Moderna, Pfizer, AstraZeneca… Depuis quelques mois, plusieurs laboratoires se livrent à une course folle pour mettre au point le premier vaccin contre le Covid-19. Tout s'est accéléré en novembre avec les annonces des fabricants sur l'efficacité de leur produit. Chaque candidat-vaccin, qui doit être homologué par chaque pays avant sa mise sur le marché, présente ses spécificités. France 24 fait le point.
Un vaccin sous le sapin ? Un an seulement après l'apparition de cette nouvelle maladie et avant même la fin de 2020, la vaccination contre le Covid-19 est un objectif que le monde touche du doigt.
Le Royaume-Uni est devenu mercredi 2 décembre le premier pays à approuver l'utilisation massive de l'un des vaccins les plus avancés, celui de l'alliance américano-allemande Pfizer/BioNTech. Il commencera à y être disponible à partir de la semaine prochaine.
L'Agence européenne du médicament (EMA) doit pour sa part se prononcer le 29 décembre "au plus tard" sur le vaccin Pfizer/BioNTech et d'ici au 12 janvier sur celui de son concurrent américain Moderna. C'est le calendrier sur lequel se sont calés plusieurs pays en esquissant leurs plans ces derniers jours, comme l'Espagne, l'Italie ou la France.
De l'autre côté de l'Atlantique, l'Agence américaine du médicament (FDA) a aussi été sollicitée par Pfizer/BioNTech et, depuis lundi, par Moderna. En cas de feu vert, les deux vaccins pourraient être disponibles dès ce mois-ci aux États-Unis.
Priorité aux soignants et personnes à risques
Ces délais ont été rendus possibles par une accélération tous azimuts des procédures de recherche, de production industrielle et d'évaluation, appuyée par des financements colossaux. Le développement et la mise sur le marché d'un nouveau vaccin prennent d'habitude dix ans en moyenne.
Mais quelle que soit la date d'approbation des vaccins, tout le monde ne sera pas vacciné tout de suite. "Dans un premier temps, les quantités de vaccins seront limitées et la priorité sera donnée aux soignants, aux personnes âgées et aux autres catégories à risques", a récemment rappelé le patron de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Un autre enjeu majeur sera l'égalité dans l'accès aux vaccins entre pays riches et pauvres.
Efficacité prouvée ?
Dans cette compétition planétaire, aux enjeux financiers énormes, chaque laboratoire tente d'occuper le terrain médiatique avec son vaccin en vue de récolter le maximum de précommandes. Depuis le 9 novembre, quatre fabricants ont annoncé que leur vaccin était efficace: Pfizer/BioNTech, Moderna, l'alliance britannique AstraZeneca/Université d'Oxford et les Russes de l'institut d'Etat Gamaleïa avec Spoutnik V.
Tous ces résultats portent sur le dernier stade des essais cliniques, la phase 3, pour lequel des dizaines de milliers de volontaires ont été recrutés. L'efficacité est mesurée en comparant le nombre de malades dans le groupe de volontaires qui a été vacciné et dans le groupe qui a reçu un placebo.
Pfizer/BioNTech se prévaut d'une efficacité de 95%: sur ses 170 malades, 8 venaient du groupe vacciné et 162 du groupe placebo. Idem ou presque pour Moderna, avec 94,1% d'efficacité (11 malades dans le groupe vacciné, 185 dans le groupe placebo). Le vaccin Spoutnik V russe, lui, affiche une efficacité de 91,4% sur ses 39 malades (et 95% sur un nombre de malades non précisé).
Le calcul est plus compliqué pour AstraZeneca/Oxford. Son efficacité moyenne est de 70%, si on combine les résultats de deux protocoles différents.
Toutes ces données n'ont été dévoilées que par communiqué de presse, sans publication scientifique détaillée.
- Quelles techniques ?
"Les résultats annoncés par Pfizer et Moderna semblent extrêmement intéressants", estimait le généticien Axel Khan lundi 16 novembre sur France 24. Les laboratoires ont misé sur des méthodes différentes, certaines déjà éprouvées, d'autres inédites. Moderna et Pfizer/BioNTech ont ainsi parié sur une nouvelle technique en se basant sur des vaccins "à ADN" ou "à ARN", des produits expérimentaux utilisant des morceaux de matériel génétique modifié. Concrètement, on injecte la molécule d'ARN messager, qui dit aux cellules ce qu'il faut fabriquer. Avec cette méthode, il n'est pas nécessaire de cultiver un pathogène en laboratoire, c'est l'organisme qui fait le travail. Conséquence : ces vaccins sont plus rapides à mettre au point. Mais le sérum, enveloppé d'une capsule protectrice de lipides, doit être stocké à très basse température, car l'ARN est fragile : -70 °C pour BioNTech, contre -20 °C pour Moderna.
Autre spécificité : deux doses sont nécessaires pour être efficaces (espacées de trois semaines chez Moderna, quatre chez Pfizer), ce qui va compliquer la logistique et la production.
D'autres fabricants (comme le chinois Sinopharm) ont préféré miser sur des méthodes plus classiques qui utilisent un virus "tué". Ce sont les vaccins dits "inactivés", comme pour la polio ou la grippe, ou "atténués" (pour la rougeole ou la fièvre jaune). Le produit est ensuite injecté dans l'organisme pour faire réagir le système immunitaire, qui va produire des anticorps spécifiques.
D'autres vaccins, dits "à vecteur viral", sont plus innovants : on prend comme support un autre virus qu'on transforme et adapte pour combattre le Covid-19. C'est la technique choisie par l'université d'Oxford mais aussi par les Russes, qui utilisent des adénovirus (famille de virus très courants).
- Combien de doses ?
Une fois la phase 3 d'essais concluante, puis l'homologation pour entrer sur le marché, vient l'étape de la vaccination à grande échelle. Pour cela, il faut que les sociétés aient la possibilité de produire beaucoup de doses de vaccin – surtout si deux sont nécessaires pour qu’une personne soit immunisée. Moderna s'est engagé à distribuer 20 millions de doses d'ici fin 2020 aux États-Unis, et entre 500 millions et 1 milliard de doses dans le monde en 2021. Le carnet de précommandes est également bien rempli pour Pfizer/BioNTech, qui a prévu de livrer jusqu'à 50 millions de doses d'ici la fin de l'année et jusqu'à 1,3 milliard de doses l'année prochaine.
Côté russe, la production d'un vaccin à grande échelle semble plus compliquée. Début novembre, Moscou a proposé à Paris que "les organisations russes concernées et l'Institut Pasteur" coopèrent pour être en mesure de livrer rapidement un nombre suffisant de doses. Aucune confirmation n'a, pour l'instant, été donnée.
- Quelle distribution ?
Une fois les doses produites, il faut pouvoir les injecter. C'est tout un défi logistique pour les laboratoires qui devront acheminer leurs vaccins. Surtout ceux à ARN messager développés. En effet, ce type de vaccin a besoin d’être stocké à basse température. L’annonce d’un stockage à -80 °C pour le produit de Pfizer/BioNTech a refroidi beaucoup de pays, même si le gouvernement français a de son côté déjà préréservé 90 millions de doses. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a par ailleurs annoncé la commande de 50 supercongélateurs pour pouvoir les conserver.
De son côté, Moderna part avec un avantage puisque son vaccin peut être stocké à -20 °C pendant six mois au réfrigérateur (entre 2 °C et 8 °C) pendant 30 jours et à température ambiante pendant 12 heures. Mais les Européens ne lui ont, pour l'heure, acheté aucune dose.
La pandémie de Covid-19 a fait, au 17 novembre, au moins 1 328 000 morts dans le monde. Plus de 55 millions de cas d'infection ont été officiellement diagnostiqués.
- Questions en suspens ?
Malgré ces avancées, des interrogations demeurent. La plus importante est celle de l'efficacité de ces vaccins à long terme, puisque les chiffres ont été calculés une à deux semaines seulement après la dernière injection. "Combien de temps la protection durera-t-elle? Le virus finira-t-il par muter pour échapper au vaccin, ce qui limiterait alors l'efficacité de la vaccination?", résume une experte britannique, la Dr Penny Ward (King's College de Londres), citée par l'organisme Science Media Centre (SMC).
Autre inconnue de taille : l'action de ces vaccins chez les populations les plus à risque, à commencer par les personnes âgées, dont le système immunitaire est moins efficace. Elles sont beaucoup plus susceptibles d'avoir une forme grave de Covid-19, et il est donc essentiel qu'un vaccin fonctionne dans ce groupe de population.
Il reste aussi à savoir si ces vaccins font barrage à la transmission du virus, en plus de réduire la sévérité de la maladie chez ceux qui les ont reçus. C'est un point essentiel pour stopper la pandémie.