L'anglophobie de Napoléon Bonaparte remonte à ses jeunes années au sein de l'académie militaire. Après son ascension fulgurante en tant qu'empereur, ce sont les Britanniques qui ont réduit à néant sa flotte à Trafalgar et qui l'ont exilé sur l'île de Sainte-Hélène. France 24 revient sur son antagonisme viscéral contre ce pays qu'il appelait "la perfide Albion".
L'empire de Napoléon Bonaparte s'effondre en 1813 après sa désastreuse campagne de Russie. La sixième coalition, composée des Britanniques, des Russes, des Prussiens, des Autrichiens, des Suédois, des Espagnols et des Portugais, s'était rassemblée contre lui. À l'époque, le "petit caporal" ordonne aux Français de se référer aux Anglais en tant que "perfide Albion", transformant cette insulte en un lieu commun.
La première victoire majeure des Britanniques contre les forces napoléoniennes a lieu en 1798, lors de la bataille du Nil, remportée par l'amiral Nelson. Ce dernier capitalise sur la domination de la Royal Navy en mer Méditerranée en remportant sept ans plus tard la spectaculaire bataille de Trafalgar, au sud-ouest des côtes espagnoles. Si Nelson y trouve la mort, la victoire des Britanniques est totale, malgré leur infériorité numérique.
Après avoir envahi le Portugal en 1807, Napoléon se retourne ensuite contre ses alliés espagnols l'année suivante en installant son frère Joseph sur le trône d'Espagne à la place du roi Ferdinand VII. Les Britanniques ne manquent pas d'intervenir en protégeant le Portugal et en apportant leur soutien aux Espagnols. La bataille décisive a lieu en 1813 à Vitoria, entre les troupes françaises qui escortent le roi d'Espagne Joseph Bonaparte dans sa fuite et un conglomérat de troupes britanniques, espagnoles et portugaises. La victoire des alliés oblige l'empereur Napoléon à rendre la couronne espagnole à Ferdinand VII.
La sixième coalition envahit ensuite la France et pousse le "Grand général" à abdiquer en 1814. L'année suivante, Napoléon réussit à s'échapper de son exil sur l'île d'Elbe et repart à l'offensive. Mais le duc de Wellington et le maréchal prussien Leberecht von Blücher mettent un coup arrêt à ses ambitions à Waterloo en 1815. L'empereur déchu est alors définitivement isolé sur l'île de Sainte-Hélène.
Deux-cent ans après son décès, le 5 mai 1821, France 24 revient sur l'hostilité et les défaites de Napoléon contre les Britanniques avec l'historien et biographe Andrew Roberts, auteur de "Napoléon The Great".
France 24 : Selon l'historien J. E. Cookson, en combattant l'armée révolutionnaire française puis l'armée napoléonienne, les Britanniques sont passés "d'une action de police contre un régime révolutionnaire à une guerre de survie nationale". Comment s'est déroulé ce processus ?
Andrew Roberts : Cette citation est un bon résumé des problèmes que les Britanniques ont rencontré face aux Français après le coup d'État du 18 Brumaire en 1799. En face d'eux, ils sont passés d'un gouvernement moribond avec un général brillant [Bonaparte] à un gouvernement énergique avec le même général, qui a vraiment tout changé en devenant Premier Consul cette même année. Cela a placé le gouvernement britannique dans une position beaucoup plus difficile. Il pensait jusque-là qu'il pouvait contenir les guerres révolutionnaires, comme le dit l'expression, entre "la baleine et le loup". La baleine étant la Royal Navy, qui ne pouvait pas vraiment nuire à la France, et le loup qui protège son territoire étant la France, qui ne pouvait pas non plus faire de mal aux Britanniques. Mais soudainement, un réel danger s'est constitué, avec la menace entre 1802 et 1805 d'une invasion française. Napoléon n'avait besoin que d'une bonne météo et un peu de chance dans la Manche pour débarquer n'importe quelle armée dans le Kent ou le Sussex. Il aurait alors pu marcher sur Londres en moins d'une semaine.
Qu'est ce qui explique le succès militaire britannique, spécialement celui de la Royal Navy, face au génie miliaire de Bonaparte ?
C'est vraiment grâce à l'entraînement. La Royal Navy a dû rester 90 % de son temps en mer lorsqu'elle a fait le blocus de Toulon, de Brest et d'autres ports français. Les navires de Nelson sont restés en opération la plupart du temps. Ils avaient aussi beaucoup plus de poudre à canon et ont donc effectué beaucoup plus de tirs. Après avoir passé autant de temps en mer, la Royal Navy pouvait attaquer de travers deux fois plus vite que les Français. C'est ce qui explique qu'il n'y ait pas eu de victoire significative de la marine française lors des guerres révolutionnaires ou napoléoniennes.
Même s'il s'est révélé être un génie dans bien des domaines, Napoléon avait des lacunes en termes de batailles navales. Il n'a pas vraiment compris la différence entre "au vent" et "sous le vent". Bien qu'il soit né sur une île, la Corse, il n'a pas vraiment compris qu'il ne suffisait pas seulement d'avoir un plus grand nombre de bateaux pour gagner. Il n'était pas non plus aussi proche de ses amiraux en mer qu'ils pouvaient l'être de ses maréchaux sur terre.
Quels genres de tactiques ont utilisé Nelson et Wellington pour le vaincre ?
Quand il combattait à la fois dans la péninsule ibérique et à Waterloo, Wellington se battait au sein d'une guerre de coalition. Cela est très important et a joué en sa faveur. Il parlait couramment français, il admirait les Portugais et les Espagnols, notamment leur armée régulière. Il était né pour être un combattant de coalition.
D'autre part, les guerres napoléoniennes n'auraient pas pu être remportées, tout comme la Seconde Guerre mondiale, si l'invasion de la Russie n'avait pas mal tourné. Mais là où les Britanniques se sont montrés redoutables, c'est lors de leurs attaques en périphérie.
Un domaine important est également celui de la coopération entre l'armée et la marine britanniques. Même si cela avait mal débuté lors des guerres napoléoniennes, cette entente s'est améliorée. Il y a aussi eu une refonte importante de l'armée en 1808-1809 par le Prince Frederic, duc d'York, qui a été sous-estimée par l'Histoire. Même s'il n'a pas été un très bon général, il s'est révélé être un grand administrateur. L'armée qu'il a envoyé dans la péninsule était moderne. Elle était basée sur la méritocratie et recevait une paye régulière.
En ce qui concerne Nelson, la stratégie qu'il a utilisé lors de la bataille de Trafalgar était similaire à celle utilisée par l'amiral Rodney lors de la bataille des Saintes (une bataille navale dans les Caraïbes pendant la guerre franco-anglaise en 1782 en Amérique du Nord, NDLR) lorsque vous divisez vos forces en deux et que vous attaquez votre ennemi à angle droit.
Mais la chose la plus merveilleuse au sujet de Nelson est le fait qu'il était toujours à l'offensive. Il avait compris qu'être à l'attaque était un énorme avantage lors des batailles navales. Si vous regardez ce qu'il fait sur le Nil lorsqu'il a réussi à rassembler ses forces des deux côtés de la flotte française à Aboukir, vous vous rendez compte qu'il était capable de modeler sa stratégie selon la direction du vent d'une manière brillante. Nelson et Wellington ont aussi réussi à utiliser les circonstances à leur avantage.
Pour Napoléon, le Royaume-Uni était la "perfide Albion" et une nation de "boutiquiers". Comme vous le notez dans votre biographie, cette hostilité à l'égard des Britanniques était déjà palpable dans sa jeunesse. D'où vient-elle ?
Quand il s'est rendu à Angers et Brienne pour suivre sa formation militaire, il a reçu un enseignement de personnes qui avaient été influencées par la guerre de Sept ans (qui opposa de 1756 à 1763 la France, alliée à l'Autriche, et la Grande-Bretagne, alliée à la Prusse, NDLR) au cours de laquelle les Français avaient été écrasés par les Britanniques. Il a ainsi grandi dans une atmosphère d'anglophobie.
Il faut toutefois noter que lorsqu'il a rencontré des Anglais, à Elbe, lors de ses campagnes militaires ou en préparation de la bataille de Waterloo, il s'est très bien entendu avec eux. Il a rencontré une douzaine de Britanniques. Il était très ami avec Lord John Russell (futur Premier ministre qui avait rendu visite à Napoléon à Elbe dans ses jeunes années, NDLR) et Charles James Fox (un homme d'État britannique, admirateur de la révolution française, NDLR). Napoléon aimait les Anglais quand il les rencontrait, mais ce n'était évidemment pas le cas lorsqu'ils étaient en nombre face à lui.