La Chine a mis en orbite lundi son dernier satellite nécessaire pour faire de son système de navigation Beidou une alternative partout dans le monde au GPS américain et autre Galileo européen. Pour Pékin, ce programme de satellites est crucial à plus d’un égard.
Pour la Chine, les "nouvelles routes de la soie" passent aussi par l'espace. Pékin a réussi à placer le 35e et dernier satellite de son système de navigation national, Beidou, en orbite lundi 23 juin. Un exploit qui lui permet de concurrencer au niveau global le GPS américain, l'alternative européenne Galileo et Glonass, la solution développée par les Russes.
C'est l'aboutissement d'un projet de longue haleine, débuté en 1983 sous l'impulsion de Chen Fangyun, un ingénieur surnommé le "père des satellites chinois". Mais ce n'est qu'au début des années 2000 que Beidou décolle vraiment, avec la mise en place d'un réseau de satellites capables de fournir un dispositif de géopositionnement pour le territoire chinois. "Les Chinois ont compris que les systèmes de navigation entraînaient une révolution technologique dans le domaine militaire en observant l'efficacité des raids aériens américains durant la guerre en Irak en 2003", souligne Keith Hayward, directeur de recherche à la Royal aeronautical society, qui a travaillé sur l'industrie aérospatiale chinoise, contacté par France 24.
Un gage d'autonomie
Douze ans plus tard, Pékin réussit à étendre sa couverture de Beidou à tout le continent asiatique. D'un projet d'inspiration militaire, ce dispositif est alors aussi devenu un outil économique. "Ces satellites sont primordiaux pour la Chine car ils lui permettent de compenser le manque en infrastructures de communication au sol pour accompagner son développement", explique à France 24 Isabelle Sourgès-Verger, spécialiste des politiques spatiales au CNRS et auteure d'un ouvrage sur la conquête de l'espace par la Chine.
La mise en orbite du 35e satellite rend désormais Beidou opérationnel partout dans le monde. Une étape cruciale au regard des ambitions chinoises de devenir une puissance à la pointe de l'innovation. "La plupart des technologies prioritaires pour Pékin – l'Internet des objets, la 5G ou les voitures autonomes par exemple – nécessitent le recours à un système de navigation", précise Isabelle Sourgès-Verger. Et ils doivent pouvoir fonctionner sur tous les continents.
L'enjeu est trop important pour dépendre d'une technologie "made in USA". "Le développement de Beidou confère aux Chinois une autonomie essentielle. Que ce soit d'un point de vue militaire ou civil, vous ne voulez pas dépendre d'un pays [les États-Unis, NDLR] qui, en cas de crise majeure, peut décider de vous coupez l'accès aux données de navigation", résume Keith Hayward.
La preuve que "Pékin n'est pas un parasite technologique"
C'est aussi un atout diplomatique. La Chine signale ainsi "qu'elle n'est pas un parasite technologique et est capable d'offrir un outil au monde qui apporte un plus, car Beidou semble être légèrement plus performant que le GPS américain", souligne l'expert britannique.
Et Pékin compte bien utiliser cette carte. Beidou est, en effet, une pierre importante apportée à l'édifice des fameuses "nouvelles routes de la soie", ce vaste programme d'investissements dans les infrastructures hors de Chine qui mêle objectifs économiques et diplomatiques. "Dans les documents autour de ce programme, il y en avait un spécifique au développement de Beidou", souligne Isabelle Sourgès-Verger. Rien de plus logique : "À partir du moment où Pékin projette sa puissance économique hors de ses frontières, il lui faut un système de navigation propre pour ses trains, ses bateaux et tout ce qui est mobile", affirme la chercheuse française.
Ce n'est pas par hasard que certains, y compris le gouvernement américain, considèrent Beidou comme la pierre angulaire "des routes de la soie spatiales". Un vaste réseau de satellites qui permet de couvrir l'ensemble de la planète apparaît comme un complément idéal aux nombreuses routes terrestres et maritimes que Pékin met en place depuis plus d'une décennie.
Le GPS aux œufs d'or ?
Mais encore faut-il qu'il y ait des clients pour son Beidou qui, à l'instar du GPS américain est proposé gratuitement. "Environ 70 pays qui participent aux 'routes de la soie' sont déjà des partenaires déclarés [de ce système de navigation, NDLR] ou se sont portés candidats", souligne le chercheur Emmanuel Meneut dans une note sur les enjeux en matière de cybersécurité de Beidou, publiée en mai 2020 par l'Institut des relations internationales et stratégiques. Il s'agit, pour l'heure, essentiellement de pays asiatiques.
Pékin peut aussi s'en servir comme d'un cadeau bonus pour convaincre les pays qui hésitent à rejoindre les "nouvelles routes de la soie". "Ce n'est pas aussi intéressant que si la Chine propose de vous construire votre réseau 5G, mais si les autorités chinoises offrent une version plus précise de Beidou [comme avec le GPS, il y a, par exemple, plusieurs niveaux de précision au système de navigation, selon le type d'utilisation, NDLR], cela peut permettre de bâtir une relation de confiance", assure Keith Hayward.
Mais la Chine ne cherche pas seulement à se faire des nouveaux "amis" avec Beidou. Elle espère que son système de navigation deviendra une affaire très profitable. "Ce n'est pas le signal en tant que tel qui est, financièrement, important, mais tous les produits dérivés et services qui peuvent en découler", assure Keith Hayward. Le GPS américain a montré la voie en la matière avec, notamment, les solutions de cartographie numérique ou tous les services de géolocalisation sur les smartphones.
Pékin a déjà commencé à faire de même. Des services reliés à Beidou permettant de mieux contrôler le trafic portuaire ou de coordonner les opérations de sauvetage en cas de catastrophe naturelle ont déjà été exportés dans plus d'une centaine de pays, ont affirmé les médias chinois début juin. La Chine espère qu'avec le déploiement au niveau global de son système de navigation, ce secteur pourra rapporter 57 milliards de dollars dès cette année, rapporte Reuters.
"C'est sûr que la concurrence dans ce domaine va se renforcer", conclut Isabelle Sourgès-Verger. Le Congrès américain a d'ailleurs averti, dans un rapport publié en novembre 2019, que les ambitions chinoises dans l'espace à travers son programme de satellites constituaient une menace de plus en plus grande pour les États-Unis, à la fois sur le plan économique qu'en terme d'influence. De quoi donner à Donald Trump un nouveau motif d'insatisfaction à l'encontre de Pékin ?