canadienne depuis le 29 janvier, au nom de la lutte contre les mesures sanitaires ont poussé les autorités locales à instaurer l'état d'urgence dimanche 6 février.

Ce mouvement, entamé pour protester contre l'obligation vaccinale imposée aux routiers traversant la frontière avec les États-Unis et qui s'est transformé en remise en cause générale de la politique du gouvernement de Justin Trudeau, captive les antivax d'autres pays.

L'ombre des Gilets jaunes

Aux États-Unis, l'ex-président Donald Trump, les commentateurs stars de la chaîne ultraconservatrice Fox New Sean Hannity et Tucker Carlson, et des personnalités controversées comme le patron de Tesla, Elon Musk, ont apporté leur soutien au "Freedom Convoy". Dans plusieurs autres pays, comme en Australie et en Allemagne, des politiciens conservateurs et d'extrême droite ont appelé à exporter le mouvement canadien.

De même en France, où les réseaux sociaux bruissent d'appels à former un "Convoi de la liberté" qui tenterait d'occuper Paris le week-end du 11 au 13 février. Certaines pages Facebook comptent plus de 250 000 inscrits et des groupes sur la messagerie Telegram ont fédéré des dizaines de milliers d'apprentis "Convoyeurs" motivés pour dénoncer les mesures sanitaires du gouvernement français, raconte Le Monde sur son site.

Dans l'Hexagone, la mobilisation canadienne fait ressurgir le souvenir des Gilets jaunes, entretenu par certains des organisateurs de cette tentative de faire naître un "Convoi de la liberté" sur le sol français. C'est le cas du très actif militant Rémi Monde (un pseudo), un ancien du mouvement social "Nuit debout" et opposé aux vaccins anti-Covid, qui multiplie sur Facebook les appels à "tous les Gilets jaunes" pour venir grossir les rangs du "Convoi".

Ce parallèle avec les manifestations des Gilets jaunes de 2018-2019 a aussi été fait par certains médias en France et à l'étranger

Il faut dire que le rapprochement est tentant. Dans les deux cas, il s'agit de manifestants qui occupent des axes routiers : les ronds-points pour les Gilets jaunes, les rues d'Ottawa pour les camionneurs canadiens. Les deux mouvements sont nés d'une revendication spécifique – le retrait de la taxe sur les carburants en France,  l'annulation de l'obligation vaccinale pour les camionneurs canadiens – avant de s'élargir à une remise en cause générale de la politique gouvernementale. Les camionneurs et leurs soutiens s'organisent, comme les Gilets jaunes à l'époque, presque exclusivement sur les réseaux sociaux, et les mouvements, dans les deux cas, cristallisent des mécontentements populaires, aussi bien à gauche qu'à droite de l'échiquier politique. Du moins en apparence.

QAnon avant tout

Car pour certains observateurs canadiens, ce mouvement est "avant tout une affaire de QAnonistes" et a une base bien moins large que celle des Gilets jaunes. "Les principaux organisateurs du 'Freedom Convoy' viennent de la frange politique la plus extrémiste", souligne Daniel Beland, sociologue politique et directeur de l'Institut d'études canadiennes de McGill, interrogé par France 24. 

Canada Unity, le groupe à l'origine de ce mouvement, a été fondé par James Bauder, un conspirationniste qui a publiquement soutenu les thèses "QAnonistes" sur l'existence d'un complot de politiciens satanistes dirigeant les États-Unis, voire le monde. Il baigne aussi dans les théories du complot autour de la pandémie de Covid-19, qu'il appelle la "plus grande arnaque de l'Histoire".

Une partie des manifestants canadiens portent d'ailleurs des tee-shirts "QAnonistes" et agitent le drapeau confédéré des États-Unis, des signes distinctifs généralement associés aux fans de Donald Trump plutôt qu'à des camionneurs canadiens. "C'est un parfait exemple de convergence entre des extrémistes nourris aux théories du complot venus des États-Unis et les amateurs des 'médecines alternatives' qui rejettent les vaccins contre le Covid-19", écrit Christopher Curtis, un journaliste canadien auteur de la lettre canadienne d'informations The Rover

Le "Convoi de la liberté" canadien a ainsi reçu le soutien aussi bien de la chanteuse canadienne Amélie Paul, qui se décrit comme "rockeuse vegan" et antivax, que des mouvements américains de suprémacistes blancs qui pensent que Bill Gates veut injecter aux humains la 5G grâce aux vaccins contre le Covid-19. Patrick King, l'un des porte-paroles autodéclarés du "Freedom Convoy", a ainsi par le passé mis en garde contre "le grand remplacement de la race blanche par des 'Ishmael' et des 'Mahmoud'", rappelle le Canadian Anti-Hate Network, une organisation de lutte contre la haine raciale.

C'est donc un mouvement qui repose sur des fondations bien plus ancrées à l'extrême droite que celui des Gilets jaunes. Pour une partie des commentateurs canadiens, les délires des "QAnonistes" ont servi de déclencheur pour les extrémistes canadiens qui attendaient une occasion pour exprimer leur colère contre le gouvernement de Justin Trudeau.

Cependant, il n'y a pas que ce type de profils dans les rangs du "Convoi de la liberté". Le mouvement a aussi attiré "une minorité assez significative de gens qui veulent avant tout exprimer leur frustration à l'égard de la situation sanitaire et économique, sans avoir d'engagement politique", assure à France 24 Daniel Beland, de l'Institut d'études canadiennes de McGill.

"Nous avons tous des amis qui participent au 'convoi de la liberté' parce qu'ils en ont juste ras-le-bol de la pandémie", reconnaît Christopher Curtis. Pour lui, ce mouvement risque d'entraîner la "radicalisation par la frustration" de ces manifestants qui vont se retrouver aux côtés d'éléments bien plus extrémistes, susceptibles de les convertir à leurs causes conspirationnistes ou suprémacistes. Ou les deux.