Sept personnes dont deux mineurs ont été déférées, mercredi, en vue de l'ouverture d'une information judiciaire dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat de l'enseignant Samuel Paty. Selon le procureur antiterroriste, l'enquête a démontré que la campagne de mobilisation, qui a désigné le professeur "comme une cible sur les réseaux sociaux", reposait sur des faits inexacts.
Poursuivre deux jeunes dans un dossier terroriste "n'est pas inédit mais interroge", a expliqué d'emblée le procureur national antiterroriste. Sept personnes, dont deux mineurs, ont en effet été déférées, pour être présentées à un juge antiterroriste, en vue de l'ouverture d'une information judiciaire et d'éventuelles mises en examen après l'assassinat du professeur Samuel Paty, a annoncé mercredi 21 octobre, Jean-François Ricard lors d'une conférence de presse.
Selon l'enquête, les deux mineurs âgés de 14 et 15 ans auraient "désigné" le professeur au tueur contre une somme de 300 à 350 euros. Il est reproché aux adolescents "de s'être maintenus en présence directe et prolongée d'Abdoullakh Anzorov l'après-midi du 16 octobre", a souligné le procureur.
"Ce dernier leur a déclaré avoir l'intention de filmer le professeur, de l'obliger à demander pardon pour la caricature du prophète, de l'humilier, de le frapper", a détaillé Jean-François Ricard.
Une information judiciaire a été ouverte mercredi pour "complicité d'assassinat" et de "tentative d'assassinats" sur les forces de l'ordre, "en relation avec une entreprise terroriste", ainsi que pour "association de malfaiteurs terroriste criminelle", a précisé Jean-François Ricard.
L'ouverture d'une enquête pour "complicité" signifie que le Parquet national antiterroriste (Pnat) estime que certains suspects avaient une connaissance précise de la finalité du projet terroriste de l'assaillant.
Un parent d'élève et un militant islamiste devant le juge
Parmi les personnes déférées figurent également Brahim C., le parent d'élève qui a lancé la mobilisation contre le professeur après deux cours sur la liberté d'expression dispensés par Samuel Paty, les 5 et 6 octobre, dans son collège de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines.
Selon Jean-François Ricard, le meurtrier de Samuel Paty s'est directement inspiré des messages diffusés par ce parent d'élève et l'enquête a établi que des contacts avaient eu lieu entre les deux hommes avant le meurtre du professeur.
Le sulfureux militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, qui avait accompagné ce parent d'élève dans sa mobilisation, sera également présenté à un juge mercredi.
Outre ces deux hommes et les deux collégiens, trois proches du terroriste sont en cours de présentation devant le magistrat instructeur.
Le premier, Azim E., 19 ans, "ami de longue date" de l'assaillant Abdoullakh Anzorov, dont "il avait constaté la radicalisation depuis plusieurs mois", est soupçonné "de l'avoir accompagné la veille des faits dans une coutellerie à Rouen" et d'avoir fait des démarches pour se procurer d'autres armes.
Naïm B., 18 ans, est lui accusé d'avoir "convoyé" l'assaillant à la coutellerie, puis de "l'avoir déposé devant le collège peu avant 14h" le jour des faits.
"Les deux hommes contestent à ce stade avoir eu connaissance des projets mortifères de leur ami", a rapporté le procureur.
Le dernier suspect, Youssouf C., est déféré "du fait de contacts très rapprochés et du partage manifeste de l'idéologie radicale" de l'assaillant.
"Faits inexacts"
Selon le procureur, l'assassinat de Samuel Paty s'inscrit dans un "contexte d'appels aux meurtres" lancés depuis la republication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo début septembre avant l'ouverture du procès des attentats de janvier 2015 à Paris.
Jean-François Ricard a notamment évoqué l'attaque au hachoir perpétrée le 25 septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo et "trois communications" d'Al-Qaïda et de sa branche yéménite qui appelaient au "meurtre" de ceux qui avaient été à l'origine de la rediffusion de ces dessins.
Par ailleurs, l'enquête a démontré que la polémique visant Samuel Paty reposait sur des "faits factuellement inexacts". Le procureur a notamment mis en cause la fille du parent d'élève qui a lancé la mobilisation contre le professeur indiquant que cette dernière n'avait pas assisté au cours de Samuel Paty sur la liberté d'expression. Il a également ajouté que l'exclusion de l'établissement de cette jeune fille n'avait aucun rapport avec l'affaire.
"Il est aujourd'hui clair que le professeur a été nommément désigné comme une cible sur les réseaux sociaux" par le parent d'élève Brahim C. et Abdelhakim Sefrioui "au moyen de manœuvres et d'une réinterprétation des faits", a résumé le procureur.
Vendredi vers 17 h, Abdoullakh Anzorov a décapité Samuel Paty, un professeur d'histoire-géographie, à proximité du collège où il enseignait dans un quartier calme de Conflans-Sainte-Honorine, avant d'être tué de neuf balles par des policiers à 200 mètres de là.
Ce professeur avait montré 11 jours avant son assassinat des caricatures de Mahomet à ses élèves de 4e dans le cadre d'un cours sur la liberté d'expression.
Avec AFP et Reuters