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Retrait d'Afghanistan : "Les Américains ont manqué de tact avec l'armée afghane"

Washington a annoncé, samedi, que tous ses soldats auront quitté l'Afghanistan d'ici la fin août. Les troupes américaines et de l'Otan ont déjà quitté, vendredi, la base aérienne de Bagram, la plus grande du pays, pour la restituer à l'armée afghane. Les Taliban se sont réjouis du départ des forces étrangères. Décryptage de la situation avec Jean-Charles Jauffret, spécialiste de l'Afghanistan.

L'ensemble des troupes américaines et de l'Otan ont quitté, vendredi 2 juillet, la base aérienne de Bagram, la plus grande d'Afghanistan, située à 50 km au nord de la capitale Kaboul, qui a été restituée à l'armée afghane. Washington a annoncé, samedi 3 juillet, que tous ses soldats auront quitté le pays d'ici la fin août.

Les Taliban se sont "réjouis" du départ des forces étrangères de cette base, qui a été le pivot des opérations américaines tout au long de la guerre déclenchée en 2001. C'est de là que la coalition internationale menait ses opérations contre les Taliban depuis deux décennies, qu'étaient menées les frappes aériennes à l'encontre des Taliban et de leurs alliés d'Al-Qaïda, et qu'était organisé le réapprovisionnement des troupes.

Selon l'accord signé entre les Américains, les autorités afghanes et les Taliban en février 2020 à Doha, Washington ne devrait recourir à la force aérienne que si les insurgés menacent les villes principales.

Pour Jean-Charles Jauffret, professeur émérite d’histoire contemporaine à Sciences Po Aix et spécialiste de l'Afghanistan, dans le cadre de cet accord, "il avait été promis au président afghan, (Ashraf) Ghani que les Américains garderaient un minimum, c’est-à-dire la plus grosse base, Bagram". Ce qui n'est finalement pas le cas. "Comment voulez-vous intervenir sur le terrain si vous n’avez pas d’avions en Afghanistan", se questionne-t-il.

"Retour de l’obscurantisme"

Pour ce spécialiste de l'Afghanistan, l’accord de Doha est désormais "caduc". "On a oublié l’essentiel, c’est-à-dire le respect des droits humains", explique-t-il. "On a demandé aux Taliban de promettre de ne pas aider les groupes terroristes, alors qu’ils ont laissé depuis plus de deux ans, sur leur propre territoire dans la zone dite Pachtoune, est et sud-est, se réinstaller Al-Qaïda."

Pour Jean-Charles Jauffret, le retrait américain s'apparente à un échec et même "une honte, de laisser le peuple afghan et surtout les femmes afghanes dans un tel état puisque, nous l'avons vu en 1996 jusqu’en 2001, l’État taliban c’est le grand retour de l’obscurantisme le plus terrible, notamment pour la société civile", se désole le spécialiste.

Washington laisse une armée afghane "faible" 

"Je crois que les Américains ont manqué de tact envers l'armée afghane", juge Jean-Charles Jauffret. Washington laisse une armée afghane "faible" contrairement, rappelle-t-il aux Soviétiques qui, quand ils avaient quitté l’Afghanistan en 1989, avaient laissé une armée afghane forte et avaient continuer de la soutenir jusqu’à la chute de l’empire soviétique, explique Jean-Charles Jauffret. "Je vois ces images terribles de soldats américains qui détruisent du matériel au lieu de le donner à l’armée afghane."

Pour le professeur, le processus de transition politique en Afghanistan est également en échec, alors que le chef du gouvernement Abdullah Abdullah était chargé de mener des discussions avec les Taliban pour qu’ils puissent entrer au gouvernement, mais que ces pourparlers sont pour l’heure, au point mort. 

Les combats continuent entre Taliban et forces afghanes

Au cours des dernières 24 heures, plus de 300 Taliban ont été tués lors de combats avec les forces gouvernementales, a déclaré samedi le ministère de la Défense, précisant qu'une cinquantaine avait notamment péri lors de frappes aériennes, dont l'une dans la nuit dans la province méridionale du Helmand, théâtre de fréquents affrontements entre forces afghanes et insurgés.

Des observateurs craignent que l'armée afghane peine face aux Taliban sans le soutien aérien fourni jusqu'ici par les forces américaines. "On parlera de défaite complète quand Kaboul tombera" aux mains des rebelles, probablement "d’ici la fin de l’année", estime Jean-Charles Jauffret.

"Je pense que les Taliban sourient doucement en attendant le retrait complet américain", conclut le spécialiste de l’Afghanistan.

Avec AFP