Le gouvernement américain a décidé, mardi, de faire main basse sur la quasi-totalité de la production à venir du Remdesivir, le premier médicament à avoir donné des résultats encourageants pour traiter des malades du covid-19. Une attitude dénoncée sur la scène internationale comme l’illustration des effets nocifs de la doctrine de "l’America First” prônée par Donald Trump.
Le président américain Donald Trump veut le Remdesivir, tout le Remdesivir. L’administration américaine a annoncé, mardi 30 juin, avoir acheté au groupe pharmaceutique américain Gilead la quasi-totalité de la production des trois mois à venir de ce médicament prometteur dans la lutte contre le Covid-19. Une nouvelle application en temps de crise sanitaire de la doctrine trumpienne du “America First” qui laisse le reste du monde sur le carreau.
Le Remdesivir, initialement développé pour traiter les personnes contaminées par le virus Ebola, est le premier médicament à avoir donné des résultats encourageants quand il est administré à des patients gravement atteints par le Covid-19. Une étude menée fin avril aux États-Unis a démontré que ce médicament pouvait améliorer le temps de rémission des personnes hospitalisées, ce qui a poussé l’administration américaine à donner son feu vert à la production à grande échelle du Remdesevir. Même l’Agence européenne des médicaments (EMA) en a recommandé l’utilisation en milieu hospitalier.
Pour quelques miettes de Remdesivir
L’accès à cette molécule est donc devenu une question de santé publique à l’échelle mondiale. D’autant plus “si de nouvelles études venaient à confirmer les premiers résultats encourageants”, précise Barbara Mintzes, spécialiste des stratégies des laboratoires pharmaceutiques au centre de pharmacologie de l’université de Sydney.
L’avidité de Donald Trump pour le Remdesivir peut se comprendre. “Il ne faut pas oublier que les États-Unis sont le pays le plus touché par la pandémie, avec un nombre de nouveaux cas qui augmente rapidement tous les jours et une forte proportion de personnes âgées – donc à risque et qui pourraient avoir besoin de ce médicament – dans les grands centres urbains particulièrement exposés au coronavirus”, résume Penny Ward, spécialiste de la médecine pharmaceutique au King’s College de Londres.
Mais c’est la décision de ne laisser que quelques maigres miettes aux autres qui a suscité une levée de bouclier. Les États-Unis se sont, en effet, assuré l’exclusivité de l’intégralité de production de Remdesivir du mois de juillet, et 90 % de ce qui pourra être fabriqué en août et en septembre. “Je n’ai jamais rien vu de tel. C’est à la fois très étrange et perturbant comme comportement”, a réagi Thomas Senderovitz, directeur de l’Agence danoise du médicament.
Les autorités allemandes et britanniques se sont dépêchées de préciser qu’elles disposaient déjà de stocks suffisants pour passer l’été. En France, l’Agence nationale de la santé et des médicaments n’a pas répondu aux questions de France 24 sur des stocks éventuels de Remdesivir ou sur la volonté des autorités d'utiliser ce médicament pour traiter les patients les plus gravement atteints par le Covid-19.
Le recours aux licences obligatoires
La décision américaine illustre aussi, aux yeux de ses détracteurs, l’approche compétitive plutôt que coopérative adoptée par Donald Trump depuis le début de la crise sanitaire. Ce n’est, en effet, “pas la première fois que Washington agit de la sorte”, rappelle Farasat Bokhari, spécialiste de l’économie de la santé à l’université d’East Anglia de Norwich, contacté par France 24. Le président américain avait failli obtenir, en mai, que le laboratoire français Sanofi réserve un éventuel futur vaccin en priorité aux États-Unis. Il avait fallu l’intervention des autorités françaises pour que le groupe tricolore ne cède pas aux avances de Washington. Donald Trump a, aussi, interdit l’exportation de certains équipements médicaux pour les réserver uniquement à une utilisation nationale.
“Encore une fois, le reste du monde se retrouve laissé de côté”, regrette Andrew Hill, chercheur au département de pharmacologie de l’université de Liverpool, interrogé par le quotidien britannique The Guardian.
Ce n’est pas tout à fait juste. D’abord, Gilead a autorisé les pays en développement à développer des génériques de son Remdesivir pour subvenir à leur besoin nationaux. Ils peuvent, ensuite, les exporter vers d’autres États qui n’ont pas les moyens d’en faire autant.
Ensuite, “les pays qui adhèrent à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peuvent avoir recours au mécanisme de licence obligatoire pour ordonner à des laboratoires nationaux de produire des génériques”, précise Farasat Bokhari. Cette procédure permet de court-circuiter le droit international des brevets en temps de crise ou d’urgence médicale. Le temps de la pandémie, un laboratoire français pourrait, ainsi, avec l'autorisation du gouvernement faire un “Remdesivir made in France” sans avoir à demander le feu vert à Gilead. Le gouvernement néerlandais est, ainsi, en train de réfléchir à utiliser cette méthode.
Mais “c’est une procédure qui n’est pas facile à mettre en œuvre et qui peut prendre du temps”, précise Farasat Bokhari. L’un des obstacles majeurs réside dans le fait que Gilead a droit à une rémunération pour l’utilisation de sa molécule, précise le règlement de l’OMC. Le laboratoire américain peut être tenté d’exiger une forte somme pour punir le pays qui a, ainsi, décidé d’ignorer son brevet.
Le prix du Remdesivir critiqué
Il peut aussi décider d’octroyer à d’autres laboratoire ce qui s’appelle des licences libres, c’est-à-dire que Gilead renonce à réclamer une rémunération en cas de développement de générique. Tout dépend, donc, de l’attitude du laboratoire américain, qui est lui-même la cible de critiques.
La principale concerne le prix auquel Gilead souhaite vendre son Remdesivir. Aux États-Unis, un patient devra payer 3 120 dollars pour un traitement classique de six jours, tandis qu’au niveau mondial, le médicament sera vendu 390 dollars la dose, soit 2 340 dollars pour six jours. Une étude indépendante a démontré que “Gilead pouvait rentrer dans ses frais en vendant chaque dose entre 1 dollars et 60 dollars. Cela montre que l’on ne peut pas faire confiance aux laboratoires pharmaceutiques pour agir dans l’intérêt de tous en période de crise”, regrette Deborah Gleeson, spécialiste des questions de santé publique à l’université australienne de La Trobe.
Un reproche que Farasat Bokhari trouve en partie injustifié. “Si l’on veut que d’autres développent des médicaments pour lutter contre le Covid-19 – et c’est vraiment ce dont on a besoin actuellement – il faut montrer que l’innovation rapporte. À ce titre, un prix de 390 dollars par dose, aux États-Unis, ne me semble pas excessif car la couverture médicale pour les patients âgés leur permet de ne pas avoir à payer ce tarif”, soutient-il. La tarification serait donc appropriée là où les systèmes de santé remboursent correctement les traitements. Pour les autres, l’important, “et c’est ce que Gilead a commencé à faire au Pakistan, ou encore au Bangladesh”, est que les licences pour développer des génériques soient gratuites. Tel est, en tout cas, le test pour savoir si Gilead se montrera plus coopératif avec la communauté internationale que Donald Trump.