Plusieurs centaines de personnes ont défilé, samedi, à Paris, pour demander la reconnaissance du "génocide" des Ouïghours en Chine. Nombre d'entre eux, réfugiés en Europe, ont fait le déplacement. Reportage.
Drapeau bleu en main, symbole du mouvement d'indépendance du Turkestan oriental, en Asie centrale, Erdem a fait plusieurs milliers de kilomètres pour venir participer à la manifestation, à Paris, contre la répression des Ouïghours en Chine. “Stop génocide”, crie-t-il à s’en casser la voix, aux côtés des centaines de personnes venues battre le pavé, samedi 2 octobre, entre la place de la Bastille et République, pour demander une reconnaissance internationale du "génocide" de cette minorité, majoritairement musulmane.
“En avril 2017, j’ai reçu un coup de téléphone de ma mère, raconte ce Ouïghour de 34 ans, résidant aux Pays-Bas. 'Ils [les autorités chinoises] sont venus à la maison, ils reviendront dans trois jours. Ne reviens jamais’, m’a-t-elle dit. C’est la dernière fois que j’ai entendu le son de sa voix”. Ému, Erdem poursuit : “Je n’ai plus aucune nouvelle d’elle, ni de mon frère. J’ai plongé dans une profonde dépression. Savez-vous ce que c’est de vivre sans savoir si ceux que vous aimez vont bien, ni même où ils se trouvent ?”.
La vie d’Erdem a basculé en 2010, alors qu’il étudie la langue ouïghoure dans une université chinoise. À cette époque, la Chine décide d'accélérer sa politique d’assimilation ciblée. “Les livres, la langue, la culture de mon peuple sont devenus interdits. Je voulais devenir professeur de ouïghour, je me suis senti inutile. Alors je suis parti étudier à l’étranger. Lors d’une visite au pays, je me suis rendu compte que j’étais devenu une cible : mon téléphone était inspecté et je devais présenter régulièrement mes papiers. J’étais suspect parce que j’étais un Ouïghour qui avait des relations avec l’étranger”, raconte le jeune homme. “Ma famille a arrêté de me rendre visite et j’ai décidé de me réfugier aux Pays-Bas. Ici, je me sens enfin libre de dénoncer ce qu’a fait la Chine à ma famille.”
"La Belgique a dénoncé le génocide mais pas la France"
À quelques mètres d’Erdem, Reyhangul a fait le déplacement depuis la Belgique avec son mari et ses enfants. Sur une pancarte, cette mère de famille exilée dénonce “l’assimilation forcée des enfants ouïghours". Sur une photo, certains d'entre eux, en tenue traditionnelle chinoise, sont en rang, un microphone à la main.
Aux côtés de Reyhangul, sa fille Ayisha, 13 ans, se fait traductrice : “Mes cousines de 7 et 9 ans ont été envoyées dans des camps comme celui-là, où elles sont séparées de leur mère. Ma tante n’a le droit de leur rendre visite qu’une fois par semaine. Mon oncle, lui, a disparu”. Sur son téléphone, Reyhangul montre des photos de proches dont elle n'a plus aucune nouvelle. Ayisha poursuit pendant que sa mère sèche ses larmes. “Les médias n’ont rien fait pour nous aider. La Belgique a dénoncé le génocide mais pas la France. Nous avons besoin de ce soutien.”
De nombreux Ouïghours venus manifester ce samedi ont perdu des proches. Aussi, quand la sono diffuse de la musique traditionnelle, certains ont du mal à dissimuler leur tristesse.
Selon l'ONU, plus d'un million de Ouïghours, principal groupe ethnique du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, sont détenus dans des camps de rééducation. Certains sont soumis à du "travail forcé" ou à des viols systématiques. Pékin conteste et affirme qu'il s'agit de centres de formation professionnelle destinés à les éloigner du terrorisme et du séparatisme, après de nombreux attentats meurtriers commis contre des civils par des Ouïghours.
Pour l’ONG Amnesty internationale, le traitement des Ouïghours constitue pourtant "un crime contre l'humanité". Torture, emprisonnement de masse, persécutions, internement dans des camps de travail…Dans un rapport de plus de 160 pages paru en juin, l’association de défense des droits humains affirme que le traitement infligé par la Chine à cette communauté représente de “graves violations des droits humains qui menacent d'effacer leurs identités religieuse et culturelle".
Le rapport détaille les incarcérations de masse depuis 2017, qui se chiffreraient en centaines de milliers, auxquelles s'ajoutent les internements dans des camps, qui atteindraient le million.
Des grandes firmes textiles dans le collimateurs
“On ne peut pas rester sans rien faire”, lance Ana, 18 ans, venue manifester pour la toute première fois. La jeune fille a mobilisé son grand-frère et plusieurs lycéens, drapeaux bleus à la main. Le petit groupe a fait le déplacement depuis Amiens. “La première fois que j’ai entendu parler du génocide des Ouighours c’était il y a quelques mois sur les réseaux sociaux”, raconte-t-elle. “Ce n’est pas à notre échelle que les décisions sont prises, mais si je peux faire quelque chose pour que le président agisse…”.
D’autres jeunes sont présents. “Zara, Nike... esclavagistes”, peut-on lire sur une pancarte tenue par Philippine, 16 ans. “Ces marques sont complices de la maltraitance sur les Ouighours car elles emploient des personnes dans des camps de travaux forcés. J’avais déjà arrêté de consommer dans les grandes enseignes de mode, mais là c’est vraiment fini”, explique la jeune fille.
Dans le cortège, de nombreuses pancartes épinglent ces grandes firmes textiles. Accusés de profiter du travail forcé des Ouïghours en Chine, quatre géants du prêt-à-porter, dont Uniqlo France, le groupe Inditex (Zara, Bershka et Massimo Duti), le groupe SMCP (Sandro, Maje, ou encore de Fursac) et le chausseur de sport Skechers, sont visés, depuis fin juin, par une enquête en France pour "recel de crimes contre l'humanité", une initiative rarissime. La plupart ont rejeté ces accusations.