À Kigali, Emmanuel Macron a insisté, jeudi, sur la "responsabilité accablante" de la France dans le génocide au Rwanda, sans pour autant formuler les excuses tant attendues. Pour le politologue Michel Galy, ce discours a "un goût d'inachevé", même s'il marque la fin d'une forme de déni institutionnel.
En visite officielle à Kigali, dix jours après avoir reçu son homologue rwandais à Paris, le président français, Emmanuel Macron, a tenu, jeudi 27 mai, un discours hautement symbolique au cours duquel il a reconnu la "responsabilité accablante" de la France dans le génocide au Rwanda.
"La France n'est pas complice, mais elle a un rôle", a-t-il déclaré, évoquant ensuite le devoir de "reconnaître la part de souffrance infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l'examen de vérité."
Après 27 ans de "distance amère" entre Paris et Kigali, les mots d'Emmanuel Macron ont étés salués par le président rwandais, Paul Kagame, comme ayant "plus de valeur que des excuses". Des excuses très attendues par les associations de rescapés du génocide, qui regrettent que le terme n'ait pas été employé par le chef de l'État français, comme il le fut par exemple de la part des dirigeants belges.
Pour Michel Galy, politologue spécialiste de l'Afrique subsaharienne, contacté par France 24, si le terme d'"excuses" aurait en effet marqué l'aboutissement de ce processus de reconnaissance, la visite d'Emmanuel Macron et le discours prononcé à Kigali marquent sans doute la fin d'un déni, essentielle pour la normalisation des relations franco-rwandaises.
France 24 : Lors d'une conférence de presse, Emmanuel Macron a estimé qu'il ne lui incombait pas de présenter des excuses formelles au nom de la France. En quoi le choix des mots est-il si important ?
Michel Galy : Le terme d'"excuses" peut paraître formel et ne peut sembler être qu'un mot, mais cela marquerait l’aboutissement d’un long processus historique de reconnaissance du rôle de la France dans le génocide au Rwanda.
Une évolution a eu lieu à travers les différents rapports d’historiens français et rwandais, et dans cette reconnaissance, non pas d’une complicité mais de "lourdes responsabilités" de la France, comme l’a récemment relevé le rapport Duclert.
On progresse donc petit à petit, à travers les différentes déclarations, les différents discours politiques, vers un rapprochement franco-rwandais, sans pour autant – ce que tout le monde attendait – qu’Emmanuel Macron emploie le terme d'"excuses". Un terme qui a notamment beaucoup de mal à passer dans l'armée française.
Emmanuel Macron a néanmoins insisté sur la "responsabilité accablante" de la France. Peut-on parler de tournant historique ?
Cette reconnaissance est scellée. Cela m’étonnerait que des présidents ultérieurs fassent marche arrière par rapport à cette reconnaissance d’une "lourde responsabilité". De plus, sur le plan institutionnel, cela marque un grand tournant puisqu’il y aura échange d’ambassadeurs et reprise de la coopération.
Mais pour autant, cela laisse un goût d’inachevé parce que le terme d’"excuses" n’a pas été employé. Un terme qui a été formulé pour les génocides juif et arménien. Cela fait partie des enjeux de mémoire très contemporains.
C’est toutefois, sans doute, la fin d’un déni. Un déni qui s’exprime encore, soit par des officiers supérieurs qui ne sont plus d’active, soit par certains historiens d’extrême droite qui refusent de reconnaître tout rôle négatif de l’armée française et de la France dans le génocide.
Il est probable que les termes et les actes aient été pesés au millimètre près par un accord entre les gouvernements français et rwandais avant le voyage d’Emmanuel Macron.
La visite du président français à Kigali marque un apaisement des relations franco-rwandaises. Comment leur normalisation peut-elle se manifester ?
Jusqu'ici, de manière paradoxale, les événements qui ont contribué à faire avancer ce processus seraient peut-être à chercher en France dans la judiciarisation du génocide au Rwanda. Un certain nombre d’acteurs ont été arrêtés en France, jugés et condamnés à de très lourdes peines de prison. Mais la reconnaissance par la justice française du génocide et de ses responsables a été très tardive.
Le processus amorcé très récemment avec la visite récente de Paul Kagame en France et la nomination de l’ancien ministre des Affaires étrangères du Rwanda à la tête de la Francophonie - un événement paradoxal étant donné que Paul Kagame et son régime ont anglicisé le Rwanda - va pouvoir se poursuivre. Cela se fera par un échange d’ambassadeurs et une reprise de la coopération économique, d’autant que le président rwandais a perdu nombre d’appuis dans le monde anglo-saxon, principalement en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Ce processus pourrait par ailleurs avoir un effet sur la coopération judiciaire. Si elle s’intensifiait, cela se manifesterait dans une multitude de procédures à venir contre des ressortissants rwandais ou franco-rwandais réfugiés en France. Les associations en ont identifié un certain nombre et il se pourrait qu’il y ait un coup d’accélérateur, la justice internationale à Arusha et les tribunaux gacaca (tribunaux communautaires villageois, NDLR) ayant, de leur côté, fini de juger les génocidaires.
En France, la justice a agi jusqu'à présent de manière encore très partielle. Des acteurs du génocide se sont réfugiés en France sous de fausses ou de vraies identités, à commencer par Agathe Habyarimana, l'épouse du président rwandais tué en 1994, qui faisait partie des organisateurs du génocide et qui coule des jours heureux, à coté de Paris, avec un statut juridique très ambigu, sans jamais avoir été jugée.