Le gouvernement français a annoncé la fermeture des frontières et des très grandes surfaces pour se donner une dernière chance d'éviter un troisième confinement. Pour les épidémiologistes, ces nouvelles restrictions ne seront pas suffisantes.
"Donner une chance d'éviter le confinement". La France a finalement opté vendredi 29 janvier pour un nouveau panel de mesures plutôt qu'un troisième confinement pour tenter d'endiguer la nouvelle vague de Covid-19. Un choix qui interroge les épidémiologistes, alors que les chiffres se détériorent chaque jour.
Le gouvernement a notamment décidé de fermer les frontières aux pays extérieurs à l'UE à partir de dimanche minuit "sauf motif impérieux" et de fermer les centres commerciaux non-alimentaires de plus de 20 000 m² tout en renforçant les contrôles sur les jauges de fréquentation des grandes surfaces.
"Vous trouvez qu'il y a eu des annonces, vous ?", cingle Dominique Costagliola, épidémiologiste en recherche clinique et biomathématicienne, dans Le Parisien.
"Les mesures sur le plan sanitaire sont quasi anecdotiques", a déploré samedi sur BFMTV le professeur Gilbert Deray, chef du service de néphrologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. "Ce n'est pas reculer pour mieux sauter, c'est reculer pour moins bien sauter : plus vous reculez, plus ça monte – et ça va monter –, et plus ça va être dur, plus ça va être long", a-t-il ajouté.
???? "Ce n'est pas reculer pour mieux sauter, c'est reculer pour moins bien sauter"
Gilbert Deray réagit au choix du gouvernement de ne pas reconfiner le pays ⤵ pic.twitter.com/6uuLIJ0wGR
"Il n'y a rien qui puisse casser la dynamique actuelle [dans ces mesures]", critique Catherine Hill, épidémiologiste et biostatisticienne, interrogée par France 24. "Le virus circule déjà sur le territoire, donc il est trop tard pour fermer les frontières."
Le variant anglais, bien plus contagieux, représente désormais 10 % des cas détecté en France.
Synchroniser confinement et vacances scolaires
"Pour moi, le gouvernement veut synchroniser le confinement avec les vacances scolaires. C'était probablement la logique d'hier soir", avance Catherine Hill.
Une hypothèse partagée par son confrère Bruno Megarbane, chef du service réanimation médicale et toxicologique de l'hôpital Lariboisière à Paris : "On voit bien qu'il y a une volonté d'attendre, probablement pour faire concorder une décision de restrictions supplémentaires avec les vacances de février", qui commencent le 6 février pour la zone A, note-t-il sur LCI. "Ça va être un confinement d'au moins un mois, donc il faut peser la nécessité."
Pour Catherine Hill, il y a déjà urgence à imposer un nouveau confinement en France. Graphiques à l'appui, elle montre l'inquiétante dynamique actuelle de l'épidémie sur le territoire en la comparant avec les périodes qui ont précédé les deux premiers confinements :
"La courbe des admissions à l'hôpital (en rouge) et celle des admissions en réanimation sont globalement synchrones depuis le début de la pandémie", analyse l'épidémiologiste. "Or, celles-ci augmentent à nouveau dans des proportions inquiétantes. En ne confinant pas, on ne fait que reculer pour mieux sauter. Les services hospitaliers vont être saturés."
La pression sur le système de santé français est actuellement élevée avec 27 270 malades du Covid-19 hospitalisés, pas loin des pics de la première et de la deuxième vague (32 000 et 33 000). Parmi eux, 3 120 patients se trouvaient en réanimation vendredi 29 janvier, en-dessous des pics des précédentes vagues (4 900 à l'automne, 7 000 au printemps).
"Le confinement est une solution palliative."
"On a levé le deuxième confinement trop tôt. Nous n'étions pas redescendu au niveau de juin-juillet, comme le montre le graphique", note Catherine Hill. "Le confinement est une solution palliative. J'aime cette citation d'un expert de l'OMS lue dans le Guardian: 'Confiner une population entière est le prix qu'un pays paie pour avoir échoué à isoler les porteurs du virus et leurs contacts'. Si l'on veut réellement contrôler l'épidémie, il faut dépister rapidement toute la population."
Selon l'épidémiologiste, la France se trompe dans sa politique de test en s'intéressant de manière quasi exclusivement aux personnes symptomatiques : " Plus de la moitié des contaminations viennent de gens n'ayant pas de symptômes. Le virus circule subrepticement à travers ces gens. Ces gens, on ne les cherche pas donc on les trouve pas", affirme-t-elle, citant une étude publiée en janvier 2021 sur Jama Network Open.
"Actuellement les tests nasopharyngés sont privilégiés, mais ils sont très contraignants. On pourrait enfin passer aux tests salivaires. Ça ne dérangera personne de cracher dans un tube pour être testé", appelle Catherine Hill, qui regrette la frilosité française sur ses tests. "Pour améliorer la vitesse des tests, on peut également pratiquer le 'pooling'". Au lieu de tester un par un les échantillons, on regroupe des prélèvements par 10 ou 15. Si le résultat de ce PCR est négatif, on peut exclure directement ces personnes."
"Un nouveau confinement doit être mis à profit pour tester massivement et revoir notre stratégie", réclame Catherine Hill. "À défaut, des confinements supplémentaires seront envisageables le temps que la vaccination de la population soit suffisante.