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Covid-19 : pourquoi la pandémie aggrave la malnutrition des enfants dans le monde

Fermeture des écoles, chaînes d’approvisionnement perturbées, prix des denrées qui s’envolent… La propagation du Covid-19 a fragilisé l’équilibre alimentaire de millions d’enfants aux quatre coins du globe.

Conséquence indirecte du nouveau coronavirus, la malnutrition infantile s’aggrave dans le monde entier. En se basant sur une étude de la revue scientifique The Lancet, l’Unicef dresse mardi 28 juillet un constat dramatique : 6,7 millions d’enfants supplémentaires dans le monde pourraient souffrir de maigreur extrême cette année du fait de la crise économique et sociale provoquée par la pandémie.

L’étendue du fléau était déjà considérable avant l’arrivée du virus, 47 millions d’enfants souffrant en 2019 des conséquences de la malnutrition, souligne le Fonds des Nations unies pour l’enfance.

Selon l'étude de la revue The Lancet, l'aggravation des phénomènes de malnutrition pourrait se traduire par plus de 10 000 décès supplémentaires d’enfants chaque mois, dont la moitié en Afrique subsaharienne.

"Cela fait sept mois que les premiers cas de Covid-19 ont été rapportés et il est de plus en plus clair que les conséquences de la pandémie font plus de mal aux enfants que la maladie elle-même", a commenté la directrice exécutive de l’Unicef, Henrietta Fore. Comment expliquer qu’un virus puisse fragiliser l’équilibre alimentaire des plus jeunes ? "Plusieurs raisons l’expliquent", assure Hélène Botreau, responsable de plaidoyer à Oxfam France sur les enjeux d’agriculture et de sécurité alimentaire mondiale, contactée par France 24.

"Tout d’abord, avec la fermeture des écoles pendant le confinement, on estime que 350 millions d’élèves dans le monde ont été privés de repas scolaires. Or, pour beaucoup d’enfants, il s’agissait du seul repas équilibré de la journée", note la représentante de l’organisation. Et d’ajouter : "Les familles ont donc dû assumer ce coût supplémentaire toutes seules, chose qui leur était parfois très compliquée, voire impossible."

Des échanges commerciaux perturbés

Les repas ont également dû s’adapter face à la perturbation des chaînes d’approvisionnement en nourriture. "Partout dans le monde, la fermeture des marchés locaux a fragilisé les foyers. On a aussi assisté à un manque de main d’œuvre dans les champs et à un ralentissement des transports pendant le confinement. Il y a eu de grosses perturbations dans les ports et sur les axes routiers. Tout cela a eu des répercussions concrètes. Beaucoup d’éleveurs n’ont pas pu amener leurs bétails à l’abattoir et vendre leurs produits", souligne Hélène Botreau.

Certains aliments devenant plus rares, leurs prix ont mécaniquement augmenté. "Cela s’est surtout vérifié sur les denrées périssables, c’est-à-dire les fruits, les légumes et les produits dérivés d’animaux", remarque la spécialiste. Le prix des légumes a ainsi grimpé de 142 % et celui du poisson de 114 % entre mars et mai 2020 en République démocratique du Congo (RDC), selon la Banque mondiale.

Mais la raréfaction des produits locaux n’explique pas à elle seule la hausse des prix. S’ajoute à cela la perturbation des échanges commerciaux, notamment pendant le confinement. "En Mauritanie, le prix des oignons et des pommes de terre, deux matières premières habituellement importées, s’est s’envolé", ajoute l’experte. D’autres pays d’Afrique subsaharienne dépendant fortement des importations, comme la Somalie ou le Soudan du Sud, ont vu leurs approvisionnements en céréales perturbés.

Des conséquences intergénérationnelles

Enfin, les pays en proie à la guerre, comme le Yémen ou la Syrie, ont également compté parmi les plus menacés par la pénurie alimentaire. "Pour résumer, la pandémie s’est superposée à d’autres crises préexistantes dans le monde – conflits au Moyen-Orient, dépendance alimentaire de certains pays envers d’autres, sécheresse et salinisation des rizicultures au Vietnam – et en a parfois aggravé certains effets."

Résultat : sans surprise, la malnutrition s’est accélérée dans les régions les plus pauvres du globe. Ainsi, la sous-alimentation chez les enfants de moins de 5 ans pourrait augmenter cette année de 14,3 % dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, estime l'étude publiée dans The Lancet.

Mais cette estimation, si dramatique soit-elle, ne serait que la "partie émergée de l’iceberg". Les chercheurs de la revue The Lancet avancent que "l’impact profond de la pandémie de Covid-19 sur la nutrition des plus jeunes (...) pourrait avoir des conséquences intergénérationnelles". Autrement dit, la croissance et le développement des enfants nés après la crise sanitaire pourraient se voir perturbés. Un constat qui n’a rien d’étonnant pour Hélène Botreau.

Le double fardeau de la malnutrition

"La malnutrition se transmet de la mère à l’enfant. Si cette dernière a été sous-alimentée, le nourrisson souffrira également de malnutrition. Tout se joue dans les mille premiers jours du nouveau-né depuis sa conception", insiste la responsable de plaidoyer d'Oxfam France. Autre facteur préoccupant, "les enfants qui ont été sous-alimentés lors des premiers jours subissent un 'double fardeau' : ils peuvent être également touchés par un risque d’obésité. Car après avoir vécu une malnutrition, leur corps a assimilé des mécanismes stockant les lipides plus fortement qu’un autre organisme."

Ne voulant pas laisser les enfants devenir les "victimes négligées de la pandémie", les Nations unies réclament "dans l’immédiat" 2,4 milliards de dollars pour protéger leur nutrition dans les pays les plus vulnérables jusqu’à la fin de l’année. Mais plus encore que l'argent, l'Unicef appelle les États à assouplir certaines restrictions de déplacement afin de faciliter les soins pour les plus fragiles.

"En fermant les écoles, en perturbant les services de soins élémentaires et les aides alimentaires, nous pouvons également aggraver la situation", fait remarquer Victor Aguayo, chef du programme de nutrition auprès de l'agence de l'ONU.