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Joe Biden et Kamala Harris sont attendus jeudi en Arizona pour une série de meetings. Les démocrates croient en leurs chances de faire basculer dans leur escarcelle ce fief républicain à la faveur d'un changement démographique.

Il s'agira de leur premier déplacement de campagne en commun. Le candidat démocrate Joe Biden et sa colistière Kamala Harris sont attendus jeudi 8 octobre en Arizona, État considéré comme l'un des "champs de bataille" de la présidentielle américaine et qui pourrait en faire basculer le résultat.

Comme il y a quatre ans, l'élection américaine va se jouer dans une poignée d'États-clés, considérés comme pouvant basculer d'un côté ou de l'autre de l'échiquier politique, les "swing-states". Le système politique américain est tel qu'en y obtenant une majorité des voix, le candidat rafle tous les grands électeurs de l'État, l'aidant ainsi à obtenir la majorité de grands électeurs nécessaire pour être élu.

26 Days. ⁦@KamalaHarris⁩ was so great last night, but we keep moving onward! Today: Kamala is in Arizona with ⁦@JoeBiden⁩, ⁦@DrBiden⁩ will be in PA and I’m going to Nevada and Colorado. We are going to do this! pic.twitter.com/RRgYFOHEhk

— Doug Emhoff (@DouglasEmhoff) October 8, 2020

En 2016, Donald Trump avait remporté le collège électoral avec 304 délégués contre 227, en gagnant les six principaux États-clés : Floride, Pennsylvanie, Michigan, Caroline du Nord, Wisconsin et Arizona. Cette année, le chemin s'annonce plus compliqué : selon les derniers sondages, l'avance de Joe Biden est stable dans ces six États, y compris en Arizona, bastion républicain si il en est.

L'État des milices, du mur et du libertarisme

L'État de l'Ouest américain n'a jamais voté pour un candidat démocrate à la présidentielle depuis 1952, à l'exception notable de Bill Clinton en 1996 qui avait remporté 46 % des suffrages à la faveur d'une triangulaire.

Tout comme le Texas, l'Arizona est dans les esprits l'incarnation de l'Amérique profonde. Et pour cause, c'est l'État de naissance de Barry Goldwater, candidat malheureux à la présidentielle de 1964 mais considéré comme le rénovateur du conservatisme anti-État chez les républicains.

Elle est vue comme une terre de cow-boys, où des milices telles que l'"Arizona Border Recon" ou les "Minutemen" se posent en supplétifs des gardes-frontières pour repousser les migrants en provenance du Mexique. C'est aussi l'État de Joe Arpaio, "le shérif le plus dur d'Amérique" qui a fait respecter la loi dans le comté de Maricopa (alentours de Phoenix) entre 1992 et 2017 avant d'être condamné pour profilage racial mais gracié par Donald Trump.

Des dynamiques démographiques à l'œuvre

Alors comment expliquer que l'État du Grand Canyon puisse lorgner du côté gauche de l'échiquier politique ? La réponse est à chercher du côté des dynamiques démographiques à l'œuvre en Arizona.

Le Washington Post a publié une infographie détaillée de la sociologie électorale en Arizona. Le quotidien américain estime que l'État peut être schématiquement divisé en quatre zones. Parmi celles-ci, l'ouest et l'est rural semblent destinés à rester rouges. Le sud de l'État – de la zone frontalière à Tucson – aurait davantage tendance à voter démocrate. Le risque pour les républicains se situe dans le centre de l'État et sa zone la plus peuplée : Phoenix et le comté de Maricopa.

It's from this Washington Post article, detailing how and why Arizona is actually a swing state. Pretty solid reading. It all comes down to the Phoenix Metropolitan Area, which is actually a billion different cities stuck together in Maricopa County. https://t.co/ZCUn8agHZS

— JoDIE! DIE! MY DARLING! Troutman (@LongTallJodie) October 5, 2020

C'est ici que se jouera l'élection. Le comté contient 53 % des électeurs de l'État. Neuf des plus grandes villes d'Arizona s'y trouvent. Et si Phoenix et Tempe ont prouvé par le passé être fermement démocrates, Peoria et Surprise sont quant à elles républicaines. Et au sein, de ces villes, c'est la démographie qui explique en grande partie les différences politiques : dans les villes rouges, les électeurs blancs représentent environ les trois quarts de l'électorat. À Phoenix, ils représentent moins de la moitié des électeurs.  

En Arizona, les électeurs d'origine hispanique représentent donc la base électorale des démocrates. En 2016, il a été estimé que 80 % du vote latino a été emporté par Hillary Clinton dans l'État. Et la proportion d'électeurs d'origine hispanique ne fait que grandir dans l'État : depuis 2000, cette population est passée de 25 % à 31 %. Si pour le moment, la population blanche reste majoritaire, on estime qu'en 2027, la part de population hispanique sera majoritaire dans l'État, selon le journal local Cronkite News.

"L'Arizona est certainement l'un de nos États le plus susceptible de basculer en raison du changement démographique. La population latino-américaine croît vite en Arizona, la plupart arrive désormais en âge de voter", affirme ainsi Matt Barreto, cofondateur de Latino décisions et sondeur pour Joe Biden, dans Politico.

Les démocrates veulent profiter de la colère d'une grande partie de l'électorat hispanique envers Donald Trump. Lorsqu'il a annoncé sa candidature en juin 2015, Donald Trump avait décrit les migrants arrivant du Mexique comme "apportant de la drogue, du crime, des violeurs" et proposait de construire un "grand et beau mur" le long de la frontière avec le Mexique pour résoudre ce problème. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, il a durci les politiques d'immigration, compliquant les demandes d'asile à la frontière sud, séparant les migrants arrivant en famille et expulsant des personnes qui se trouvaient sur le territoire sans papiers.

Donald Trump sait qu'il doit tenir l'Arizona

Donald Trump a également conscience que l'élection se jouera peut-être en Arizona. Ses proches et lui y multiplient les déplacements pour mobiliser son électorat alors que les républicains semblent perdre pied. La course au Sénat se présente mal et le Great Old Party pourrait perdre le second siège de l'État, deux ans après avoir perdu le premier lors des élections de mi-mandat.

Le président s'y est déplacé en personne à cinq reprises et une sixième visite était prévue le 5 octobre, annulée en raison de son hospitalisation pour cause de Covid-19. Et, lors de sa dernière visite, le 15 septembre, le président républicain a tenté des appels de pied pour séduire l'électorat hispanique. Donald Trump a organisé à Phoenix une table ronde visant à s'adresser aux propriétaires de petits commerces et aux membres des forces de l'ordre.

"Les Américains d'origine hispanique renforcent notre nation au-delà de toute description", a encensé Donald Trump. "Vous protégez notre nation en tant que membres de l'armée et en tant que membres des forces de l'ordre. Vous renforcez nos communautés en promouvant nos valeurs communes comme la foi, la famille, la communauté, le travail acharné et le patriotisme."

Many Trump supporters say they are thrilled President Trump is in Arizona again. This will be his 5th stop. They are pleased with the record low unemployment for the Latino community under his presidency. They tell me they are here to ensure he has 4 more years. pic.twitter.com/FmK1yqfDIS

— Bailey Miller (@BMillerFOX10) September 14, 2020

Le président sortant s'est posé en défenseur de "la loi et l'ordre" en critiquant les manifestations contre le racisme dans les villes américaines dirigées par les démocrates, affirmant que ces troubles menaçaient les commerces tenus par la communauté hispanique.

Une opération-séduction qui pourrait fonctionner, malgré les paroles et actes passés du président. Comme le rappelle de manière provocante un article du site de référence FiveThirtyEight, "Le vote latino n'existe pas". Si à l'échelle nationale, les hispaniques préfèrent les démocrates aux républicains, la situation est plus contrastée qu'il n'y parait : en 2016, et malgré les propos de Donald Trump, un électeur latino sur cinq avait tout de même voté pour lui.

Certains facteurs tels que le pays d'origine – les Américains d'origine cubaine ou vénézuélienne ont tendance à préférer Trump–, la religion – le catholicisme et l'évangélisme poussent à une convergence avec les républicains – ou encore l'histoire migratoire d'un individu – les latinos nés ou installés depuis longtemps aux États-Unis ont tendance à revenir dans le giron républicain davantage que ceux arrivés plus récemment – font que Donald Trump n'a pas partie perdue d'avance.

Les démocrates ne doivent pas se reposer sur leurs acquis

En 2016, l'électorat latino avait été au centre des préoccupations d'Hillary Clinton, et il lui avait notamment permis de remporter le Nevada. En comparaison, les électeurs se sentent aujourd'hui délaissés par Joe Biden.

"Rien n'est automatique. Nous devons le mériter", rappelle dans une tribune Danny Ortega, avocat et un des défenseurs de la communauté latino en Arizona, qui enjoint Joe Biden de ne pas prendre le vote latino pour acquis.

"Trump et sa campagne ont beau avoir retiré leurs pubs, ils sont là tout le temps", avertit dans le quotidien local Arizona Mirror, Liz Salazar, conseillère politique pour UnidosUS, une association de défendre des droits des latinos. "La campagne de Donald Trump fait du bruit en Arizona tandis que celle de Biden peine à se faire entendre."

Your vote will be counted! You can vote early, vote by mail (which is the same as an absentee ballot), or join the polling place line wearing masks and gloves. Which is best for you? https://t.co/w3jKdmOzJd #Adelante2020 pic.twitter.com/lsQj75Ns2I

— UnidosUS (@WeAreUnidosUS) October 8, 2020

Joe Biden paie aussi son bilan aux côtés de Barack Obama. Alors qu'il promet une réforme de l'immigration dans les 100 premiers jours de son mandat, cette promesse figurait déjà dans le programme du ticket Obama-Biden en 2018. Et, si Donald Trump a choqué avec sa promesse de "beau et grand mur" à la frontière sud et ses propos xénophobes sur les latinos, la communauté n'en a pas pour autant oublié les centaines de milliers d'expulsions sous la dernière administration démocrate en date.

Chez les jeunes latinos comme dans le reste de la population, Bernie Sanders avait meilleure presse que le candidat finalement choisi par le parti démocrate. Le socialiste du Vermont s'était notamment montré ferme sur la question du mur frontalier promettant de le détruire. Joe Biden promet simplement de suspendre les nouvelles constructions de Donald Trump.

Un manque de clarté qui pourrait coûter ce segment de l'électorat à Joe Biden. Car l'autre ennemi des démocrates parmi les latinos, c'est l'abstention. En effet, malgré les campagnes de plusieurs associations tels que UnidosUS ou Aliento enjoignant les latinos à rejoindre les listes électorales, ces derniers sont plus abstentionnistes que la moyenne : seul 41,5 % d'entre eux avaient voté en 2016 en Arizona, selon le Center for American Progress.