
L'Iran, pays le plus touché du Moyen-Orient par la pandémie de coronavirus, a désormais passé le seuil du million de cas de contamination. Inquiets de la multiplication des morts et de la pénurie de matériel médical, des Iraniens livrent à France 24 leur quotidien en temps de Covid-19.
Le confinement aura été de courte durée en Iran. Alors que le pays vient de passer, jeudi 3 décembre, la barre du million de cas de contamination au Covid-19 d’après les chiffres officiels, la République islamique envisage d’alléger dès samedi les restrictions imposées dans de nombreuses zones du pays.
"Ça fait neuf mois qu’on s'est autoconfinés, on n’a pas attendu qu’on nous le demande", raconte Mahsa*, qui a perdu son père, mort du coronavirus pendant la première vague en avril. Contactée une première fois par France 24 au printemps, la mère de famille de 41 ans a vu sa situation se dégrader. L’agence de voyage dans laquelle elle travaillait a fermé ses portes. Son mari, ingénieur, travaille donc pour deux. Il a accepté des missions "en extra" pour maintenir le niveau de vie du foyer. "Pas un jour ne passe sans que je n'apprenne le décès d’une personne de mon entourage." Depuis le printemps dernier, Mahsa vit quasiment cloîtrée chez elle.
L'Iran, pays du Moyen-Orient le plus touché par la pandémie de Covid-19, n'a jamais imposé de confinement général pour enrayer la maladie. Néanmoins, les autorités ont fermé depuis le 21 novembre – pour deux semaines – les commerces non essentiels dans les zones où le risque épidémiologique est le plus élevé. Ces mesures s'appliquent à la grande majorité des villes du pays, dont Téhéran et les trente autres capitales de province.
Mais depuis quelques jours, les autorités sanitaires laissent entrevoir un allègement de ces restrictions dans plusieurs zones du pays, dont Téhéran. Si les écoles, les universités et les mosquées devraient rester fermées, les commerces dits non essentiels pourraient rouvrir.
Selon les données du ministère de la Santé, le virus a fait en moyenne plus de 400 morts par jour en Iran au mois de novembre. Au total, depuis l'annonce des premiers cas en février, 49 348 personnes sont mortes dans le pays à cause du Sars-CoV-2, selon les statistiques officielles. Mais de l'aveu même de certains responsables, parmi lesquels le ministre de la Santé Saïd Namaki en personne, ces chiffres sont largement inférieurs à la réalité. "Je l’attendais ce confinement ! Il fallait faire quelque chose, c’était devenu trop dangereux", ajoute Mahsa.
"Les gens ont besoin de travailler plus que jamais"
Confinée, Téhéran n’est pas pour autant devenue une ville morte. En témoignent sur les réseaux sociaux les images des autoroutes bondées de la mégapole iranienne en journée.
تهران قبل و بعد از ۹ شب
تصاویری جالب از تفاوت ترافیک خیابانهای پایتخت در ساعت عادی و ممنوعه. pic.twitter.com/5l29nd2SqV
Les habitants de la capitale sortent quand même faire quelques courses, les commerces gardent leurs portes ouvertes et les clients se faufilent sous le rideau de fer baissé aux deux tiers. Des blagues circulent sur le "mal de dos" de ceux qui auraient abusé de la pratique.
"Les gens ont besoin de travailler plus que jamais, la situation économique est catastrophique, c’est sans doute pour cette raison que le gouvernement n’a pas imposé de confinement plus long", explique Reza*, à la tête d’une société d’importation de matériel de chirurgie et de laboratoire. La crise du Covid-19 est venue aggraver la situation économique du pays, en récession depuis le retour des sanctions contre l'Iran décidé en 2018 par le président des États-Unis, Donald Trump.
L’activité de Reza a été très fortement affectée par le durcissement des sanctions américaines. "Plus aucune banque chinoise n’accepte mes virements alors que c’était encore le cas il y a six mois. Aujourd’hui, je ne peux plus acheter en Chine, ni en Europe. Or une grande partie des produits que j’importe est fabriquée là-bas", déplore-t-il. Et de lister les conséquences désastreuses pour le traitement des malades iraniens : "Ceux qui souffrent de cancers n’ont plus accès à tous les médicaments, il y a aussi des pénuries d’insuline et de bandes pour tester son diabète, nous manquons aussi de valve artificielle pour le cœur et même des stents que les chirurgiens posent en prévention des infarctus. Les hôpitaux sont contraints de trier les patients, ce qui revient à faire des choix sur ceux qui auront le droit d’être traités ou non." Sur le papier, les médicaments et le matériel médical échappent aux sanctions de Washington, mais en réalité, les banques internationales préfèrent généralement refuser toute transaction impliquant l'Iran plutôt que de courir le risque de s'exposer à des représailles des États-Unis.
Il y a un mois, le propre gendre de Reza a été hospitalisé après avoir été infecté par le virus. Il est sorti après quelques jours passés sous oxygène. "Heureusement, pour ce qui est du coronavirus, le pays fabrique des respirateurs. Nous ne sommes pas les moins bien lotis et les soins sont couverts par la sécurité sociale et les mutuelles dans la plupart des cas", commente-t-il. "Mais une fois à la maison, les malades dont l’état nécessite une assistance respiratoire n’ont pas tous les moyens de louer un extracteur d’oxygène. Certains rechutent et retournent à l’hôpital", constate-t-il.
Des enfants privés de classe virtuelle
La crise économique, accentuée par les sanctions et la pandémie, a creusé les inégalités. En Iran, les écoles sont fermées et les professeurs font classe virtuelle à la demande du ministère de l’Éducation, qui a développé une application à cet effet. Or cet apprentissage à distance nécessite une bonne connexion Internet ou, au minimum, un téléphone portable. Avec l'inflation générée par les sanctions, le prix d’un smartphone importé de l'étranger peut atteindre deux à trois fois le montant d’un petit salaire.
La fille de Mahsa, 8 ans, passe ses journées sur le smartphone. "Elle a cours de 8 h à 14 h en classe virtuelle", explique la mère de la fillette. "Je suis consciente de la chance que l’on a. Ma fille est dans un établissement privé, ils sont dix par classe, les cours à distance restent donc possibles. Que dire des écoles publiques où les professeurs font la classe virtuelle à trente ou quarante élèves ? Que dire des familles qui ne peuvent pas acheter de smartphone à leurs enfants ?"
Ces dernières semaines, plusieurs médias iraniens, tels que la BBC, ont affirmé que cette fracture numérique avait entraîné les suicides d’au moins huit enfants vivant dans des zones rurales et n’ayant pas pu suivre les cours sur Internet. Une information que le gouvernement iranien a réfutée.
Un enseignant iranien travaillant dans une région rurale du nord-est de l’Iran a témoigné auprès des Observateurs de France 24 fin novembre. Depuis deux mois, il enseigne à distance pour sa vingtaine d’élèves. "Ces enfants n’ont pas leur propre téléphone portable. Ils doivent l’emprunter à un membre de leur famille qui en a parfois également besoin. Du coup, ils ne peuvent parfois l’avoir que quelques heures avant de le rendre", affirme le professeur, qui a souvent du mal à joindre ses élèves. L’enseignant regrette que des téléphones portables n’aient pas été distribués aux enfants de familles pauvres et que des accès gratuits à Internet ne soient pas installés dans les régions les plus reculées.
Face à ce manque, les initiatives privées se succèdent pour offrir des téléphones aux enfants qui en sont dépourvus. "Avec le coronavirus, les actions de solidarité se multiplient", raconte Simine*, propriétaire d'un restaurant à Téhéran. "Avec l'aide d'une association spécialisée, nous avons décidé d'octroyer des prêts à taux zéro à nos employés, dont les revenus ont baissé à la suite de la chute de nos activités. On se remet à peine de la première vague du printemps."
16,8 millions de doses de vaccin "via Covax"
Alors que l’Europe commence à voir se profiler une sortie de crise avec la multiplication des annonces concernant des vaccins anti-Covid-19, Reza, lui, reste perplexe quant à la distribution de doses aux Iraniens : "Ça va être compliqué, je le crains… On aurait besoin d’au moins 60 millions de doses. Nous n’avons pas d’autre choix que de patienter, avec de nombreux problèmes d’approvisionnement de produits médicaux à régler en attendant."
Selon le ministre iranien de la Santé, Saïd Namaki, l'Iran a "préacheté" environ 16,8 millions de doses de vaccin "via Covax", le mécanisme d'accès équitable aux vaccins mis en place par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il n’a pas précisé de quel vaccin il s’agissait. Son collègue des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a accusé jeudi les États-Unis d'empêcher le gouvernement iranien d'accéder aux fonds dont il dispose "dans différents pays en vue de dégager des fonds pour pouvoir payer Covax pour le vaccin".
Depuis le printemps, l’Iran prépare également son propre vaccin. Saïd Namaki a précisé mercredi qu'une entreprise iranienne avait "obtenu une licence pour tester le vaccin sur les hommes". Le Dr Minou Mohraz, médecin épidémiologiste au sein du Comité national de lutte contre le coronavirus, a annoncé cette semaine que la phase de tests sur des animaux était terminée. Ni elle, ni le ministère n'ont précisé quand commencerait la phase des tests humains. Mais en cas de succès de cette initiative, "nous serons l'un des principaux producteurs [de vaccin] dans la région au début du printemps prochain", s’est réjoui le ministre iranien.
Reza, pourtant, ne cache pas son inquiétude car l’hiver approche dans la capitale iranienne. "Nous entrons tout juste ici dans la phase de froid, ce qui veut dire que nous allons passer plus de temps dans des espaces confinés, explique-t-il. Je redoute les mois à venir."
* Les prénoms ont été changés.
Avec AFP