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Claude Lévi-Strauss, précurseur de l'écologie moderne

Père du structuralisme et écologiste précurseur, Claude Lévi-Strauss, qui s'est éteint à l'âge de 100 ans, portait un regard pessimiste sur une planète qu'il disait épuisée et ravagée par la civilisation de masse.

Alors que la communauté internationale s'apprête à négocier à Copenhague les conditions d'un développement durable, Claude Lévi-Strauss s’est éteint en laissant derrière lui - en plus des fondements du structuralisme et d’un héritage intellectuel incontournable - les bases d'une pensée environnementaliste avant-gardiste.
Écologiste non militant, le philosophe et ethnologue fut un infatigable défenseur de la diversité des cultures et de leur environnement. Cet observateur, soucieux du détail, a toujours souligné le lien profondément respectueux qui unit les sociétés autochtones à la nature.
Il en a d'ailleurs fait l’un des objets de son livre à succès "Tristes Tropiques", publié en 1955. Dans cet ouvrage ethnologique et autobiographique, Lévi-Strauss raconte ses expéditions au Brésil entre 1935 et 1938. L’ethnologue y évoque notamment les connaissances de la nature chez les Indiens Nambikwaras, des usages dont les sociétés industrielles auraient dû, selon lui, s’inspirer.
"Ces sociétés ont eu la sagesse de rester en équilibre avec leur milieu naturel. Les croyances - que d’autres qualifient de superstition - tendent à un respect de la vie, qu’elle soit animale ou végétale. Je crois que nos sociétés ont beaucoup à apprendre d’elle", écrit-il dans "Triste Tropiques".
L’ethnologie - discipline qu’il définissait comme un moyen de comprendre l’homme dans la totalité de ses expériences et de ses réalisations - lui permettait en effet de tirer des enseignements essentiels des sociétés dites alors "primitives". Si elle n’avait rien à apporter, "l’ethnologie n’aurait pas lieu d’être", avait-il coutume de rappeler.
Le désenchantement du monde
S’il loue la sagesse des peuples indigènes, il portait en revanche un regard critique sur la société moderne industrielle à laquelle il appartenait, pour son plus grand regret.

Dès les années 1970, l’ethnologue et philosophe, pessimiste avoué, se disait inquiet de l’avenir de l’humanité. Une planète dont il pressentait les limites, une Terre "qui n’est pas indéfiniment extensible" et dont il prédisait l’épuisement si l’humanité "se laisse aller à ce rythme, à cette prolifération".

"Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ; c’est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu’elles soient végétales ou animales ; et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l’espèce humaine vit sous une sorte de régime d’empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime", écrivait-il.
La disparition des espèces et des minorités indiennes ne fait aujourd’hui que s’accélérer. Les peuples que Lévi-Strauss dépeignait appartiennent à un univers, non plus distant, mais révolu. Et seules quelques centaines d’individus "isolés" survivent dans une forêt menacée un peu plus chaque jour par la déforestation.
"La civilisation n'est plus cette fleur fragile qu'on préservait dans quelques coins abrités d'un terroir riche en espèces rustiques. L'humanité s'installe dans la monoculture ; elle s'apprête à produire la civilisation en masse comme la betterave", peut-on lire dans "Tristes Tropiques".
Emprise de l'homme sur une nature massacrée, destruction accélérée de la diversité culturelle… Le bilan d’aujourd’hui ne peut faire mentir le chercheur qui avait renoncé à transformer politiquement le monde. Il s'en est fait la mémoire.
Photo: "Saudades do Brazil", photo prise par Claude Lévi-Strauss (c) Musée du Quai Branly