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L'armée birmane lance un raid au siège du parti d'Aung San Suu Kyi

L'armée birmane a investi, mardi soir, le siège du parti de la dirigeante évincée du pouvoir Aung San Suu Kyi à Rangoun, sans égard pour l'appel des Nations unies à cesser la répression contre les manifestants réclamant le retour de la démocratie.

Une semaine après le coup d'État militaire et l'arrestation de la cheffe du gouvernement Aung San Suu Kyi, l'armée birmane a mené un raid, mardi 9 février, dans les locaux de son parti à Rangoun, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), selon la formation politique.

"Le dictateur militaire a investi et détruit le quartier général de la LND aux environs de 21 h 30" (15 h GMT), a indiqué le parti sur sa page Facebook. Le bref communiqué n'a donné aucun détail supplémentaire.

Ce raid est survenu alors que des manifestations avaient lieu pour la quatrième journée consécutive, mardi, malgré des mises en garde de la junte. Ces manifestations dans plusieurs villes ont été réprimées avec des canons à eau et des tirs de balles en caoutchouc.

L'ONU a condamné mardi l'usage "disproportionné" et "inacceptable" de la force.  "De nombreux protestataires ont été blessés, dont certains gravement", d'après des rapports reçus de plusieurs villes du pays, a déclaré dans un communiqué Ola Almgren, coordonnateur résident des Nations unies en Birmanie. 

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a de son côté évoqué l'adoption de nouvelles sanctions contre l'armée birmane : "Nous sommes en train de revoir toutes nos options", a-t-il déclaré devant les députés européens, soulignant toutefois que ces mesures ciblées ne devaient pas frapper la population.

Les États-Unis ont également dénoncé l'usage de la force à l'encontre des manifestants par la voix du porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price : "Nous renouvelons nos appels à ce que l'armée renonce au pouvoir, restaure le gouvernement démocratiquement élu, libère les personnes détenues, lève toutes les restrictions aux communications et s'abstienne d'(user) de violence", a poursuivi Ned Price.

Représailles de plusieurs manifestations par l'armée

Il était à ce stade impossible d'obtenir une estimation du nombre de blessés auprès des hôpitaux. Mais la tension est montée d'un cran mardi, l'armée ayant menacé la veille les contestataires de représailles.

À Naypyidaw, la capitale construite par la junte au cœur de la jungle, "la police a tiré des balles en caoutchouc sur des manifestants", selon une habitante.

Un médecin a affirmé que les militaires avaient également tiré à balles réelles, à en juger par les blessures subies par deux jeunes hommes hospitalisés dans un état critique. "Nous pensons qu'il s'agit de balles réelles", a déclaré ce médecin. "On a tiré sur mon fils qui tentait d'utiliser un mégaphone pour demander aux gens de manifester pacifiquement", a raconté le père d'un des blessés, Tun Wai, un orfèvre de 56 ans. 

À Mandalay, la deuxième ville du pays, la police a tiré des gaz lacrymogènes contre des protestataires qui agitaient des drapeaux de la LND.

Les autorités ont interdit depuis lundi soir les rassemblements de plus de cinq personnes à Rangoun, Napypidaw et dans d'autres villes. Un couvre-feu a été décrété et les manifestants se sont dispersés en début de soirée.

Bravant les menaces, les manifestants sont à nouveau descendus mardi dans les rues, même si les foules ont été moins nombreuses que les jours précédents.

Des élections "libres et justes" dans un an ?

"Pas de dictature !", "Nous voulons notre cheffe !" – Aung San Suu Kyi, détenue au secret depuis son arrestation le 1er février –, pouvait-on lire dans la journée sur des banderoles brandies par des contestataires près du siège de la LND à Rangoun.

Dans un autre quartier de la ville, des dizaines d'enseignants ont défilé, saluant à trois doigts en signe de résistance. "Nous sommes inquiets" mais "nous sommes plus préoccupés par l'avenir de nos enfants", a déclaré Khin Thida Nyein, un professeur.

Ces derniers jours, des centaines de milliers de manifestants ont défilé à travers le pays, réclamant la libération des personnes détenues, la fin de la dictature et l'abolition de la constitution de 2008, très favorable à l'armée.

Ce vent de contestation est inédit depuis le soulèvement populaire de 2007, la "Révolution de safran" menée par les moines et violemment réprimée par les militaires. Le risque de répression est réel dans le pays qui a déjà vécu près de 50 ans sous le joug des militaires depuis son indépendance en 1948.

Depuis le 1er février, plus de 150 personnes – députés, responsables locaux, activistes – ont été interpellées et sont toujours en détention, selon l'Association d'assistance aux prisonniers politiques, basée à Rangoun.

Le commandant en chef de l'armée, Min Aung Hlaing, s'est exprimé pour la première fois lundi soir sur la chaîne de l'armée, Myawaddy TV. Il s'est engagé à "la tenue d'élections libres et justes" à la fin de l'état d'urgence d'un an et a promis un régime militaire "différent" des précédents.

Crainte de perte d'influence de l'armée

Le putsch du 1er février a mis fin à une brève parenthèse démocratique d'une décennie. L'armée conteste la régularité des législatives de novembre, remportées massivement par la LND. Mais des observateurs internationaux n'ont pas constaté de problèmes majeurs lors de ce scrutin.

En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d'Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution.

Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité lors des exactions contre les musulmans Rohingyas, la prix Nobel de la paix, en résidence surveillée pendant 15 ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays.

L'ex-dirigeante serait "en bonne santé", assignée à résidence à Naypyidaw, d'après son parti.

Le coup d'État a été condamné par les États-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays. La Nouvelle-Zélande a annoncé la suspension de ses contacts militaires et politiques de haut niveau avec la Birmanie, devenant le premier pays à décider d'un isolement de la junte.

Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU va tenir vendredi une session spéciale sur ces événements. Le Conseil de sécurité des Nations unies a de son côté appelé à la libération des détenus.

Avec AFP