Alors que ce mercredi marquait le retour progressif du présentiel dans les entreprises, le responsable des ressources humaines de l’Oréal France et vice-président de l’association nationale des DRH (ANDRH), Benoît Serre, détaille pour France 24 les défis auxquels seront confrontés salariés et employeurs dans les mois qui viennent.
Un pot entre collègues, un repas partagé à la cantine et des réunions en chair et en os : un nouveau cap est franchi, mercredi 9 juin, dans le cadre du déconfinement progressif en France, avec l’entrée en vigueur du nouveau protocole national en entreprise.
Il prévoit que "les employeurs fixent, dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent". Jusqu’à présent, tous ceux dont l’emploi le permettait devaient être à 100 % en télétravail.
Dans le secteur privé, les deux tiers des entreprises prévoient d’instaurer au moins deux jours par semaine travaillés à distance, selon une enquête menée auprès de 270 responsables des ressources humaines par l’association nationale des DRH (ANDRH)
C’est donc une organisation hybride qui se dessine, mélange entre travail à la maison et travail sur site, qui devrait perdurer jusqu’à la rentrée de septembre et sans doute au-delà.
Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH revient pour France 24 sur les défis qui attendent les entreprises dans cette nouvelle société du travail.
France 24 : À partir de ce mercredi 9 juin, la règle du "100 % télétravail" disparaît. Quels sont vos conseils pour accompagner la reprise progressive du travail sur site ?
Benoît Serre : Il faut être transparent avec les collaborateurs et leur expliquer les conséquences de la crise sanitaire sur l’entreprise, les projets qui continuent et ceux qui s’arrêtent. Par ailleurs, il faut évoquer avec eux la nouvelle organisation du travail.
Nous constatons, ces derniers jours, que la grande majorité des gens veulent revenir sur site mais ils veulent aussi garder une part de télétravail. Cela va devenir un critère important pour les salariés. Quant aux entreprises réticentes, elles y viendront mécaniquement car malgré les efforts de réindustrialisation, la France reste une société de services.
Avant la crise, environ 3 à 4 % des salariés travaillaient au moins une fois par semaine de chez eux. Aujourd’hui, c’est 30 %. Il y a donc en France un tiers des emplois qui sont susceptibles d’être télétravaillés.
Les entreprises ont donc tout intérêt à intégrer le fait que travailler de chez soi va devenir une alternative. La pression sociale sera forte sur cette question. Il n’y aura pas de retour en arrière.
Quels sont les défis auxquels vont être confrontés les DRH et les entreprises avec cette nouvelle organisation hybride ?
Les DRH vont devoir faire face à deux problèmes majeurs. Comment restaurer l’équité de traitement entre salariés qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas ? C’est un point important, car le télétravail c’est un avantage. Il faudra négocier avec les partenaires sociaux pour trouver la bonne solution.
Le second enjeu concerne l’adaptation de la législation du travail à cette nouvelle organisation. Un exempleˆ: beaucoup de salariés ont déménagé ou quitté les grands centres urbains pour s’installer à 100 kilomètres de leur lieu de travail et ne souhaite venir que trois fois par semaine. Aujourd’hui, la législation prévoit que l’employeur rembourse la moitié des frais de transports à ses employés. Cela va coûter une fortune aux entreprises.
Il va donc falloir adapter notre législation à cette nouvelle réalité. Le contrôle du temps de travail va aussi forcément changer, car l’une des grandes forces du télétravail c’est la liberté d’organisation qui semble quasiment incompatible avec un système de pointage du salarié.
Certaines études ont montré que les managers avaient beaucoup souffert du télétravail, comment leur permettre de mieux gérer des équipes partiellement à distance ?
Des managers se sont retrouvés perdus parce que les règles en vigueur, basées sur le contrôle et la présence, ne s’appliquaient plus. Des efforts ont été faits pour les former, mais maintenant il va falloir aller plus loin pour développer d’autres compétences : la capacité à faire confiance, à laisser les gens s’organiser.
En somme, abandonner un modèle assez répandu en France, qui repose sur le contrôle, pour un modèle hybride, fondé sur la confiance. Cela signifie aussi pour les DRH, réévaluer nos schémas d’évaluation, de nomination, de recrutement car les qualités que les entreprises vont demander au manager ne seront plus les mêmes.
Selon vous, la crise sanitaire a t-elle démontré que le télétravail était non seulement efficace, mais aussi souhaitable pour les entreprises et les salariés ?
Cela a surtout montré que le télétravail fonctionnait. Avant, certaines entreprises craignaient des impacts négatifs sur l’organisation et la productivité. On s’est rendu compte que cela n’était pas le cas. De leur côté, les salariés ont aussi découvert les avantages et les inconvénients de travailler à distance.
Cela va remettre en cause le schéma de l’organisation du travail tel qu’il existait globalement en Europe de l’Ouest depuis un siècle. C’est une sacrée révolution.
En fait, cette crise a accéléré des mouvements déjà existants : la tendance du management par la confiance, la transformation par le digital, l’évolution de la société du travail… De ce point de vue là, la pandémie de Covid-19 a aussi eu des effets positifs.