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Birmanie : les citoyens continuent de faire pression sur la junte, qui multiplie les arrestations

La mobilisation se poursuit samedi en Birmanie, avec de nouvelles manifestations organisées pour exiger le retour à la démocratie et la libération d'Aung San Suu Kyi. Après le coup d'État du 1er février, et malgré la pression internationale, les arrestations d'opposants ordonnées par la junte militaire se multiplient.

Apparition de comités citoyens anti-junte, manifestations toujours massives, résolution à l'ONU... Alors que les arrestations d'opposants se multiplient en Birmanie, la mobilisation contre le coup d'État s'est poursuivie, samedi 13 février, avec de nouvelles manifestations enclenchées dès le matin et réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes en début d'après-midi.

À Rangoun, les manifestants se sont rassemblés, trois doigts levés en signe de résistance, et le trafic s'est arrêté dans un concert de klaxons pour célébrer l'anniversaire du héros de l'indépendance birmane, le général Aung San, qui aurait eu 106 ans samedi.

Il était aussi le père d'Aung San Suu Kyi, l'ex-cheffe de facto du gouvernement, renversée par le coup d'État et désormais détenue au secret depuis treize jours dans une résidence de Naypyidaw, la capitale administrative du pays, où elle est "en bonne santé", selon un message publié par son parti sur Facebook samedi.

Des manifestations se sont tenues dans d'autres villes. Naung Po Aung, un village réculé de 7 500 habitants dans le nord du pays, a même accueilli un défilé de plusieurs centaines de personnes, soulignant l'ampleur de l'opposition au coup d'État à travers toute la Birmanie.

La veille, ils étaient encore des centaines de milliers de manifestants dans les rues, malgré les nombreuses arrestations ordonnées par la junte, à demander un retour rapide à la démocratie et la libération d'Aung San Suu Kyi.

Pression internationale sur le régime

Depuis le putsch du 1er février, "plus de 350 responsables politiques, représentants de l'État, militants et membres de la société civile, y compris des journalistes, des moines et des étudiants ont été placés en détention", a relevé l'ONU lors d'une session extraordinaire de son Conseil des droits de l'Homme, jugeant "inacceptable" l'usage de la violence contre des manifestants.

Lors de cette réunion, le régime des généraux a été mis sous pression avec l'adoption d'une résolution exigeant la libération immédiate d'Aung San Suu Kyi.

Vendredi soir, des comités de vigilance citoyenne ont vu spontanément le jour à travers la Birmanie, chargés de surveiller leur voisinage en cas d'opérations menées par les autorités pour arrêter des opposants.

Une vidéo filmée dans un quartier de Rangoun, la plus grande ville et capitale économique du pays, montrait de nombreux habitants envahir la rue, défiant le couvre-feu instauré à 20 heures, après des rumeurs d'une descente de la police venue arrêter des dissidents.

Des manifestations pacifiques, mais une tension palpable

À Pathein (sud), des centaines de personnes ont marché de nuit vers l'hôpital public pour tenter de défendre le médecin en chef, dont la nouvelle de l'arrestation par l'armée avait rapidement fait le tour de la ville.

Après des informations contradictoires, le médecin, connu pour ses positions anti-junte mais pas arrêté, est sorti saluer la foule rassemblée devant l'établissement les 3 doigts levés en signe de résistance à l'armée. "Si j'ai des problèmes, je ferai appel à vous", leur a lancé Than Min Htut.

À Rangoun, des médecins, des étudiants et des salariés du privé ont marché sur une des grandes artères de la ville. Bravant l'interdiction des rassemblements, beaucoup ont arboré du rouge aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, d'autres ont brandi des portraits de l'ex-dirigeante de 75 ans, détenue au secret depuis douze jours.

"Nous ne reprendrons le travail que quand le gouvernement civil de 'Mother Suu' Kyi sera rétabli. Peu importe les menaces", a déclaré à l'AFP Wai Yan Phyo, médecin de 24 ans, avant que la foule ne se disperse en début de soirée.

Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs autres villes, des jeunes chantant du rap et exécutant des "danses anti-coup". Les manifestations ont été largement pacifiques, mais la tension était palpable.

Les forces de l'ordre ont dispersé brutalement un sit-in dans le sud du pays. Plusieurs personnes ont été légèrement blessées par des tirs de balles en caoutchouc et au moins cinq autres interpellées.

Les Rohingyas redoutent de nouvelles violences

Marqués par des années de conflit et d'errance, les Rohingyas de Birmanie s'inquiètent du retour du régime militaire, redoutant de nouvelles violences dans leur région d'origine, l'État Rakhine, où d'autres communautés ont apporté leur soutien au nouveau régime.

Une grande partie de cette minorité musulmane apatride longtemps persécutée a passé des années dans des camps de déplacés surpeuplés, sans liberté de mouvement ni accès aux soins, vivant dans des conditions qualifiées d'"apartheid" par les défenseurs des droits.

Ils restent marqués par la répression militaire de 2017 qui a vu des villages entiers rasés et quelque 750 000 Rohingyas fuir les exactions, viols et exécutions extrajudiciaires pour se réfugier au Bangladesh.

"Avec un gouvernement démocratique, nous avions un petit espoir de pouvoir rentrer chez nous", dit un Rohingya de 27 ans, sous couvert d'anonymat, dans un camp près de Sittwe, la capitale de l'État Rakhine. "Mais maintenant, c'est certain que nous ne pourrons pas rentrer", ajoute-t-il.

Accusée de génocide lors des violences commises en 2017 dans cet État où vivait la majorité des Rohingyas de Birmanie avant leur exode, la Birmanie a été traînée devant la Cour internationale de Justice.

Le chef de l'armée, Min Aung Hlaing, qui dirige la junte depuis le putsch, a à plusieurs reprises affirmé que la répression avait été nécessaire pour mettre fin à l'insurrection dans l'État Rakhine.

"Il y a un vrai risque que [ce régime] mène à de nouvelles violences au Rakhine", estime Tun Khin, président de l'ONG britannique Burma Rohingya Organisation. 

Après avoir pris le pouvoir, la junte a promis de respecter les plans de rapatriement des réfugiés du Bangladesh, restés lettre morte depuis des années. Mais "personne ne croit un mot de ce qu'ils disent", assure Tun Khin.

Pression internationale

La situation en Birmanie est depuis douze jours au cœur de l'agenda international.

Jeudi, Washington a annoncé bloquer les actifs et transactions aux États-Unis de dix responsables militaires ou anciens militaires tenus pour responsables du putsch, dont leur chef, Min Aung Hlain. Trois sociétés, détenues ou contrôlées par l'armée dans le secteur très lucratif des pierres précieuses, sont également ciblées. 

Mais Pékin et Moscou, soutiens traditionnels de l'armée birmane, lui ont apporté de nouveau un appui sans faille lors du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, leurs ambassadeurs assurant simplement qu'il s'agit d'une "affaire interne" au pays.

Les géants de l'Internet ont de leur côté dénoncé un projet de loi sur la cybersécurité qui permettra à la junte de les obliger à transmettre des métadonnées d'utilisateurs.

Facebook, principal moyen de communication pour des millions de Birmans, a déclaré qu'il réduirait la visibilité du contenu géré par l'armée, affirmant que celle-ci répandait "de fausses informations".

Avec AFP