Depuis les explosions meurtrières survenues mardi à Beyrouth, de nombreux pays ont envoyé de l'aide humanitaire. Si certains espèrent que la communauté internationale fera preuve de souplesse, d'autres l'appellent à conditionner l'octroi de ces aides à une classe politique jugée corrompue.
Plus de trois milliards de dollars de dommages et quelque 300 000 sans-abri. Tel est le premier bilan des explosions "apocalyptiques", qui ont frappé le port de Beyrouth, mardi 4 juillet. Si le soutien international est au rendez-vous, la catastrophe intervient au pire moment pour le Liban en proie à une grave crise économique avec un écroulement de la monnaie, une inflation record et une vague de contestation grandissante vis-à-vis du pouvoir en place. Dans ce contexte national compliqué, quel rôle jouera l’aide humanitaire internationale ?
Opérations de secours
Plusieurs jours après la déflagration, les équipes de secourisme s’activent toujours pour retrouver d’éventuels survivants. Plusieurs pays ont envoyé des équipes sur place, comme la France qui a déployé 55 sapeurs sauveteurs, spécialisés dans le sauvetage-déblaiement. Des personnels qataris, russes et néerlandais ont également été mobilisés.
"Le but est de repérer un maximum de victimes, de les sortir et de les médicaliser", explique à France 24 le commandant Jean-Paul Bosland, Secrétaire général adjoint de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. "Nous utilisons des chiens, très efficaces et rapides pour localiser les victimes. Il faut ensuite percer des dalles de béton pour accéder aux personnes et réaliser un premier bilan médical, avant d’organiser les sorties".
La coordination des secouristes étrangers se fait par l’intermédiaire de l’agence onusienne Insarag, qui encadre les équipes et attribue la recherche des différents décombres.
"La grande difficulté avec ce type d’explosion est qu’elle fait des milliers de blessés en trois secondes. Il faut donc mobiliser beaucoup et très vite, d’où l’importance de l’aide internationale qui intervient en complément des opérations locales", précise le commandant Jean-Paul Bosland. "Ce type d’opération est une urgence absolue mais elle ne dure qu’une dizaine de jours et ne constitue donc qu’une toute petite partie de l’aide internationale. En parallèle se montent les structures sanitaires et la prise en charge des victimes qui, elles, s’étalent dans le temps", conclut-il.
Aide médicale d’urgence
Alors que le bilan ne cesse de s’alourdir, les services médicaux de la ville, débordés, comptent beaucoup sur l’aide humanitaire venue de l’étranger.
"Nous avons accueilli une première vague de patients, blessés par le choc de l’explosion, certains frappés par des objets, puis une vague de cas plus graves dont certains sont décédés", explique Firass Abiad, directeur de l’hôpital universitaire Rafik-Hariri, à la périphérie de Beyrouth, interviewé sur France 24. "Comme trois hôpitaux sont hors services à cause de l’explosion, nous avons dû également accueillir de nombreux patients évacués. Nous misons beaucoup sur l’aide internationale car nos moyens sont limités".
Plusieurs pays comme le Qatar, le Koweït ou la Jordanie, ont annoncé le déploiement d’hôpitaux de campagne pour pallier le manque de lits. Dans un contexte de crise économique ayant provoqué d’importantes baisses de salaires, le personnel soignant a dû gérer la vague de Covid-19, qui a entrainé un confinement de plus de trois mois au Liban. L’explosion du port intervient probablement au pire moment pour le personnel soignant libanais.
"Le pays a connu la guerre et le personnel a une grosse expérience de la gestion médicale d’urgence, pour trier les blessés prioritaires et les opérer simultanément par exemple", affirme Mego Terzian, président de Médecins sans Frontières, lui-même libanais, interviewé par France 24. "Néanmoins, il existe un risque de dégradation de la situation sanitaire pour ces mêmes personnels, dû à un manque de matériel, ainsi que pour les autres patients, atteints de maladies chroniques par exemple. Leurs traitements peuvent être interrompus à cause de la destruction de médicaments. À ce niveau, l’aide humanitaire médicale internationale doit jouer un rôle crucial."
Pénuries alimentaires
Alors que certaines denrées alimentaires venaient déjà à manquer à cause de la crise économique, l’explosion au port, voit désormais le pays privé de son principal pôle d’échange commercial, ainsi que de plusieurs silos de céréales.
"Nous faisons face à un réel risque de pénurie alimentaire", s'inquiète Maya Chams Ibrahimchah, fondatrice de l’ONG de libanaise Beit el Baraka, spécialisée dans la distribution de nourriture, interviewée sur France 24. "Nous ne cultivons que 10 % de nos besoins en graines, alors que nous sommes un pays méditerranéen. Nous n’avons plus accès à nos devises à cause de la crise économique et nous ne pouvons plus importer de nourriture. Avec cette catastrophe, nous risquons de nous retrouver sans farine ni lait, ce qui aurait des conséquences désastreuses".
Une situation qui s'aggrave puisque l'inflation des produits alimentaires de base avait déjà grimpé en flèche au Liban, atteignant les 109 % entre septembre et mai, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU.
Des aides financières bloquées
En avril 2018, un accord avait été conclu avec 40 États pour un plan d’aide financier, visant à réduire la dette du pays. Des aides toujours bloquées car les réformes structurelles demandées alors n’ont jamais été mises en place.
"L’explosion du port va considérablement accentuer les pénuries déjà existantes, et c’est à cet endroit que doit être dirigé le gros de l’aide humanitaire étrangère", estime Mego Terzian.
"Les enjeux ont changé et la communauté internationale doit faire preuve de plus de souplesse aujourd’hui, car il s’agit d’une situation exceptionnelle. L’aide étrangère doit se concentrer sur le court et moyen terme pour les populations affectées et ne peut être conditionnée à des réformes radicales".
Un avis que ne partage pas Maya Chams Ibrahimchah. Elle s’inquiète de voir l’aide humanitaire détournée à des fins politiques et appelle les pays "amis" à la vigilance : "L’Occident qui est le bailleur de fonds doit conditionner l’octroi de l’aide. Depuis trente ans, la population n’en a pas vu la couleur", s’indigne-t-elle. "Il faut orienter les fonds vers les associations internationales qui supervisent leur utilisation, ne plus donner l’argent au gouvernement corrompu, et faire en sorte qu’il rende des comptes".