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Covid-19 en France : quel bilan pour le contrôle des cas contacts ?

Depuis le déconfinement, le 11 mai, le contrôle des cas contacts et la remontée des chaînes de contamination est l'une des priorités de la politique de santé du gouvernement pour endiguer la pandémie de Covid-19. Quatre mois plus tard, alors que le nombre de contaminations augmente fortement en France, quel bilan tirer de cette méthode ?

"Protéger, tester, isoler." Le 28 avril 2020, devant l’Assemblée nationale, Édouard Philippe annonçait les priorités du plan de déconfinement. Parmi elles, la création, dans chaque département "de brigades chargées de remonter la liste des cas contacts". Chaque cas de Covid-19 détecté sur le territoire doit donner lieu à une enquête, afin d’identifier et accompagner les personnes à risque. Pourtant, quatre mois plus tard, alors que la France fait face à la deuxième vague tant redoutée, force est de constater que ce plan ambitieux n’a pas suffi à endiguer la propagation du virus.

Le "contact tracing" n’est pas un dispositif nouveau : il fait partie des mesures de lutte contre les maladies émergentes prévues par l’OMS. Mais le dispositif déployé par le gouvernement d’Édouard Philippe est inédit par son ampleur. Quelque 5 000 agents de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) sont mobilisés dans cette tâche. Carole Besnier, chargée de mission prévention à la CPAM de la Mayenne, a été formée, en mai, pour mener les enquêtes sanitaires liées au Covid-19. "Les médecins sont en première ligne, ils reçoivent les résultats des tests, informent les patients et nous communiquent les informations", explique-t-elle.

"Nous sommes ensuite tenus de contacter les cas positifs dans les quatre heures pour remonter avec eux leur emploi du temps et établir une liste de cas contacts.  Enfin, nous appelons ces personnes dans les 24 h pour les prévenir, évaluer les mesures d’isolement à mettre en place et les diriger vers les tests."

La plateforme de la CPAM fonctionne sept jours sur sept et centralise tous les cas contacts. Les situations les plus complexes pouvant générer des clusters, sur de grands rassemblements ou au sein d’institutions publiques par exemple, sont signalées aux Agences régionales de Santé (ARS) qui décident alors de la marche à suivre.

"L’impression de devoir négocier"

Sur le papier, les règles sont claires : toute personne identifiée comme cas contact doit se faire tester et rester isolée pendant 10 jours. Pour autant, dans la réalité, les agents doivent prendre en compte le contexte particulier de chaque personne, reconnaît Carole Besnier : "Il faut déjà évaluer le degré de risque, si des personnes ont été en contact à l’extérieur à deux mètres de distance, même sans masque, dans ce cas le risque est faible. Dans un bureau par contre, si une seule personne porte un masque et qu’il est en tissu, le danger est plus fort. Par ailleurs la situation est parfois délicate avec une personne qui commence tout juste un nouveau travail ou qui a de jeunes enfants à l’école. Il faut faire preuve de pédagogie et trouver des solutions adaptées" conclut-elle.

Cette situation, Lina* y a été confrontée après une soirée entre amis dans un appartement parisien. "Quatre jours plus tard, l’une des personnes a été testée positive au coronavirus. Le lendemain j’ai été contactée par la CPAM" précise la jeune femme, étonnée par la rapidité de la prise en charge. "L’enquêtrice était très professionnelle, elle m’a posé plein de questions et m’a adressé des recommandations. Il se trouve que le télétravail est possible pour moi. Par contre elle m’a conseillé de garder mon fils à la maison alors qu’il avait à peine commencé sa rentrée et elle m’a même demandé de me faire livrer mes courses. Pour mon fils, je suis d’accord même si c’est compliqué, mais les courses j’ai dit non, je fais attention et je mets mon masque. Je comprends qu’ils veuillent faire prendre conscience du risque, mais j’ai trouvé l’approche assez culpabilisante. J’ai eu l’impression de devoir négocier", souligne-t-elle.

Le gouvernement a souhaité éviter un système contraignant et mise sur la compréhension du public. S’il est plus souple, ce dispositif pose la question du bon respect des consignes et donc de l’efficacité d’une telle mesure. Pierre* a été identifié comme cas contact après une réunion professionnelle. Il s’est mis en télétravail mais a laissé ses enfants à l’école. "J’ai été prévenu 10 jours après la réunion. Je n’avais aucun symptôme et j’étais proche de la période de quarantaine de 14 jours déjà. Je suis allé me faire tester mais je n’ai pas voulu bouleverser la vie de ma famille", reconnaît l’employé de banque, dont le test s’est avéré négatif.

Pas d’accès prioritaire aux tests

Les agents de la CPAM s’occupent du suivi des cas contacts et les mettent en relation avec les laboratoires de test. "Nous avons toutes les informations et dirigeons les personnes pour qu’elles soient testées au plus vite. Les laboratoires doivent ensuite contacter les cas positifs sous 48 h", explique Carole Besnier. L’enquêtrice affirme que ce système fonctionne bien en Mayenne. Mais cela n’a pas toujours été le cas : "Aujourd’hui, les personnes ne rencontrent pas de difficultés à se faire tester car nous avons dépassé un gros pic fin juin-début juillet. À cette époque la situation était plus compliquée pour les laboratoires", reconnaît-elle. La situation peut devenir d’autant plus compliquée qu’en France les tests sont gratuits et que les cas contacts ne bénéficient que rarement d’accès privilégié.

Pour Lina, la recherche d’un laboratoire a été une véritable épreuve : "J’ai demandé à l’agent de la CPAM si elle pouvait me trouver un rendez-vous. Elle m’a dit que c’était à moi de le faire. Par contre le document indiquant que je suis cas contact donne droit à quatre masques gratuits en pharmacie, génial !", ironise-t-elle.

"Les laboratoires autour de chez moi étaient surchargés, j'ai finalement pu me faire tester le samedi matin mais il a fallu attendre deux heures et je n’ai reçu les résultats que mardi." Pour Pierre aussi, la recherche s’est apparentée à un vrai parcours du combattant : "J'ai trouvé un labo assez facilement mais je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un test sérologique (anticorps) et non du PCR (virologique) demandé. Ensuite, tous les labos m’ont proposé des rendez-vous dépassant la période des 14 jours. Un de nos collègues en a finalement trouvé un et nous nous sommes tous fait tester au même endroit".

Un système amené à évoluer ?

Si le dispositif de contrôle des cas contacts reste une étape centrale du la lutte contre l’épidémie du Covid-19, il a montré ses limites à plusieurs égards. Des évolutions sont aujourd’hui souhaitées par le gouvernement.

Tout d’abord faire passer la période de mise à l’abri de 14 à 7 jours, durée à partir de laquelle les patients sont moins contagieux. "Il vaut mieux huit jours bien respectés que 14 jours mal respectés" estimait Martin Hirsch, le directeur général de l'AP-HP, sur LCI lundi 7 septembre, soulignant la difficulté d’évaluer le respect des mesures d’isolement.

Sur les difficultés d’accès au test, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Veran a réaffirmé, mardi 8 septembre sur France Inter, l'importance de la "priorisation" des patients." Une personne qui est cas contact, doit être testée dans l'urgence. Hors de question qu'elle se fasse refouler d'un laboratoire [...] Là-dessus, nous allons encore davantage travailler", a indiqué le ministre.

Mais outre les problèmes logistiques, la stratégie globale suscite elle aussi des interrogations. Certains spécialistes se demandent si ce dispositif lourd et coûteux est toujours approprié dans le contexte actuel : "La stratégie favorisée par le gouvernement est efficace dans le contexte d’une épidémie relativement contenue. Lorsque celle-ci augmente trop, le traçage des cas devient trop lourd et compliqué", estime Marc Gastellu-Etchegorry, médecin épidémiologiste à Épicentre Médecin Sans Frontières, contacté par France 24. "Or, ce dispositif mobilise de nombreux épidémiologistes, et il ne faudrait pas qu’il soit maintenu à tout prix aux dépens d’autres domaines de recherche comme celui des facteurs de transmission, qui est primordiale".

Enfin, entre l’angoisse de l’incertitude, la recherche de laboratoires et les problèmes logistiques, les mesures visant les cas contacts représentent un poids psychologique important.

Lina, finalement testée négative, a trouvé l’expérience très perturbante : "Pendant des jours, avant le résultat j’ai angoissé en me demandant si j’avais pu contaminer moi aussi d’autres gens. Aujourd’hui, ma vie sociale va en pâtir c’est sûr, car je sais que je peux être à nouveau cas contact et je ne veux surtout pas me retrouver encore dans cette situation avec mon fils et mon compagnon".

* Le prénom a été modifié.