Des manifestants au Liban ont bloqué des routes autour de la capitale Beyrouth et d'autres villes du pays en incendiant des pneus et des poubelles jeudi pour protester contre l'effondrement de la devise nationale et les difficultés économiques croissantes.
Le mouvement de protestation continue au Liban. Les manifestants ont battu le pavé une nouvelle fois, jeudi 11 juin, contre les autorités accusées de corruption et contre les difficultés économiques croissantes. La livre libanaise s’est effondrée jeudi et frôlé le seuil des 5 000 livres pour un dollar dans les bureaux de change.
La livre libanaise a perdu 70 % de sa valeur depuis octobre dernier, une crise économique qui a alimenté le mouvement de contestation et de remise en cause des élites, accusées de corruption.
Cette dépréciation intervient au moment où le gouvernement négocie avec le Fonds monétaire international (FMI) une aide pour enrayer l'effondrement économique, un des vecteurs du soulèvement inédit déclenché en octobre contre une classe politique accusée d'incompétence.
Blocage de routes
À travers tout le pays, les manifestants ont exprimé leur mécontentement à l'égard de la classe politique par des chants et en bloquant les principales artères routières. Les forces de l'ordre sont parfois intervenues avec des tirs de gaz lacrymogènes.
Il s'agit des rassemblements les plus importants depuis l'instauration mi-mars de mesures de confinement destinées à lutter contre le coronavirus.
Les manifestants à Tripoli, deuxième plus grande ville du pays, dans le Nord, ont lancé des cocktails Molotov contre le siège de la banque centrale, provoquant un incendie et incitant les forces de sécurité à faire usage de gaz lacrymogène, ont rapporté des témoins.
Plusieurs dizaines de contestataires se sont rassemblés à un carrefour clé dans le centre de Beyrouth, a constaté un journaliste de l'AFP. "Voleur, voleur, Riad Salamé est un voleur", ont-ils scandé, en référence au gouverneur de la Banque centrale.
Des jeunes chiites rejoignent le mouvement
Ils ont également scandé des slogans d'unité après des heurts confessionnels le week-end dernier. Fait inédit, les manifestants ont été rejoints par des dizaines de jeunes en moto d'un quartier chiite voisin. Jusqu’ici, les habitants de ce dernier s'en étaient pris aux rassemblements antigouvernementaux.
"Les gens n'en peuvent plus, ça suffit", lâche Haitham, manifestant dans le centre de Beyrouth, en évoquant la dépréciation de la monnaie. "Les gens n'ont pas de travail, ni de quoi manger. Ils ne peuvent pas acheter des médicaments, des couches ou du lait pour les enfants", s'insurge-t-il. Les autorités tablent sur une inflation à 50 % pour 2020.
Dans le centre de la capitale, près de la place Riad al-Solh, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants qui lançaient des pierres, d'après les télévisions locales.
Des contestataires se sont mobilisés sur l'autoroute au nord de Beyrouth, à Tyr mais aussi à Saïda (Sud) où des bennes à ordures ont été incendiées, d'après l'agence de presse officielle ANI.
Un dollar pour 6 000 livres
Les services du Premier ministre Hassan Diab ont annoncé dans un communiqué une réunion "urgente" du gouvernement vendredi consacrée à "la situation monétaire".
Officiellement, la monnaie nationale est indexée sur le billet vert depuis 1997 au taux fixe de 1 507 livres pour un dollar, mais depuis octobre 2019 elle poursuit sa chute dans les bureaux de change.
Un changeur à Beyrouth a indiqué acheter le dollar à 4 800 livres, pour le revendre à 5 000 livres. Un autre, dans la banlieue sud, a acheté le dollar à 4 850 livres. Dans le sud du pays, un client a assuré avoir vendu des dollars au taux de 4 750 livres. Dans la soirée, des médias locaux ont même évoqué un taux de change de 6 000 livres pour un dollar.
Jeudi soir, la Banque centrale a démenti dans un communiqué des informations "sans fondement" sur "des taux de change à des niveaux éloignés de la réalité".
Explosion de l’inflation
La dépréciation a entraîné une explosion de l'inflation qui touche les importations, que ce soit pour l'électroménager, l'ameublement ou les pièces de automobiles.
Déclenché le 17 octobre 2019, le soulèvement a vu certains jours des centaines de milliers de Libanais battre le pavé pour crier leur exaspération, dénonçant la défaillance des services de base et une dégradation des conditions de vie.
Pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), le Liban a besoin d'une aide internationale pour sortir de la crise, mais elle doit être conditionnée à l'adoption de réformes longtemps ignorées par la classe politique.
Avec AFP et Reuters