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Beauvau de la sécurité : effet d'annonce ou volonté de changement ?

Le président de la République a annoncé mardi la tenue en janvier d'un "Beauvau de la sécurité" destiné à "améliorer les conditions d'exercice" des forces de l'ordre et "consolider" leurs liens avec les Français. Mais la nouvelle suscite de nombreuses interrogations.

Pris entre deux feux, Emmanuel Macron s'en remet à ce qui devient une habitude dans son quinquennat : l'organisation d'une grande concertation. Après le Grenelle de l'alimentation, le Grand débat national, le Grenelle contre les violences conjugales, la Convention citoyenne pour le climat et le Ségur de la santé, voici maintenant le Beauvau de la sécurité.

Accusé par de nombreuses associations et collectifs de citoyens de fermer les yeux sur les violences policières, critiqué depuis quatre jours par les syndicats des forces de l'ordre pour avoir parlé de ces violences et des contrôles au faciès lors de son interview accordée au média en ligne Brut, le président de la République a opté pour une solution à même, selon lui, de déminer une situation explosive et de réconcilier les Français avec leur police.

Ce "Beauvau de la sécurité" réunira représentants des forces de l'ordre, élus et citoyens. "J'y interviendrai personnellement", indique Emmanuel Macron, dans une lettre datée de lundi 7 décembre et consultée par l'AFP, qui répond au secrétaire général du syndicat majoritaire Unité-SGP-FO, Yves Lefebvre. Ce dernier avait écrit le même jour au chef de l'État pour lui faire part de la "colère" qu'ont suscité chez les policiers ses propos de vendredi sur Brut.

"Il y a urgence à agir. À la fois pour consolider le lien de confiance entre les Français et les forces de l'ordre. Mais aussi donner aux policiers et aux gendarmes des moyens à la hauteur de leur engagement et des attentes de nos concitoyens", écrit le président de la République dans cette lettre.

Le chef de l'État y évoque sept "chantiers" à ouvrir : la formation des policiers, leur encadrement, les conditions matérielles d'exercice de leurs missions, la question de la captation vidéo des interventions, la mission des inspections, les effectifs et le lien entre la police et la population.

Ce sera "la première pierre de la grande loi de programmation de la sécurité intérieure que les forces de l'ordre méritent depuis longtemps", a souligné dans un tweet le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui recevra les syndicats de police le 18 décembre.

Le Beauvau de la sécurité annoncé par le Président de la République est la première pierre de la grande loi de programmation de la sécurité intérieure que les forces de l’ordre méritent depuis longtemps.

— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) December 8, 2020

L'enjeu majeur de l'identité des participants

L'annonce a de quoi surprendre. Le ministère de l'Intérieur a en effet publié le 16 novembre son "livre blanc de la sécurité intérieure", fruit d'un travail de plusieurs mois ayant réuni experts de la sécurité, élus, préfets, agents de terrain, chercheurs et universitaires, acteurs de la sécurité privée et citoyens. Un document de 332 pages pour 200 mesures visant notamment à "garantir l'efficacité de l'action des forces de sécurité intérieure" et à "recréer les conditions de la confiance entre la population et les forces de sécurité".

"Il y a un côté redondant avec le travail effectué sur le livre blanc, mais aussi avec la consultation menée en 2017 avant le lancement de la police de sécurité du quotidien", note Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip à l'université de Versailles Saint-Quentin et spécialiste de la police, contacté par France 24. "Donc il y a la crainte d'un effet d'annonce, mais la différence cette fois-ci, c'est le caractère public et un peu solennel de la chose."

Emmanuel Macron ayant promis de participer aux rencontres, celles-ci bénéficieront de fait d'un coup de projecteur médiatique. Cela permettra-t-il un dialogue constructif ? Pas certain, à en juger par les réactions des principaux syndicats des forces de l'ordre.

Si Unité-SGP-FO a salué "la réponse rapide du président", Alliance (syndicat majoritaire chez les gardiens de la paix) et Synergie Officiers se sont montrés "circonspects", estimant que ce type de réunion ne permettrait pas "de régler les problèmes". Alliance a d'ailleurs prévenu qu'il ne "répondrait pas à l'invitation" présidentielle et tous ont annoncé le maintien de l'appel à l'arrêt des contrôles d'identité.

"La réussite de cet événement dépendra notamment des participants, poursuit Mathieu Zagrodzki. Il faudra de la diversité et de la représentativité pour trouver un point de rencontre entre forces de l'ordre et population, en s'appuyant sur les acteurs les plus ouverts au dialogue."

"Une habitude de faire des annonces qui ne débouchent sur rien"

Une autre interrogation réside dans les thématiques qui seront mises sur la table. Le livre blanc de la police avait soigneusement laissé de côté les sujets sensibles comme les violences policières, la défiance grandissante de la population envers l'institution, les accusations de racisme systémique ou encore l'indépendance de l'IGPN, la police des polices. Ces sujets seront-ils abordés frontalement cette fois-ci ?

"J'espère une bonne nouvelle mais Emmanuel Macron a l'habitude de faire des promesses et des annonces qui ne débouchent sur rien", explique à France 24 Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat policier Vigi, ayant récemment annoncé son départ de la police après l'affaire Michel Zecler. "Je rappelle qu'il avait déjà demandé en janvier 2020 au ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, des propositions pour améliorer la déontologie des forces de l'ordre, ajoute-t-il. Puis il avait demandé au gouvernement au printemps d'accélérer sur la déontologie. Or, on attend toujours, donc je suis assez sceptique."

Enfin, quelle suite donner au Beauvau de la sécurité ? "Organiser une réunion, c'est facile, mais en faire découler des réformes concrètes, c'est plus difficile", juge Mathieu Zagrodzki. "On peut prendre des bonnes résolutions mais si ça ne s'applique pas, ça ne sert à rien", abonde Alexandre Langlois, qui ne croit pas à un changement des mentalités avec les responsables actuels.

D'autant qu'entre les suites de la crise sanitaire et économique et la campagne pour la prochaine élection présidentielle, il restera peu de temps pour mettre à l'agenda politique la grande loi de programmation de la sécurité intérieure, promise par Gérald Darmanin pour 2022.