Emmanuel Macron s’est adressé à la jeunesse française vendredi lors d'une interview fleuve de plus de deux heures accordée au média en ligne Brut. Lors de cet entretien qui a balayé les thèmes de l'écologie, du covid-19 ou encore des discriminations, le chef de l'État a notamment reconnu qu'il existait "des violences policières" tout en dénonçant une expression qui selon lui est devenue "un slogan".
Reportée en raison du décès de l'ancien président Valéry Giscard-d'Estaing, l'interview d'Emmanuel Macron pour le média en ligne Brut a permis au chef de l'État de s'adresser vendredi 4 décembre à une jeunesse durement frappée par la crise du Covid-19 et préoccupée par les questions d'environnement, de discriminations ou encore de violences policières.
Le chef de l'État a répondu au journaliste Rémy Buisine, malmené par des policiers lors de l'évacuation brutale de migrants à Paris, fin novembre mais aussi aux questions de jeunes internautes membres de la communauté du média en ligne.
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— Brut FR (@brutofficiel) December 5, 2020Interrogé sur les récentes affaires de violences policières qui ont ému l'opinion publique ces dernières semaines, comme celle du producteur Michel Zecler, Emmanuel Macron a expliqué faire "le distinguo entre des individus et une institution" avant d'admettre des "violences policières".
"Ce terme-là est politisé. Les black blocks veulent installer l'idée qu'il y a une violence consubstantielle dans la police. Ce n'est pas vrai", a nuancé le président français.
"Je n'ai pas de problème à répéter le terme de violences policières, mais je le déconstruis", car "c'est devenu un slogan pour des gens qui ont un projet politique. Il y a des policiers qui sont violents" et "qu'il faut sanctionner" a dit le chef de l'État en plaidant pour une meilleure formation des forces de l’ordre.
Déploiement des caméras-piéton à partir de juin
Pour rétablir la confiance entre les policiers et la population Emmanuel Macron a annoncé le lancement en janvier d'une plateforme pour signaler les discriminations ou encore la généralisation des caméras-piéton pour les policiers à partir du mois de juin.
Le chef de l’État a jugé "insoutenable" que les personnes de couleurs soient davantage contrôlées.
"Sur les contrôles, on va mettre en place une plateforme nationale avec un numéro d'appel, la possibilité de signaler, et ce sera géré par l'État, le défenseur des droits et des associations compétentes en la matière, en particulier la Licra", la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, a ajouté Emmanuel Macron.
"On n'est pas la Turquie"
Le chef de l'État a également défendu l'article 24 de la loi "sécurité globale" qui vise à limiter la diffusion d’images des forces de l’ordre estimant que la France "a été caricaturée" dans le débat sur cette disposition et a rejeté les accusations de dérive autoritaire.
"L'objectif de cet article 24 de mieux protéger les policiers, je le partage. Ce que je ne veux pas, c'est que pour atteindre cet objectif, on réduise des libertés", a expliqué le président en assurant que les journalistes et les citoyens pourront continuer à diffuser des images de policiers sur les réseaux sociaux.
Jeudi, cinq rapporteurs de l'ONU ont demandé à la France de réviser sa proposition de loi, qu'ils jugent "incompatible avec le droit international des droits de l'Homme".
"Aujourd’hui, la situation n'est pas satisfaisante mais, pardon, ce n’est pas ça qui fait de nous un état autoritaire", a dit Emmanuel Macron avant d'ajouter : "On n’est pas la Hongrie, la Turquie ou autre."
Invité à réagir à la dernière provocation du président Recep Tayyip Erdogan, Emmanuel Macron a plaidé pour le "respect" : "Nos sociétés sont de plus en plus violentes, elles le sont aussi parce que les dirigeants ont donné un exemple de violence et donc je pense que l'invective entre dirigeants politiques n'est pas la bonne méthode".
Laïcité : "On est devenus fou"
Les attaques contre Mila, adolescente menacée de mort pour avoir critiqué l'islam sur les réseaux sociaux, et Mennel, ancienne candidate voilée à l'émission The Voice, sont les signes "qu'on est devenu fou", s'est alarmé vendredi Emmanuel Macron en défendant la laïcité en France.
"La seule chose que je vous demande, c'est de respecter totalement les lois de la République et qu'en France on peut en effet critiquer absolument tout : président de la République, gouvernement, les journalistes, une religion, et que ce n'est pas une atteinte aux libertés ou quelque chose qui choque", a-t-il insisté.
"La France, elle n'a pas de problème avec l'islam, elle a même une relation de longue date (...) simplement nous avons construit notre République, notre projet collectif dans la séparation entre le politique et le religieux, c'est ça que parfois beaucoup de régions du monde ont du mal à comprendre", a-t-il ajouté.
Une nouvelle aide pour les jeunes
Emmanuel Macron a par ailleurs déclaré qu'il envisageait une nouvelle "aide exceptionnelle" pour les jeunes en précarité à cause de la crise du Covid-19, ainsi qu'une amélioration du système des bourses étudiantes.
Il s'agirait de nouveau d'une aide de 150 euros comme celles qui ont déjà été versées, a-t-il dit, sans écarter d'autres solutions.
Emmanuel Macron a également assuré que le gouvernement "va tout faire pour pouvoir commencer un peu plus tôt en janvier, pour rouvrir travaux dirigés et demi-amphis" dans les universités françaises.
Souvent déprimés par les deux confinements, privés de petits boulots et de lien social ou en difficulté dans des études à distance, 53 % des 18-30 ans se sentent "révoltés ou résignés" et seulement 22 % "confiants ou enthousiastes", selon un sondage de l'Ifop pour La Tribune.
Emmanuel Macron avait résumé la situation des jeunes le 14 octobre en lançant : "C'est dur d'avoir 20 ans en 2020". "Je ne donnerai jamais de leçon à nos jeunes parce que ce sont eux qui, honnêtement, vivent un sacrifice terrible", avait-il ajouté.
Écologie : "Je n'ai pas de leçons à recevoir"
"Personne n'en a autant fait depuis dix ans !" Tapant du poing sur la table, Emmanuel Macron a estimé qu'il n'avait pas de "leçons à recevoir" et a réfuté tout recul sur ses engagements écologiques.
Interrogé sur la mise en œuvre des propositions de la Convention citoyenne sur le climat, dont des membres s'inquiètent de renoncements, il a estimé normal d'en évaluer toutes les conséquences et de ne pas adopter ces recommandations telles quelles.
"Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c'est la Bible ou le Coran", a-t-il lancé. "Moi je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m'ont aidé au début et qui disent maintenant, il faudrait tout prendre", a-t-il dit.
Le président français a toutefois reconnu ne pas avoir réussi à tenir sa promesse de sortir du glyphosate en trois ans, plaidant un échec "collectif".
"Je n'ai pas changé d'avis" sur cet objectif, mais "je n'ai pas réussi" à l'accomplir, c'est un échec "collectif", a déclaré le chef d'État qui, en novembre 2017, s'était engagé dans un tweet pour une interdiction "au plus tard dans trois ans".
En janvier 2019, Emmanuel Macron avait déjà averti que la France ne parviendrait pas à se passer de cet herbicide "à 100 %" en trois ans. "Pas faisable et ça tuerait notre agriculture", estimait alors le président.
"Quand on veut lutter contre les pesticides, c'est l'Europe le bon niveau", a-t-il expliqué lors de cet entretien. "On ne peut pas gagner la bataille tout seul si on n'a pas les autres Européens", a-t-il insisté.
L'Élysée a indiqué récemment que le président souhaite porter la question au niveau européen, où pour l'instant seul le Luxembourg s'est engagé à se passer du glyphosate d'ici fin 2020.
L'autorisation actuelle du glyphosate dans l'Union européenne court jusqu'à fin 2022.
Avec AFP