Lors de la phase aller des 8es de finale de Ligue des champions, sept des huit matches disputés ont été remportés par l'équipe qui se déplaçait. Privées de leurs supporters, les équipes à domicile voient leurs repères brouillés, tandis que les équipes à l'extérieur se sentent pousser des ailes. Analyse.
Le Real Madrid et Manchester City doivent-ils trembler à l'idée de recevoir l'Atalanta Bergame et Mönchengladbach, mardi 15 mars, en huitième de finale retour de Ligue des champions ? Les équipes évoluant à domicile ont été malmenées depuis le début de la phase à élimination directe de la compétition continentale : seulement trois victoires et deux matches nuls en douze rencontres. Une statistique qui peut s'expliquer en partie par le huis clos qui empêche les écuries européennes de profiter de l'appui de leur 12e homme à domicile.
Un nombre inédit de défaites à domicile
La phase aller de la Ligue des champions a , en effet , abouti à un bilan inédit depuis l'instauration des 8es de finale lors de la saison 2003-2004, selon le site spécialisé SoFoot. Le FC Barcelone, le FC Séville, l'Atalanta Bergame , la Lazio de Rome, Mönchengladbach, l'Atlético Madrid et le RB Leipzig (certes sur terrain neutre pour ces trois derniers) ont tous dû s'incliner . Seul Porto a glané une victoire à domicile. Logique , vu que les équipes sorties premières de leur poule sont censées affronter un club ayant terminé deuxième , donc théoriquement plus faible , et ne recevoir qu'au match retour . Mais ce nombre de victoires à l’extérieur reste inédit dans ces proportions.
La phase retour a commencé sous les mêmes auspices : le PSG a difficilement arraché un match nul au Parc des princes face au Barça, même chose pour le Borussia Dortmund face au FC Séville. La Juventus a obtenu une victoire au goût plus amer : 3-2 après prolongations face au FC Porto, pourtant réduit à 10 depuis de longues minutes. Seul Liverpool n'a pas tremblé face à Leipzig, mais on pourrait arguer que son match retour, tout comme son match aller, avait lieu sur terrain neutre.
En juillet dernier, une mini-étude publiée dans le New York Times sur l'impact du huis clos sur la Bundesliga alertait déjà sur un effondrement des victoires à domicile lors de la reprise du championnat : il était tombé de 43 % à 33 % après la reprise du championnat.
New @CIES_Football Weekly Post ranks teams from 6⃣6⃣ top divisions worldwide according to % of home wins since the #Covid_19 pademic: empty stadiums does not affect @Atleti ????; @Glimt & @RangersFC 1⃣0⃣0⃣% wins without fans ???? Full data ➡️ https://t.co/7yGyEdUSxU pic.twitter.com/r8lLH8eqgb
— CIES Football Obs (@CIES_Football) January 25, 2021Des chiffres publiés par le CIES (Centre international d’étude du sport) , le 25 janvier , tendaient à prouver ce premier postulat. Le pourcentage de victoires à domicile, au sein des 66 ligues européennes, est passé de 45,1 % entre le 1er janvier 2019 et le 31 mars 2020 à 42 % entre le 1er avril 2020 et le 18 janvier 2021.
Le manque de repères des joueurs
Des chiffres qui prouvent le ressenti de beaucoup de joueurs et d'entraîneurs évoquant souvent l'absence des supporters.
"Là, c’est flagrant, sans les supporters, le football c’est nul. On joue des matches, on est contents parce que c’est notre passion, mais le fait de ne pas pouvoir partager ça avec les supporters, ça tue le football", expliquait le milieu de l' OM Valentin Rongier, après une défaite en Ligue des champions. "Ce n’est pas une excuse sur notre jeu. Mais à mon avis, la situation aurait été différente si les supporters avaient été là en Ligue des c hampions."
Valentin Rongier : "Le manque de supporters n'est pas une excuse mais le Vélodrome rempli nous donne énormément de force." pic.twitter.com/BCSz0Uq3Ei
— BeFoot (@_BeFoot) January 29, 2021"Plusieurs chercheurs se sont intéressés au sujet de l'avantage supposé à évoluer à domicile. Des études ont montré qu’il y avait une augmentation du taux de testostérone chez les rugbymen jouant à domicile, notamment liée à la défense du territoire face aux voisins lors de querelles de clochers", explique Fabrice Dosseville, professeur à l’Université de Caen Normandie au sein de l'UFR Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) et spécialiste de la psychologie du sport, interrogé par France 24. "En revanche, si la présence de public joue un rôle, il ne saurait être l'unique facteur."
"L'avantage à évoluer à domicile se construit sur de multiples facteurs. C'est la force de l'habitude : le fait d'avoir toujours la même place dans le vestiaire, d'être devant son public et se sentir poussé, d'avoir des visages connus comme sa famille dans le public. Enlever ces éléments à l'équipe qui accueille et les joueurs sont en perte de repères", théorise l'universitaire.
Pour pallier la tristesse d'un stade vide, plusieurs clubs ont opté pour la mise en place d'artifices tels que des silhouettes en carton, des écrans diffusant des images de supporters ou encore la diffusion d'ambiances sonores. Mais pas de quoi remettre le joueur dans l'ambiance, selon Fabrice Dosseville.
"Au lieu d’avoir un stade vide, on a donc un stade vide mais avec une ambiance générale qui rend mieux pour les diffuseurs. Le stade et l'ambiance continuent , cependant, de sonner creux pour les joueurs. Rien ne saurait imiter la 'vraie ambiance'" pour mettre les joueurs dans la bonne dynamique, explique-t-il.
Un avantage pour les visiteurs ?
Si le huis clos constitue indéniablement une perte pour l'équipe à domicile, est-il possible d'extrapoler jusqu'à dire que les équipes qui se déplacent ont désormais l'avantage dans les rencontres ?
"Pour les joueurs qui se déplacent , on passe de l'idée d'un terrain hostile à soi à celle d'un terrain neutre. Certains y voient une opportunité à saisir", estime Fabrice Dosseville. "Je pense qu'on est davantage dans un lissage des chances des deux équipes plutôt que sur un avantage à ceux qui se déplacent."
Reste à étudier l'impact de ce huit clos sur le 23e protagoniste d'un match : l'arbitre.
"À haut niveau, il faut considérer que l’arbitre est un professionnel et qu'il est toujours neutre dans un match. En revanche, des travaux ont prouvé que la présence d'un public peut inconsciemment avoir un impact sur l'arbitre et ses décisions", note Fabrice Dosseville. " À ce titre, on pourrait dire que le huis clos permet à l’arbitre d'être mieux concentré sur le jeu et d'éviter les erreurs. Cependant, l'hypothèse est difficile à prouver car la DTN de l'arbitrage ne communique pas là-dessus."
Enfin, il reste le cas particulier du club de l'Atlético Madrid. Les colchoneros, après avoir perdu leur match aller sur terrain neutre – compté comme joué à domicile –, devront aller chercher leur qualification sur la pelouse de Chelsea qui , lui, évoluera bien à Stamford Bridge mercredi 17 mars. Une rupture dans l'équité sportive créée par la recrudescence du Covid-19 en Europe , et qui prouve que la compétition n’a pas fini de surprendre pour cette édition 2020-2021.