
A Jérusalem, la construction d'un tramway est au coeur de toutes les contestations. Partout dans le monde, des ONG dénoncent un contrat qui va à l'encontre du droit international.
Depuis 2004, Jérusalem est en chantier. La ville se dote d’un tramway qui est censé désengorger la circulation. Il devrait relier la partie Est à la partie Ouest. Un projet pas totalement innocent dans la ville sainte où le chantier n’est pas vraiment béni par tout le monde.
Les raisons de la colère
Le problème majeur est le tracé de la future ligne de tramway. Celui-ci prévoit de relier le centre de Jérusalem-Ouest à des colonies israéliennes situées plus à l’Est, en Cisjordanie. Le chantier viole ainsi la IVème Convention de Genève dont l’article 49 précise que « la Puissance occupante ne pourra procéder (…) au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ».
De plus, selon un rapport de l’Union Européenne daté du 15 décembre 2008, cette ligne de tramway ne serait qu’un moyen parmi d’autres, de « poursuivre activement l’annexion illégale de Jérusalem-Est ». A terme, celle-ci rendrait plus difficiles les négociations dans le cadre d’un futur processus de paix qui viserait à restituer les territoires palestiniens occupés.
Par ailleurs, alors que les investisseurs vantent l’utilité de ce moyen de transport, la population arabe doute, elle, de ne pouvoir utiliser le tramway, faute de stations installées dans leurs quartiers.
Des conséquences au-delà des frontières.
Alors que le tramway de Jérusalem est en contradiction avec le droit international, deux entreprises françaises n’ont pas hésité à s’engager dans le projet. Veolia et Alstom font effectivement parti du consortium Citypass qui gère le chantier : Alstom fournit les rames du tramway tandis que Veolia sera chargée de son exploitation.
Une implication française qui n’est pas du goût de tout le monde. De nombreuses ONG pro-palestiniennes déplorent leur participation. Celles-ci dénoncent un contrat qui reconnaît, selon elles, de facto l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, comme le précise Bernard Ravenel, président d’honneur de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS).
La contestation a pris de l’ampleur dans de nombreux pays. Une campagne de boycott a même été lancée contre les deux entreprises françaises qui ont rapidement fait les frais de leur implication dans ce chantier.
Les pertes pour Veolia se chiffreraient en milliards d’euros, dues à son éviction dans de nombreux marchés (gestion des déchets à Sandwell, au Royaume-Uni, exploitation du métro de Stockholm …). Le fond de pension suédois AP7 a quant à lui exclu Alstom de son portefeuille.
Les évènements ont également pris une tournure judiciaire. Le 15 Avril dernier, suite à la plainte de l’AFPS, le tribunal de Nanterre s’est déclaré compétent pour juger l’affaire sur le fond, une décision immédiatement contestée par Alstom. Ce lundi 9 novembre, les deux parties se sont une nouvelle fois retrouvées au tribunal, à Versailles, pour l’appel.
L’éveil de la société civile.
Une contestation grandissante, un boycott efficace, des marchés perdus, une action en justice, Veolia et Alstom ne semblent pas avoir mesuré les conséquences de leur implication dans ce chantier.
François-Bernard Huygue, spécialiste en intelligence économique, insiste sur le caractère singulier de l’action qui a directement visé les investisseurs et qui a été pour lui efficace.
Désormais, la société civile n’hésite plus à intervenir directement et à faire entendre sa voix sur certains accords commerciaux qu’elle juge contraire à l’éthique et au droit. Selon Xavier Delacroix, PDG de l’agence de conseil First&42nd, cette montée en puissance des ONG s’explique notamment par le désengagement de l’Etat dans son traditionnel rôle d’arbitre dans les affaires commerciales. Un rôle alors repris par les associations qui comptent bien faire contrepoids aux multinationales.
La donne a alors changé. Pour les entreprises, il ne s’agit plus de faire du business sans se soucier des acteurs locaux touchés de près ou de loin par leurs activités. Elles doivent désormais effectuer une étude de terrain avant toute implantation dans une zone « sensible » pour comprendre les enjeux de différentes natures (sociaux, environnementaux, ou encore politiques) et les revendications existantes.
Des conseils qui semblent avoir manqué à Veolia et Alstom lors de la signature du contrat. Leur aventure à Jérusalem, qui a révélé cette montée en puissance de la société civile, a pris des allures d’un chemin de croix.
Aux dernières nouvelles, Veolia chercherait à revendre ses parts à une société israélienne nommée Dan. Quant à Alstom, très peu affectée par le boycott, elle campe toujours sur ses positions. Une décision qui pourrait faire dérailler certains de ses projets surtout si le tribunal de Nanterre juge illégal son implication dans le tramway de Jérusalem…
Une enquête de Virginie Herz et Mounia Ben Aïssa