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Palantir, le Big Brother du Big Data entre en Bourse

Palantir, le géant américain de l’analyse de données, fait ses débuts, mercredi, à la Bourse de New York. Dix-sept ans après sa création, la start-up a réussi à se bâtir une réputation, très controversée, mais a échoué à générer des profits.

C’est l’introduction en Bourse la plus politique de l'année… et aussi l’une des plus attendues. Palantir, le mystérieux géant américain de la surveillance électronique aux liens avérés avec l’administration Trump, a fait ses débuts sur le New York Stock Exchange, mercredi 30 septembre. Les analystes anticipent une valorisation boursière aux alentours de 20 milliards de dollars, ce qui en ferait la deuxième plus importante introduction en Bourse aux États-Unis en 2020 (après Snowflake, une société franco-américaine spécialisée dans le stockage de données en ligne).

Depuis sa création en 2003, Palantir a suscité plus de fantasmes et rumeurs que n’importe quelle autre start-up de la Silicon Valley. Des mythes que la société s’est bien gardée de contredire ou confirmer, contribuant ainsi à son aura de mystère.

Histoire truffée de controverses

On lui a attribué un rôle dans la traque d’Oussama Ben Laden, le leader du mouvement terroriste d'Al-Qaïda abattu par l’armée américaine en 2011. Palantir a été qualifié de façade de la CIA ou de bras armé technologique de la police américaine des frontières. Quant à ses algorithmes, ils ont été comparés à un Big Brother du Big Data mis au service de la police et de tout ce que l’administration américaines compte d’officines pour mieux surveiller la population.

Le processus d’introduction en Bourse, qui oblige les entreprises à publier leurs documents financiers et révéler les détails de leurs activités, a permis de mettre un peu de raison dans toutes ses allégations. Si certaines des rumeurs - notamment concernant Oussama Ben Laden - ne reposent sur rien de concret, cette obligation de transparence a néanmoins confirmé que l’histoire de Palantir est truffée de controverses et que la société exploite des gigantesques bases de données personnelles aux bénéfices d’agences pas toujours transparentes quant à l’utilisation de ces informations.

À l’origine, Palantir voulait apporter une réponse technologique à la menace terroriste de l’après 11 septembre 2001. Peter Thiel, le président et cofondateur de la société, cherchait à utiliser la puissance des algorithmes pour suivre les déplacements d’individus suspectés de terrorisme et anticiper d’éventuelles attaques sur le sol américain.

L’idée a rapidement séduit In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA, qui a prêté plus de deux millions de dollars à Palantir, en 2004, pour se développer. C’est cette alliance initiale avec le bras financier du service de renseignements qui a façonné l’image d’une start-up aux services des espions américains. Pourtant, aujourd’hui, la part d’In-Q-Tel dans le groupe de Peter Thiel est presque inexistante.

Pour imposer ses solutions, Palantir n’a jamais hésité à utiliser des méthodes pour le moins agressives. La start-up a, ainsi, fourni sa plateforme d’analyse des données aux soldats américains en Afghanistan, alors même qu’elle n’avait pas été engagée par le ministère de la Défense pour le faire. Cette politique du fait accompli lui a permis de décrocher, en 2006, son premier contrat important avec le Pentagone, pressé de régulariser une situation légalement douteuse.

Les algorithmes de la start-up ont, entre autres, permis de créer des cartes indiquant les zones en Afghanistan où des mines antipersonnel étaient susceptibles de se trouver en se basant sur l’historique des précédentes explosions.

Chasse aux immigrés clandestins

En 2013, Palantir avait réussi à faire profiter une douzaine d’autres administrations, telles le département de la Santé, le FBI, la NSA, les forces spéciales ou encore l’aviation militaire, de sa maîtrise du Big Data.

Mais sa collaboration, depuis 2011, la plus controversée reste celle avec la police américaine des frontières (ICE, l’Immigration and Customs Enforcement). Initialement, Palantir devait développer les outils technologiques pour aider à lutter contre “les réseaux de criminalité internationale et le terrorisme”, rappelle une étude menée en 2019 par le collectif NoTechForICE.

Après l’arrivée, en 2016, de Donald Trump, à la Maison Blanche, les algorithmes de la start-up ont servi à mieux appliquer la chasse aux immigrés clandestins promue par le nouveau président républicain. Palantir est alors devenue le symbole technologique de cette politique migratoire jugée inhumaine par les organisations de défense des droits de l’Homme.

Le refus des responsables de la start-up de céder aux appels à se retirer de ce contrat, alors que d’autres groupes comme Microsoft avaient mis leur collaboration avec l’ICE entre parenthèses, a contribué détériorer l’image de Palantir.

Cette attitude a aussi rappelé au grand public la proximité entre Peter Thiel et l’administration Trump. Le milliardaire californien, qui se définit comme libertarien et conservateur, a été l’un des rares entrepreneurs de la Silicon Valley à prendre fait et cause pour Donald Trump dès 2015. Il a travaillé pour l’équipe de transition du candidat républicain après sa victoire à la présidentielle de 2016 et compte le général Michael Flynn, ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, parmi ses plus ardents soutiens.

Palantir a profité de ce positionnement politique, puisqu’elle a ajouté une dizaine d’administrations à son registre de clients depuis le début de l’ère Trump.

Zéro profit

Dans ses documents financiers en vue de l’introduction en Bourse, Palantir passe sous silence son travail pour l’ICE ou sa proximité politique. La start-up préfère souligner ses réels succès comme sa participation au démantèlement d’une cellule aux États-Unis du cartel mexicain de la drogue Las Zetas ou, encore, l’utilisation de sa plateforme par la police pour coordonner une vaste opération contre les gangs de New York en 2018.

Mais Palantir ne travaille pas seulement pour l’administration américaine. Plus de 40 % de son chiffre d’affaires provient du secteur privé et de ses contrats à l’international. La société travaille avec des grands groupes comme Boeing ou des cabinets d’avocat. Ce sont, par exemple, ses algorithmes qui ont permis aux avocats des victimes du financier Bernie Madoff de découvrir l’ampleur de la fraude en 2009.

Elle s’est aussi implantée en France, où elle collabore avec la DGSI, le service de renseignement, depuis 2015, après les attentats de novembre à Paris.

Avec un tel réseau de clients, on pourrait croire que Palantir est une machine à profits. Pas du tout : le “géant” du Big Data n’a encore jamais dégagé un bénéfice et a enregistré 600 millions de dollars de pertes en 2019. Son problème ? Pour courtiser ses nouveaux clients, Palantir offre un an d’accès à prix très réduit à sa plateforme et les tarifs augmentent progressivement par la suite. C’est une manière de fidéliser les clients… si ils sont satisfaits.

Et ce n’est pas toujours le cas, loin de là. La plupart des services américains de police ont coupé les ponts avec la start-up, arguant que les tarifs étaient trop élevés par rapport à la qualité du service proposé, rapporte le Washington Post. Des contrats prometteurs, notamment avec des banques, sont également tombés à l’eau. En clair, Palantir a surtout réussi à se faire une réputation controversée de Big Brother qui fait le sale boulot technologique pour l’administration de Donald Trump, sans vraiment s’enrichir au passage.