Un revenu de base à 1 200 euros mensuels pendant trois ans : c’est ce qu’un institut allemand de recherche et une association promettent à 122 volontaires. Ils sont plus d'1,6 million à s’être portés volontaires outre-Rhin, une semaine seulement après le lancement de ce projet de revenu universel.
C'est la ruée vers l'or… ou plus exactement vers 1 200 euros par mois. Plus de 1,6 million d'Allemands se sont portés volontaires en une semaine pour participer à une grande expérience de revenu universel, lancée mardi 18 août.
"Nous avions compté sur un million de volontaires en trois mois. On avait clairement sous-estimé l'intérêt suscité par notre démarche", a affirmé Jürgen Schupp, économiste à l'Institut allemand de recherche économique (DIW), qui pilote l'expérience, dans une tribune publiée lundi 24 août dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Un revenu de base élevé
Le violent contrecoup économique de la pandémie de Covid-19 a "certainement joué dans l'engouement pour cette initiative", explique à France 24 Steven Strehl, l'un des responsables de l'association Mein Grundeinkommen (Mon revenu de base), qui participe à l'organisation de cette expérience. "Des personnes qui estimaient jusqu'à présent être financièrement et économiquement à l'abri se sont rendues compte que rien n'était acquis et qu'un système comme le revenu de base pouvait offrir un filet de sécurité", explique-t-il. Le Programme des Nations unies pour le développement a jugé, dans un rapport paru en juillet, qu'un revenu universel pourrait être une solution pour la société post-Covid-19.
Il faut dire que l'offre allemande est alléchante : dès février 2021, au moins 122 Allemands vont toucher 1 200 euros par mois pendant trois ans. Riche ou pauvre, au chômage ou PDG d'une entreprise : n'importe qui peut participer. Et aucune contrepartie n'est exigée.
C'est le DIW qui choisira, à partir de novembre, les heureux élus parmi les 1,6 million de volontaires, en fonction de critères gardés secrets. Les économistes ne veulent pas fausser l'expérience en précisant à l'avance quels seront les profils les plus susceptibles d'être retenus, mais le panel final "sera représentatif d'une partie de la société allemande", assure Steven Strehl.
Le montant retenu est élevé par rapport à d'autres expériences similaires : les Finlandais n'avaient versé que 560 euros par mois à 2 000 chômeurs pendant un an, tandis que le futur revenu de base en Espagne pourrait tourner autour de 440 euros.
"Les 1 200 euros permettent aux bénéficiaires d'être au-dessus du seuil allemand de risque de pauvreté", précise Steven Strehl. L'argent est déjà dans les caisses de son association et provient exclusivement de donations de près de 150 000 particuliers qui ont soutenu l'initiative à travers une campagne de financement participatif. "C'est ce qui nous permet d'être politiquement indépendant", se félicite Steven Strehl.
"Ni pour ni contre le revenu de base"
Car c'est l'autre aspect qui rend cette expérience unique en son genre : jusqu'à présent, toutes les tentatives de mettre en place des projets ambitieux de revenu universel ont été menées par les pouvoirs politiques. Cette fois-ci l'initiative provient de la société civile, ce qui garantit, d'après Steven Strehl, qu'elle n'a pas de couleur politique et ne risque pas d'être jetée aux oubliettes en cas de changement de majorité au pouvoir.
En Finlande, "il y avait un agenda politique précis car le gouvernement voulait savoir si un revenu universel permettrait d'aider les chômeurs à retrouver un travail, et en voyant que ce n'était pas le cas, l'expérience n'a pas été poursuivi au-delà des deux premières années", rappelle l'association.
"Nous ne sommes ni pour, ni contre le revenu de base, mais nous pensons qu'il est important dans le contexte actuel d'évaluer scientifiquement les conséquences de son implémentation", assure Steven Strehl. Durant les trois ans à venir, les participants devront répondre à six questionnaires permettant aux économistes de l'Institut allemand de recherche économique d'évaluer l'impact sur la vie sociale, professionnelle et le bien-être.
Les questions sont toujours les mêmes avec le revenu universel : incite-t-il à l'oisiveté ou au contraire à prendre des risques professionnels ? Les bénéficiaires en profitent-ils pour passer plus de temps avec leur famille ou se former davantage ? Se comportent-ils en cigales qui dépensent à tout-va ou plutôt en fourmis économes ?
Un projet qui s'est attiré des critiques
Mais si le projet a rencontré un énorme succès auprès du public, il s'est aussi attiré des critiques virulentes. Les uns affirment qu'avec seulement 122 volontaires, il ne sera pas possible de collecter des données scientifiquement pertinentes. Jürgen Schupp, l'économiste du DIW, a reconnu qu'il aurait aussi préféré avoir plus de 1 000 participants, mais que ce n'était financièrement pas possible à mettre en place. "Nous ne tirerons de conclusions à partir de nos observations sur le terrain que si nous pouvons les corroborer empiriquement avec nos modèles économiques", assure-t-il.
D'autres jugent que trois ans, c'est trop court pour évaluer l'impact sociétal à long terme d'un tel mécanisme. Là encore, Jürgen Schupp reconnaît qu'il peut y avoir des conséquences qui ne seront pas prises en compte, mais ce projet ne vise pas à mettre un point final au débat sur le revenu universel, mais plutôt de faire avancer la recherche fondamentale.
Enfin, politiquement, l'initiative a fait grincer quelques dents à gauche. "C'est une idée néolibérale", a tranché Olaf Scholz, le vice-chancelier et ministre allemand des Finances qui appartient au SPD (sociaux-démocrates de centre gauche). Il craint qu'un revenu universel identique pour tous vienne se substituer au système de protection sociale et de retraite qui vise à aider davantage les plus fragiles.
Il risque d'être encore plus remonté dans trois ans si l'expérience est concluante. L'association Mein Grundeinkommen a, en effet, déjà dans les cartons un autre projet, cette fois-ci pour l'ensemble de la population allemande.