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C’est la dernière victime du conflit économico-politique entre Washington et Pékin : la construction d’un câble internet sous-marin reliant pour la première fois directement les États-Unis à Hong Kong risque de ne pas être achevée à cause de l’implication de Dr Peng, un opérateur télécom chinois qui menacerait la sécurité nationale américaine.

Google, Facebook et Dr Peng sont sur un bateau. Mais le président américain Donald Trump et son conflit commercial avec la Chine sont passés par là, et le projet des deux géants américains et de l'opérateur télécom chinois prend l'eau. L'administration américaine a demandé, mercredi 17 juin, à la Commission fédérale des communications (FCC, le gendarme des télécoms) d'arrêter la construction du premier câble internet sous-marin reliant directement les États-Unis à Hong Kong, pour des raisons de "sécurité nationale".

Plus précisément, la "Team Telecom" - le comité de conseillers du président américain pour les questions de télécommunications - veut bien que ce mégaprojet en chantier depuis quatre ans relie Los Angeles à Taïwan, et aux Philippines mais hors de question que le moindre terabyte d'Internet se déverse directement à Hong Kong grâce à un câble en partie "made in USA".

Un câble immergé sur 13 000 km

Ce comité craint en effet que les autorités chinoises aient accès aux données qui transiteraient par ce câble. La crise politique et sociale qui secoue le territoire semi-autonome démontrerait la volonté de Pékin de mettre cette ville au pas afin d'y exercer toute son autorité. Les données américaines débarquant sur les côtes hongkongaises ne seraient plus alors "à l'abri des efforts continus du gouvernement chinois pour obtenir les informations personnelles concernant des millions d'Américains", note le communiqué de la "Team Telecom".

C'est un coup dur pour Google et Facebook qui voyaient ce câble, baptisé Pacific Light Cable Network, comme un élément important de leur stratégie de conquête de l'Asie. Lancé en 2016, ce chantier sous-marin de près de 13 000 km, vise à compléter le réseau de trois autres câbles internet immergés qui relient, plus ou moins directement, la côte ouest américaine à la Chine continentale. Environ 8 000 km de câbles ont déjà été posés pour le chantier de ce projet.

Outre le fait qu'il aurait été le premier à offrir une liaison directe avec Hong Kong, ce nouveau tube rempli de fibres optiques aurait fortement augmenté la bande passante dont disposent Google et Facebook pour offrir leurs services au continent asiatique. Le Pacific Light Cable Network doit permettre de transporter jusqu'à 120 terabytes de données simultanément, ce qui rendrait possible "de mener en parallèle 80 millions de vidéoconférences en haute définition entre Los Angeles et Hong Kong", s'enthousiasmait Google dans un communiqué de 2016 détaillant l'ambition de ce projet.

Dr Peng, cheval de Troie de Pékin ?

Mais ce projet, dont le coût est estimé à environ 300 millions de dollars d'après le Wall Street Journal, s'est retrouvé dans le collimateur de l'administration Trump au fur et à mesure de la détérioration des relations sino-américaines. À Washington, les faucons de la politique chinoise ont commencé à s'y intéresser de plus près en 2017, lorsque le groupe chinois Dr Peng a fait irruption dans l'organigramme du chantier. Cette année-là, ce géant des télécoms, méconnu en Occident, rachetait l'entreprise hongkongaise Pacific Light Data Communication, qui est le principal partenaire asiatique du projet.

Ce changement d'actionnariat a fait craindre que le régime chinois ne se serve de Dr Peng comme d'un cheval de Troie pour mettre la main sur les précieuses données transitant par le câble sous-marin géant. En octobre 2019, le département américain de la Justice avait émis officiellement des doutes sur l'opportunité de continuer ce projet à cause de l'implication de Dr Peng.

En apparence, pourtant, cet opérateur télécom n'a rien d'un nouveau Huawei, ce mastodonte de l'informatique qui fait si peur à Washington à cause de ses liens supposés avec l'armée chinoise. Dr Peng est un conglomérat privé qui s'est impliqué dans le chantier du Pacific Light Cable Network afin de ne plus dépendre aussi fortement des revenus des abonnements Internet. En effet, il souffre dans ce secteur de la concurrence des mastodontes publics China Telecom, China Mobile et China Unicorn, détaille un article le magazine financier chinois Caixin Global.

Dr Peng et Mister Huawei ?

Mais comme souvent en Chine, il est possible de trouver des liens avec l'État en fouillant un peu. Les autorités américaines ont ainsi pu s'inquiéter des relations étroites entre Dr Peng et Huawei. L'opérateur télécom se décrit en effet lui-même comme un "partenaire privilégié" depuis 2016 du géant chinois honni par l'administration américaine. Les deux groupes travaillent ensemble dans le domaine de l'intelligence artificielle et le développement des réseaux téléphoniques 5G.

Yang Xueping, le PDG de Dr Peng, n'est pas non plus étranger aux arcanes du pouvoir. Avant de prendre les rênes de l'opérateur télécom, il a passé une partie de sa carrière dans l'administration de la très riche région de Shenzen. Mais sa biographie sur le site de Dr Peng indique simplement qu'il y était "employé", laissant planer le doute sur la nature exacte de son poste. 

Plus grave, peut-être, aux yeux de Washington : le groupe a prouvé, par le passé, qu'il était prêt à mettre son savoir faire technologique au profit des projets les plus controversés des autorités chinoises. Ainsi, Dr Peng a mis en place un réseau de vidéosurveillance pour la police de Pékin, rappelle le Wall Street Journal.

Tous ces éléments ne sont pas des preuves indiscutables que Dr Peng va transformer le Pacific Light Cable en arme de cyberespionnage massif si le câble atteint Hong Kong. Mais les mésaventures de ce gigantesque chantier illustrent bien l'importance pour Donald Trump de maintenir la pression économique et politique sur la Chine. Il est prêt à sévir sur la base de preuves indirectes d'une collusion entre le régime chinois et un groupe privé, alors même que la sanction risque de faire économiquement du mal à Google et Facebook, deux des plus importants groupes américains.