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Venezuela : l'enquête de l'ONU accuse les forces de sécurité de 5 094 meurtres depuis 2014

Des enquêteurs de l'ONU ont accusé mercredi le président du Venezuela, Nicolas Maduro, et plusieurs de ses ministres de "possibles crimes contres l'humanité", parmi lesquels des exécutions extrajudiciaires et l'usage de la torture. Caracas dénonce un document truffé de contrevérités.

"De possibles crimes contre l'humanité". Un trio d'enquêteurs mandatés par l'ONU ont rendu public mercredi 16 septembre un rapport contenant des preuves de crimes ordonnés par le président du Venezuela, Nicolas Maduro, ainsi que des membres éminents de son gouvernement et des hauts responsables, certains tombant "sous le coup de crimes contre l'humanité".

Le rapport des Nations unies pointe notamment des violations systématiques des droits de l'Homme, parmi lesquelles des assassinats et des actes de torture qui constituent des crimes contre l'humanité.

"Directives d'État"

"Nous avons des informations selon lesquelles ils ont donné des ordres ou ont coordonné des activités, adopté des plans et des stratégies, fourni de la logistique, des ressources humaines et autres qui ont résulté dans la commission des crimes documentés", a expliqué Marta Valinas, la cheffe de ces enquêteurs, au cours d'une conférence de presse par visioconférence. Certains de ces crimes, "y compris des meurtres arbitraires et l'usage systématique de la torture, tombent sous le coup de crimes contre l'humanité".

"Ces actes sont très loin d'être isolés, ces crimes ont été coordonnés et commis au nom de directives d'État en connaissance de cause et avec le soutien direct d'officiers supérieurs et de hauts responsables du gouvernement", explique le rapport de 411 pages.

« Les violations doivent cesser. L'impunité doit cesser. Les autorités vénézuéliennes doivent exiger des comptes des auteurs de ces crimes. Les victimes doivent obtenir une réparation complète pour le préjudice qu'elles ont subi" - Marta Valiñas #FFMVenezuela » https://t.co/oj7HazSe31

— Isadora Zubillaga (@isadorazubi) September 16, 2020

Bien que les enquêteurs n'aient pu se déplacer au Venezuela, ils ont tiré ces conclusions de quelque 274 entretiens à distance avec des victimes, des témoins, d'anciens responsables ainsi que de l'analyse de documents confidentiels, y compris des dossiers judiciaires. En outre, la mission d'enquête a passé en revue 2 500 incidents depuis 2014 qui ont conduit au meurtre de 5 094 personnes par les forces de l'ordre.

"Une mission fantôme dirigée contre le Venezuela"

En réaction, le gouvernement vénézuélien a dénoncé un document "truffé de contrevérités" par la voix de son ministre des Affaires étrangères. "Il a été élaboré à distance, sans rigueur méthodologique par une mission fantôme dirigée contre le Venezuela et contrôlée par des gouvernements inféodés à Washington", a ainsi écrit Jorge Arreaza sur Twitter.

3/3 Un informe plagado de falsedades, elaborado a distancia, sin rigor metodológico alguno, por una misión fantasma dirigida contra Venezuela y controlada por gobiernos subordinados a Washington, ilustra la práctica perversa de hacer política con los DDHH y no política de DDHH.

— Jorge Arreaza M (@jaarreaza) September 16, 2020

L'enquêtrice Marta Valinas a reconnu qu'il aurait été préférable de pouvoir se rendre sur place pour rencontrer les victimes, voir les lieux où les exactions ont été commises et rencontrer les représentants des autorités, "mais, même sans l'accès au pays, notre mission a été en mesure de mener une enquête sérieuse et en profondeur ces derniers mois", défend-elle. "Cela ne nous a pas gênés dans la conduite de notre enquête ni empêché de tirer des conclusions qui reposent sur des bases solides."

Les enquêteurs ont demandé aux autorités vénézuéliennes d'immédiatement ouvrir "des enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes".

Le rapport estime en outre que d'autres instances, y compris la Cour pénale internationale, "devraient aussi envisager des poursuites judiciaires contre les individus responsables des violations et des crimes identifiés par la mission".

"Une politique d'élimination"

"Ces exécutions extrajudiciaires ne peuvent pas être mises sur le compte d'un manque de discipline au sein des forces de l'ordre", a affirmé Marta Valinas, soulignant que les hauts responsables en gardaient le contrôle. "Ces meurtres semblent entrer dans le cadre d'une politique d'élimination de membres indésirables de la société sous le couvert du combat contre la criminalité".

L'opposition vénézuélienne abonde dans le sens du rapport. L'opposant numéro un et président autoproclamé du Venezuela reconnu d'une partie de la communauté internationale, Juan Guaido, parle d'un "rapport terrifiant". Miguel Pizarro, un de ses proches collaborateurs, estime quant à lui que le document "montre que les violations des droits de l'Homme ne sont pas une pratique isolée, mais une pratique d'État".

Presidente (E) de Venezuela y de la #AsambleaVE, @jguaido: Informe de la ONU es aterrador, muestra la guerra de la dictadura en contra de los ciudadanos en resistecia

Lee la nota oficialhttps://t.co/rTDvMso23q

— Asamblea Nacional (@AsambleaVE) September 17, 2020

En décembre 2019, la haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, avait appelé à la "dissolution" des FAES, des forces spéciales de la police redoutées par la population.

Mais l'enquête montre que ces forces "sont toujours actives et qu'elles effectuent des missions qui aboutissent à des meurtres extrajudiciaires et, par conséquent, nous faisons une recommandation très claire : que le gouvernement dissolve ces forces. Nous sommes convaincus qu'elles restent un problème majeur", a insisté Marta Valinas.

Quant à la torture, systématique selon le rapport, les enquêteurs assurent que les tortionnaires ont recours au viol, à l'asphyxie, au passage à tabac, aux chocs électriques et aux menaces de mort pour punir les victimes ou les forcer à passer aux aveux.

Un climat pourtant à la détente

Ce nouveau rapport intervient alors que le climat est plutôt à la détente entre l'ONU et le Venezuela. Michelle Bachelet a ainsi déclaré lundi dans un communiqué que son personnel avait été autorisé à visiter les principaux centres de détention du Service national bolivarien des renseignements et de la direction générale du contre-renseignement militaire au Venezuela.

Une amélioration des rapports avec le Haut-Commissariat des droits de l'Homme sur laquelle insiste Jorge Arreaza sur Twitter : "Notre coopération avec le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a été géré de manière coordonnée et constructive avec le Haut-Commissariat. Les progrès ont été remarquables et ont été reconnus par Madame Bachelet", écrit le chef de la diplomatie de Nicolas Maduro. "Depuis le 2 décembre 2019, nous ne reconnaissons aucun autre mécanisme créé à des fins idéologiques par des pays aux terribles antécédents en matière de droits de l'Homme dans le but d'attaquer le Venezuela et de nuire à nos relations avec le Haut-Commissariat", ajoute le ministre, accusant les États-Unis, sans les nommer, de déstabilisation.

Début septembre, Nicolas Maduro avait également accordé une grâce présidentielle à une centaine d'opposants, dont des députés et des collaborateurs du chef de file de l'opposition, Juan Guaido, pour "promouvoir la réconciliation nationale", à trois mois de législatives que l'opposition appelle à boycotter. Des élections prévues début décembre pour lesquelles le gouvernement vénézuélien a proposé aux Nations unies et à l'Union européenne d'envoyer des observateurs.