logo

Les instituts de sondage, grands perdants de la présidentielle américaine

Les sondeurs d'opinion se sont encore trompés. Alors que la grande majorité d’entre eux prédisaient une "vague bleue" en faveur des démocrates et une large victoire de Joe Biden face à Donald Trump, les résultats déjà connus démontrent qu’il s’agit de l’une des présidentielles les plus serrées de l’histoire.

Deux jours après le scrutin, ni Donald Trump ni Joe Biden ne peuvent se déclarer vainqueur de la présidentielle américaine. Si le candidat démocrate semble désormais en position de l’emporter face au président sortant, un premier perdant a déjà été identifié par les Américains et les médias outre-Atlantique : les sondages d’opinion.

Et pour cause, après le fiasco de la présidentielle de 2016, qui avait vu la plupart des sondages publiés avant le scrutin donner la victoire à la démocrate Hillary Clinton avec deux, trois voire quatre points d’avance sur Donald Trump, la leçon ne semble pas avoir été retenue.

Quatre ans plus tard, quelques jours avant le scrutin, la majorité des études d'opinion publiées aux États-Unis annonçaient une "vague bleue" en faveur de Joe Biden et des candidats démocrates partis à la conquête des deux chambres du Congrès. L’une d’entre elles, commandée par NBC et le prestigieux Wall Street Journal, prédisait une avance de 10 points pour l’ancien vice-président au niveau national et un avantage certain dans plusieurs États-clés, dont la Floride et la Pennsylvanie. Certains prédisaient même une chute du Texas, bastion pourtant réputé imprenable des républicains.

Des erreurs en cascade

L’institut de sondage Swayable donnait ainsi, le 1er novembre, 7,5 points d’avance au candidat démocrate en Pennsylvanie, tandis qu'un sondage de la Monmouth University du 2 novembre accordait dans cet État entre 5 et 7 points d’écart en faveur de Joe Biden. Pis, dans l’Iowa, les trois instituts Data for Progress, Public Policy Polling et Civiqs voyaient, début novembre, Joe Biden s’imposer avec un point d’écart.

Finalement, la présidentielle semble être l'une des plus serrées de l'histoire du pays, et il apparaît que les principaux instituts de sondage se sont trompés dans plus d’un État. La Floride et le Texas ont bien été remportés par Donald Trump, de même que l’Iowa avec plus de 8 points d’avance, tandis que la Pennsylvanie reste très disputée. En outre, les républicains pourraient bien conserver leur majorité au Sénat, et même grossir leurs rangs à la Chambre des représentants.

"Quel que soit le vainqueur de la course à la présidence, il est certain que la grande majorité des sondages a une nouvelle fois sous-estimé les soutiens de M. Trump, résume dans une étude Nathan Gonzales, du site d’analyses et de recherches non partisan InsideElections.com. La majorité des études nationales comme des sondages effectués dans les États et dans les districts racontaient tous la même histoire, à savoir que M. Trump allait obtenir des résultats inférieurs de plus de 8 points par rapport à ses performances de 2016, au point d’offrir une avance de deux chiffres à M. Biden."

Ce spécialiste des élections américaines s’interroge sur l’avenir des sondeurs après ce nouvel échec retentissant. "La question clé qui se pose pour l'avenir est celle de savoir si les sondages d'opinions sont irrémédiablement en panne ou s’ils ne le sont que dans le cadre d’une élection dans laquelle le nom de Donald Trump est inscrit sur le bulletin de vote."

Perte de confiance

Du côté des médias, les critiques sont également féroces. "C'est un désastre pour le secteur des sondages d’opinions, pour les médias et les analystes qui interprètent les études pour le public, tance le magazine The Atlantic. (...) Ils font désormais face à de sérieuses questions existentielles."

Mis en doute durant la campagne électorale, notamment par le président Donald Trump, qui a tweeté mercredi que "les sondeurs se sont complètement et historiquement trompés", les instituts de sondages ont assuré avoir réajusté leurs méthodes et promis que l’échec de 2016 n'allait pas se reproduire en 2020.

D’aucuns, comme Nate Silver, fondateur du site FiveThirtyEight, spécialisé dans l'analyse de sondages et de données, se défendent en assurant que Joe Biden avait été donné gagnant et qu’il est sur le point d’être élu. "Si un pronostic dit que Biden est favori car il peut survivre à une erreur sondagière de l'ordre de 2016 (environ trois points) contrairement à Clinton, et que c'est ce qui va probablement se passer, c'est assez informatif, non ?", s'est-il défendu, alors que son site donnait au démocrate, à la veille du scrutin, 89 % de chances de victoire.

Dans les prochaines semaines, le débat autour des instituts de sondage pourrait bien monter en température outre-Atlantique, même s’il est encore trop tôt pour savoir pour quelles raisons ils sont une nouvelle fois passés à côté de l’élection.

Selon Christopher Wlezien de l'University of Texas, interrogé par l’AFP, ces échecs ne peuvent s'expliquer seulement par la marge d'erreur. Parmi les différentes hypothèses, il évoque la possibilité que des électeurs de Donald Trump aient refusé de répondre aux sondeurs, ou que les indécis se soient prononcés in extremis en faveur du président sortant.

"Il a pu aussi y avoir une mauvaise anticipation de la mobilisation de certains électorats", a indiqué de son côté Mathieu Callard, spécialiste des États-Unis au sein de l'institut Ipsos, cité par Les Échos, qui n'exclut pas non plus "un mauvais échantillonnage".

"Personne ne semble encore savoir exactement ce qui a mal tourné, souligne The Atlantic. Toutefois la réponse n'a presque pas d'importance, à moins d'être un sondeur professionnel, car après deux énormes échecs présidentiels, ils ont perdu la confiance des médias et du public."