Les “révélations” controversées, depuis mercredi, du New York Post au sujet du candidat démocrate Joe Biden doivent beaucoup à un réparateur d’ordinateurs pro-Trump adepte de théories du complot.
Comment en est-on arrivés là ? Depuis mercredi 14 octobre, le New York Post publie une série de “révélations” censées ternir la réputation de Joe Biden, le candidat démocrate à la Maison Blanche, en se fondant sur des supposés courriels de son fils, Hunter. Twitter et Facebook ont décidé de limiter la diffusion de ces articles sur leur plateforme, craignant une redite de la campagne présidentielle de 2016, lorsqu’ils avaient été critiqués pour avoir favorisé la propagation d'e-mails du Parti démocrate piratés par des espions russes. Les républicains crient désormais à la censure et veulent convoquer au Sénat le PDG de Twitter, accusé de chercher à museler la presse pro-Trump. Tout ça à trois semaines de la présidentielle.
Pour remonter à l’origine de cet emballement politico-médiatique de grande ampleur, il faut chercher du côté de Wilmington, commune de 70 000 habitants entre Philadelphie et Baltimore - et fief de Joe Biden. C’est là, dans un petit magasin de réparation d’ordinateurs, que tout a commencé. John Paul Mac Isaac, patron de l’enseigne, aurait remis les e-mails compromettants au New York Post.
Un MacBook Pro qui avait pris l’eau
Son histoire est presque aussi rocambolesque que les allégations du célèbre tabloïd conservateur à l’encontre de Joe Biden. John Paul Mac Isaac, dont l’identité a été révélée par une indiscrétion du New York Post, affirme que c’est Hunter Biden en personne qui lui aurait apporté l’ordinateur contenant de quoi incriminer son père.
Il se serait présenté en avril 2019 au Mac Shop de Wilmington avec, sous le bras, trois MacBook Pro qui auraient pris l’eau. Finalement, Hunter Biden n’en aurait laissé qu’un seul à réparer. Celui-là même sur lequel John Paul Mac Isaac a découvert le “Saint Graal” du camp pro-Trump.
En fouillant dans le disque dur de cet ordinateur portable, il a découvert des courriels qui attesteraient que Joe Biden a usé de son influence politique pour aider Burisma, une entreprise ukrainienne pour laquelle Hunter Biden travaillait depuis 2014. Du pain bénit pour le camp Trump, qui essaie, sans succès, depuis plus d’un an de relier l'adversaire démocrate aux affaires ukrainiennes de son fils. Cet effort pour déstabiliser Joe Biden était déjà au cœur du désormais célèbre coup de téléphone que Donald Trump a passé au président ukrainien en août 2019 et qui a valu une procédure de destitution au locataire de la Maison Blanche.
Conscient d’avoir une “bombe” politique entre les mains, le réparateur d’ordinateurs de Wilmington a affirmé avoir contacté le FBI fin 2019. Mais avant de remettre le précieux MacBook Pro à l’agence fédérale, John Paul Mac Isaac a fait une copie du disque dur au cas où…
Une précaution qui s’est avérée payante pour ce farouche sympathisant de la cause trumpienne. Sans nouvelles du FBI, il a décidé, en septembre 2020, de remettre l’intégralité des données à l’avocat de Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York devenu l’homme à tout faire de Donald Trump. C’est ce proche du président américain qui a fait parvenir les informations au New York Post.
Confusion
Cette version des faits avancée par John Paul Mac Isaac, et relayée par le New York Post, n’a pas convaincu une partie des médias américains. Plusieurs d’entre eux sont allés rendre visite, mercredi, au réparateur de Wilmington pour préciser certains points. L’entretien, enregistré et publié par le Daily Beast, a ajouté un peu plus de confusion a une histoire déjà suffisamment alambiquée par ailleurs. La “source” des “révélations” du New York Post s’y montre, par moments, contradictoire dans ses explications, refuse parfois simplement de répondre et n’hésite pas à avancer des théories du complot chères au camp pro-Trump pour se justifier.
John Paul Mac Isaac n’a ainsi pas pu confirmer l’identité de la personne venue remettre l’ordinateur à réparer, arguant d’un handicap visuel qui l’aurait empêché de reconnaître à coup sûr Hunter Biden. Sa conviction repose, essentiellement, sur un sticker de la Fondation Beau Biden (du nom d’un autre fils, décédé, de Joe Biden) sur le MacBook Pro.
Il a, en outre, refusé d’expliquer pourquoi il avait exploré de fond en comble le disque dur d’un ordinateur qu’il était simplement chargé de réparer. Il n’a pas non plus justifié le fait de ne pas avoir relancé l’illustre client qui tardait à venir rechercher son bien, affirmant simplement que "ce sont des choses qui arrivent souvent”.
Le propriétaire du Mac Shop a aussi donné des versions contradictoires de ses interactions avec Rudy Giuliani. Dans un premier temps, il a affirmé que c’était le conseiller de Donald Trump qui lui avait demandé de lui remettre le disque dur, avant de rectifier le tir en racontant que c’était, en réalité, lui qui avait pris l’initiative de contacter l’avocat de l’ex-maire de New York.
John Paul Mac Isaac a également souligné qu’il était devenu de plus en plus paranoïaque avec le temps, craignant qu’il lui arrive la “même chose qu’à Seth Rich”. Une référence à une célèbre et délirante théorie du complot qui soutient que l’entourage d’Hillary Clinton aurait ordonné l’assassinat d’un volontaire du Parti démocrate qui en savait trop sur les emails piratés de l’ex-adversaire de Donald Trump en 2016. C’est cette crainte qui aurait poussé le commerçant de Wilmington a prendre contact avec le FBI puis avec Rudy Giuliani…
Ces explications farfelues n’ont pas dissipé les doutes d’une partie des médias sur l’authenticité de ces e-mails. Certains aspects de cette affaire - révélations de dernière minute, obtenues grâce à des e-mails piratés - rappellent trop le précédent de 2016 pour ne pas évoquer le spectre d’une nouvelle opération de désinformation russe.
Les services américains de renseignement sont, en outre, convaincus que Rudy Giuliani est devenu l’instrument des espions russes, ont rapporté vendredi le Washington Post et NBC. Un argument de plus pour prendre l’histoire de l’ordinateur abandonné dans un magasin de Wilmington avec des pincettes.