Le pouvoir fédéral sonne la mobilisation générale en Éthiopie contre les rebelles du Tigré après leur contre-offensive victorieuse menée ces dernières semaines. Trois régions vont déployer des troupes pour soutenir les opérations pilotées par l'armée. Une reprise des combats qui souligne l’impasse dans laquelle se trouve le Premier ministre, Abiy Ahmed.
Ce devait être une formalité. C’est finalement un bourbier pour l’armée éthiopienne. Lancée il y a huit mois, l’opération militaire censée mater la rébellion de la province du Tigré a tourné au fiasco. Depuis plusieurs semaines, la contre-offensive menée par les Forces de défense du Tigré (TDF) leur a permis de reprendre la maîtrise d'une large partie de la région, dont la capitale Mékélé.
Un porte-parole des TDF a annoncé, mardi 13 juillet, la prise de la ville-clé d’Alamata. Mieux organisés et soutenus par la population, les guérilleros contrôleraient désormais le sud de la région et affirment vouloir "libérer chaque centimètre carré du Tigré".
Dans le camp d’en face, forces de sécurité et miliciens loyalistes fourbissent leurs armes. Trois régions éthiopiennes vont ainsi déployer des troupes pour soutenir les opérations menées par l'armée fédérale.
Les régions concernées sont l'Oromia, la plus grande région d'Éthiopie, ainsi que le Sidama et la Région des nations, nationalités et peuples du Sud (SNNPR).
"Le Premier ministre Abiy Ahmed a bien vu que son armée n’avait pas été à la hauteur. Avec l’envoi de ces miliciens, les autorités tentent de bloquer les Tigréens dans leur région", analyse Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines et fin connaisseur de l’Éthiopie. "De leur côté, les guérilleros, après avoir repris le sud-est, vont se lancer dans la reconquête du sud-ouest."
Rivalités ethniques
À ces miliciens venus prêter main-forte à l’armée régulière s’ajoutent également des hommes de l’Amhara, la région voisine.
Pour cette ethnie, ce conflit représente une opportunité unique de reprendre les terres fertiles de l'ouest et du sud du Tigré, perdues au début des années 1990. Selon les Amhara, ces territoires ont été illégalement annexés par le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) à l’occasion d’un redécoupage des régions.
"C’est important car les Amhara partagent le pouvoir avec Abiy Ahmed qui est Oromo, l’ethnie majoritaire. En cas de défaite et d’incapacité de l’armée à protéger ces territoires, le régime se retrouverait encore un peu plus fragilisée", explique Patrick Ferras.
Les Tigréens, eux, font monter les enchères. Ils menacent de descendre vers le sud, jusqu’à Addis-Abeba, le cœur du pouvoir fédéral, comme l’ont fait leurs pères, le 28 mai 1991, pour faire chuter le régime de Mengistu Haile Mariam.
"Le Tigré ne demande pas l’indépendance. Il souhaite rester dans l’Éthiopie. En ce sens, le TPLF joue le jeu de la constitution", explique Patrick Ferras. "Ils souhaitent que leurs droits, en tant que région, soient respectés. Abiy Ahmed devrait alors rétablir l’accès à un budget et autoriser des Tigréens à siéger au Parlement."
Le Parlement éthiopien avait révoqué en novembre l'assemblée régionale et l'exécutif du Tigré, après l'annonce de l'intervention militaire dans le nord du pays.
Région coupée du monde
Or, pour le moment, le Premier ministre se montre inflexible. Les autorités considèrent le TPLF comme un mouvement terroriste et les exigences de chaque camp rendent impossible un véritable terrain de négociations.
"Abiy Ahmed n’acceptera jamais d’intégrer les Tigréens au jeu politique. Mais dans la situation actuelle, il va devoir faire le premier pas", estime Patrick Ferras.
Un premier pas qui pourrait se concrétiser par la levée du blocus imposé au Tigré, la mise en place d’un pont aérien pour l’aide humanitaire ou encore le rétablissement des services de base : eau, électricité, Internet, coupés par le pouvoir fédéral.
Les puissances occidentales demandent toujours un large accès à la région pour y acheminer une aide qui arrive pour le moment au compte-goutte. Selon l'ONU, plus de 400 000 personnes ont "franchi le seuil de la famine" au Tigré.
Un convoi de 50 camions du Programme alimentaire mondial, transportant 900 tonnes d'aide, est bien arrivé lundi à Mékélé. Mais cela "représente seulement 1 % de la nourriture nécessaire pour le mois", a déclaré jeudi sur Twitter Samantha Power, directrice de l'Agence américaine d'aide internationale (USAid), "les Éthiopiens mourront de faim si davantage de convois ne sont pas autorisés, et plus rapidement".
La pression s’accentue de plus en plus sur le régime du Premier ministre, prix Nobel de la paix en 2019, soupçonné de graves violations des droits de l’Homme dans cette guerre sans image. Une répression qui aurait franchi un nouveau cap depuis la déroute de l’armée fédérale, selon Amnesty International.
L’organisation des droits de l’Homme a accusé, vendredi, l'Éthiopie d'avoir arbitrairement arrêté des centaines de Tigréens ces dernières semaines. Parmi ces détenus se trouvent des militants et des journalistes. Ces arrestations à caractère ethnique inquiètent également la Commission éthiopienne des droits humains. Cet organisme, indépendant mais rattaché au gouvernement, s'était déjà ému d’une vague d'arrestations similaires au début du conflit.
Avec AFP